L'avis du Conseil de la concurrence sur le fonctionnement concurrentiel du marché national des carburants conclut que la concurrence par les prix sur ce marché est quasi-inexistante, voire neutralisée. Sans aller jusqu'à dire qu'il s'agit d'une entente à peine voilée sur les prix induite par plusieurs facteurs, le Conseil pointe les verrous à faire sauter pour sortir de cette situation qui cristallise l'opinion publique. Comment rendre les marchés du gasoil et de l'essence plus concurrentiels et ce, en tenant compte de la réalité économique structurelle de ces marchés et de celle de l'économie du pays qui n'est pas un producteur du pétrole ? C'est la rude tâche à laquelle s'est livrée le Conseil de la Concurrence qui après quatre mois de travail a dévoilé son avis sur le fonctionnement concurrentiel du marché des carburants à la lumière de la flambée des prix des matières premières et des intrants à l'international. Mais l'analyse s'intéresse bien évidemment à la période pré Covid et post libéralisation du secteur. Les hydrocarbures, nous y voilà : un dossier explosif qui a cristallisé l'opinion publique ces dernières années, larguée mais aussi très remontée contre le fonctionnement de ce secteur vital pour l'économie, mais aussi et surtout pour les citoyens avec un impact certain sur leur pouvoir d'achat. A l'aune des données collectées pour cet avis et ses conclusions, il paraît bien qu'il n'y a pas une concurrence réelle par les prix entre les opérateurs de ces marchés. Pourtant, pour le Conseil, une concurrence par les prix est l'une des meilleures voies qui est à même de garantir un approvisionnement régulier des marchés en ces produits à des prix économiquement raisonnables. Comment dès lors y parvenir. Le Conseil de la Concurrence pointe en premier lieu un cadre réglementaire désuet, qui pose des mesures draconiennes pour l'arrivée de nouveaux distributeurs sur le Marché mais également instaure une dépendance des distributeurs aux importateurs. L'étude a montré que les activités économiques liées aux marchés du gasoil et de l'essence, sont toujours régies par des textes désuets, voire obsolètes, qui datent des années 70 du siècle dernier et ce, malgré les bouleversements qui ont marqué les marchés de ces produits. A cet égard, il y a lieu de signaler qu'une tentative a été menée, en 2015, pour revoir ce cadre et ce, par la promulgation d'une nouvelle loi portant le n° 67.15 qui est restée inappliquée en l'absence de ses textes d'application. Or, c'est ce cadre légal et réglementaire qui définit les mécanismes de régulation de ces marchés en déterminant non seulement les conditions d'accès, mais aussi les modes de fonctionnements opérationnels depuis l'importation jusqu'au stockage et la livraison à la station-service, souligne-t-on dans l'avis. En conséquence, le Conseil recommande de reprendre et de revoir d'urgence et en profondeur ce cadre et ce, en vue de l'assouplir et de le rendre compatible avec les contraintes et les réalités des marchés, tout en conservant et en renforçant les fonctions régaliennes de contrôle et de sécurité du pays. Il préconise ainsi la mise en œuvre des recommandations émises par le Conseil de la concurrence en 2019. Certes des mesures ont été prises en vue d'assouplir les conditions d'accès à ces marchés, et qui ont permis de multiplier le nombre d'entrées d'opérateurs ces dernières années, aussi bien des opérateurs importateurs (amont) que des sociétés de distribution (aval) : 11 importateurs en 2018 à 25 actuellement ; de 21 sociétés de distribution en 2018 à 29 en 2022. Néanmoins, cette ouverture a eu des impacts limités sur ces marchés et n'a pas engendré le dynamisme concurrentiel escompté. Réviser les relations contractuelles entre les sociétés de distribution et les stations-service L'analyse effectuée dans le cadre de cet avis, a montré que la réglementation en vigueur ainsi que le cadre contractuel liant les sociétés de distribution et les stations-service, surtout le mode de gestion DODO (Dealer Owned, Dealer Operated), maintiennent un niveau élevé de dépendance de ces stations-service vis-à-vis des sociétés de distribution et ce, à tous les niveaux : l'autorisation (au nom du distributeur), l'approvisionnement, la détermination des prix de vente conseillés, etc. Cette forte dépendance, n'a pas permis de faire jouer pleinement la concurrence entre les stations-service relevant de la même enseigne et les différentes enseignes. De même, cette réglementation ne permet pas l'entrée sur le marché de stations-service indépendantes ou adossées à des sociétés non pétrolières. Pour remédier à cette situation, il est recommandé de supprimer l'obligation réglementaire qui réserve l'exclusivité aux seuls importateurs et repreneurs en raffinerie, l'activité de distribution de détail des carburants et permettre la création de stations-service indépendantes, moyennant le renforcement des contrôles effectués par les services compétents du ministère en charge de l'énergie (en moyens humaines et matériels). Entre autres recommandations, le Conseil recommande de permettre aux stations-service indépendantes de s'approvisionner chez n'importe quelle société de distribution et de faire jouer la concurrence pour obtenir les meilleurs prix d'achat et une meilleure qualité de carburant. Sur un autre registre, l'avis souligne le déséquilibre dans la relation contractuelle entre l'investisseur et la société de distribution dans ce mode de gestion des stations-service, en raison entre autres de l'octroi de l'autorisation de création de la station-service par le ministère de tutelle à la société pétrolière et non pas à l'investisseur. L'investisseur est tenu par un contrat d'exclusivité d'approvisionnement en carburant uniquement de la société de distribution pétrolière avec laquelle il a conclu un contrat du type DODO. En cas de baisses des prix, l'investisseur est seul à supporter les risques sur les stocks qu'il a achetés à la société de distribution pétrolière à un prix élevé. Par conséquent, il est enclin à ne baisser ses prix qu'après épuisement de ses stocks surtout si le montant de la baisse est significatif dépassant parfois largement ses propres marges. En même temps, les stations-services exploitées par les compagnies directement, répercutent et appliquent les baisses des prix même sur leurs stocks. Il en résulte que les stations-services relevant de la même enseigne commerciale et appartenant à la même compagnie affichent des prix de vente différents. Ainsi, ce type de pratiques peut être à l'origine d'une situation de concurrence déloyale qui ne résulte pas des mécanismes concurrentiels du marché mais d'un contrat déséquilibré entre certaines compagnies pétrolières et les propriétaires de ces stations-service. D'où l'importance de réviser les clauses des contrats régissant la relation entre l'investisseur et la société pétrolière, notamment dans le cas du mode de gestion DODO qui est le plus prépondérant sur le territoire national et ce, en prévoyant l'introduction de mécanismes susceptibles de permettre, en cas de baisses significatives des prix, les réajustements nécessaires des prix des stocks constitués. Couverture des risques, un talon d'Achille Dans son avis, le Conseil de la concurrence rappelle l'importance d'utiliser les instruments de couverture des risques pour parer aux fortes fluctuations enregistrées dans les marchés du gasoil et de l'essence à l'international. En l'absence de ces instruments, les opérateurs se trouvent directement exposés à la volatilité des prix sur ces marchés, laquelle volatilité constitue un facteur limitatif pour la constitution d'un stock de sécurité par les opérateurs dans la mesure où, lorsque les cours baissaient, ces deniers subiront mécaniquement une perte sur le stock acheté antérieurement à un prix élevé. A cela s'ajoute une exposition aux risques liés aux fluctuations des taux de change dont le coût impacte directement le prix d'achat de ces produits formant la grande composante du prix de vente à la pompe (étant donné que ces prix d'achat sont facturés en dollar américain). A cette fin de constitution d'un stock de sécurité, le Conseil propose que l'Etat prenne en charge, soit totalement soit partiellement, les coûts de couverture qu'implique le recours à ces instruments. Certes, cette démarche exigera la mobilisation de moyens financiers importants, mais permettra en revanche de sécuriser partiellement le stock au niveau national et d'amortir, au moins temporairement, l'effet des hausses de ces cotations sur les prix de vente à la pompe. Sur ce volet, le Conseil a également exigé que le gouvernement diligente en urgence une étude économique et technique sur l'opportunité de maintenir et de développer une activité du raffinage au Maroc. Sur le volet fiscal L'avis préconise d'tendre le régime fiscal appliqué actuellement aux secteurs protégés, au marché de la distribution des produits pétroliers tout en instaurant une taxe exceptionnelle sur les surprofits des sociétés d'importation, de stockage et de distribution du gasoil et de l'essence. « Compte tenu des spécificités des marchés des produits pétroliers raffinés qui bénéficient d'une sorte de protection sous forme de barrières réglementaires à l'entrée (agréments et autorisations) et des niveaux de chiffre d'affaires réalisés (une moyenne de plus de 60 Mds de DH par an rien que pour le gasoil et l'essence) en plus des niveaux de rentabilité élevés induits par la nature même de cette activité (négoce), le Conseil recommande d'aligner le régime d'imposition des résultats de cette activité sur celui appliqué à titre d'exemple, aux secteurs bancaire et financier dont le taux d'imposition sur les sociétés (IS) s'élève à 37% », souligne l'avis. En outre et vu le niveau élevé des marges dégagées par les opérateurs durant les périodes des chutes des cours à l'international (2020 et 2021), le Conseil propose au Gouvernement, de mettre en place une taxe exceptionnelle dégressive sur les bénéfices réalisés sur les surprofits des sociétés concernées. Les recettes dégagées par ces mesures iront renforcer les programmes sociaux décidés par le gouvernement. Cette mesure vise essentiellement à inciter les opérateurs à lisser leurs marges en cas de baisses des cotations à l'international en répercutant immédiatement les baisses sur les prix de vente sur le marché national et permettra de mieux animer la concurrence par les prix sur les marchés en question. Cette taxation exceptionnelle a d'ailleurs été adoptée dans quelques pays européens, tels que le Royaume-Uni, l'Italie, la Roumanie ou encore la Hongrie. L'objectif est d'inciter les sociétés du marché à participer aux efforts du pays pour diminuer les effets néfastes d'une inflation importée en cette période exceptionnelle. Sur un autre registre, l'avis écarte tout retour éventuel à la subvention directe de ces produits, le Conseil estimant que la subvention directe du gasoil et de l'essence est nocive à l'économie nationale et a montré ces limites dans le passé. Dans ce cadre, le Conseil recommande au Gouvernement d'accélérer la mise en place et l'opérationnalisation des programmes sociaux adéquats visant à soutenir d'une manière efficace les populations vulnérables. Pour ce faire, il est urgent d'accélérer le déploiement du Registre Social Unifié (RSU). Sans oublier évidemment la classe moyenne à travers des réaménagements de l'impôt sur le revenu (IR) ainsi que le régime des allocations familiales en vue d'augmenter le revenu disponible de cette classe sociale Mettre les énergies renouvelables en concurrence avec les énergies fossiles Bien que le Maroc ait adopté depuis 2009, une stratégie énergétique volontariste et ambitieuse dont l'un des objectifs qui lui ont été assignés est de porter la part des énergies renouvelables dans la puissance électrique installée à 42% en 2021 et à 52% en 2030, les résultats sont loin d'être au rendez-vous (37% contre un objectif de 42% pour 2020). Pour le Conseil de la concurrence, il devient très urgent de donner la priorité à l'accélération des investissements permettant la transition énergétique à court et à moyen termes, entre autres en développant l'autoproduction de l'électricité renouvelable des entreprises et des ménages leur permettant d'injecter les surplus de leurs productions dans le réseau électrique national.