Les contours des produits alternatifs, «islamiques» pour ceux qui méconnaissent cette dénomination, ne sont pas encore complètement bouclés. Des aspects, et non des moindres, restent à peaufiner. Et c'est probablement pour cette raison que la majorité des banques n'a pas encore daigné proposer ces produits, sauf Attijariwafa bank qui a lancé, à la mi-octobre, deux des trois types de produits alternatifs autorisés: Mourabaha, Moucharak et Ijara. Le timing en a surpris plus d'un. Des réunions entre banquiers de la place se tenaient encore à ce propos. Il était même convenu de créer des supports d'information en commun et d'opter pour des lancements quasiment en simultané. Attijariwafa aurait dérogé à la règle. Sa sortie sur le marché des alternatifs n'a pas été du goût de ses confrères, comme ce fut le cas lorsque la même banque avait décidé de devancer ses consoeurs pour lancer le règlement à «J+2», alors que les banques discutaient encore du sujet ainsi que de son timing. Selon plusieurs banquiers contactés, la banque que préside Mohamed Kettani a lancé des offres trop chères. Les mensualités des nouveaux produits peuvent être de 20% ou 30% supérieures à celles des produits classiques. «Nous ne pouvons pas nous permettre de facturer autant à nos clients. D'ailleurs, à ces niveaux de tarifs, les produits alternatifs ne séduiraient pas», lance ce professionnel de la finance. En fait, les tarifs des produits alternatifs pourraient être tantôt plus chers, tantôt moins chers. Explication. Le directeur d'une banque étrangère avoue que les produits alternatifs sont effectivement plus chers. «Ce sont les mêmes produits que les classiques. Seul l'emballage diffère». Le responsable d'une agence de la BCP, lui, n'en pense pas autant. «Il n'est pas vrai de dire que les prix des produits alternatifs seront excessifs. Toutefois, si une grande différence de prix avec les produits classiques est ressentie, elle ne pourrait provenir que de la politique de tarification de chaque banque, du calcul de sa marge bénéficiaire». Chez Attijariwafa bank par exemple, le prix de vente de la banque dans une opération de Mourabaha est composé du prix d'acquisition du bien, augmenté des frais relatifs à la première transaction, à la prime d'assurance et à la marge de la banque. Cette dernière est calculée en fonction du prix d'acquisition, des frais liés à la première transaction et de l'apport personnel du client. Pour Ijara, les loyers correspondent au paiement progressif du prix du bien et à son utilisation. Le locataire a, de plus, d'autres coûts à supporter. Les frais de dossiers s'élèvent à 0,3% du capital, avec un maximum de 5.000 DH. Les frais de mutation, la taxe notariale, les honoraires du notaire, les frais d'assurances et la taxe urbaine sont à la charge du locataire. Tous ces frais alourdissent la facture. Et ce n'est pas tout. En prenant en compte l'aspect fiscal, les prix des produits alternatifs pourraient s'envoler. Par exemple, l'administration fiscale a fixé la durée de l'amortissement du capital des biens sur une durée de 25 ans. Si la durée du crédit est inférieure, «la banque aura à prendre un risque fiscal. Elle facturera donc son produit plus cher», explique un responsable de BMCE. Tous les produits d'Attijariwafa bank ne sont cependant pas si chers. Sa filiale spécialisée dans le crédit conso, Wafasalaf, émet un autre son de cloche. A la fin du mois d'octobre, elle a lancé le crédit auto Ijar Al Wafaa. La présidente de la filiale, Leïla Mamou, a alors déclaré en substance que ce produit-là revient moins cher que le crédit classique, soit un peu moins de 10% de moins pour un client qui avance une moyenne de 20% du prix du véhicule. Elle ajoute qu'en comparant, à périmètre égal, les mensualités des deux types de crédit, Ijar Al Wafaa reviendrait moins cher qu'un produit classique. Si l'on en croit donc la présidente de Wafasalaf, tout le monde devrait alors se ruer sur ce nouveau produit «super»-compétitif. Prudence chez les banques ! Attijariwafa bank a été pionnière dans le lancement des produits halal. Quid des autres établissements bancaires ? En fait, un tour d'horizon nous renseigne sur l'état des lieux. Avant la période des vacances, les banques se disaient prêtes à lancer les produits alternatifs. Elles prétendaient n'attendre que la publication de la directive de la banque centrale pour les commercialiser. Lorsque le 1er octobre, cette directive est entrée en vigueur, ces mêmes établissements ne se sont pas bousculés pour communiquer sur leurs offres. La BCP et Arab Bank, pour ne citer qu'elles en exemple, ont préféré lancer les produits alternatifs en catimini, sans campagnes publicitaires. Auprès d'une agence de la BCP, on apprend qu'en fait, les produits ne sont pas encore complètement bouclés et que les offres restent à peaufiner. Dans les semaines à venir, la banque du cheval devra les présenter en bonne et due forme. Le produit Ijara devra être un produit phare. «Nous sommes assez en avance concernant ce produit par rapport aux deux autres catégories», lance notre source. BMCE Bank affûte aussi ses armes. Selon un responsable à la direction des particuliers, les trois types de produits alternatifs vont être commercialisés les uns après les autres. «Avant la fin de l'année, nous allons proposer nos produits. Les prix ne devront pas s'éloigner de ceux des produits classiques». La SGMB s'apprête également à se lancer dans la course. «Nos équipes travaillent sur le lancement prochain d'une offre de produits adaptée, qui sera commercialisée par notre réseau de distribution. Des réunions de présentation et de sensibilisation de nos équipes commerciales à ces nouvelles offres ont déjà eu lieu», indique-t-on auprès de la banque. Du côté du Crédit du Maroc, même son de cloche. La filiale du Crédit Agricole France s'y prépare activement. La commercialisation de ses produits alternatifs devrait attendre encore quelques jours. «Nous devons respecter un ordre de lancement des nouveaux produits et le moment idoine pour le faire : ni trop tôt ni trop tard», confie un haut responsable de la banque. Les équipes sont en cours de formation. Et CDM devrait démarrer avec les produits Mourabaha et Ijara. «Nous avons dû opérer des modifications lourdes de nos systèmes. La majeure partie est réalisée. Il ne reste plus qu'à y aller», indique-t-on. La BMCI n'est pas en reste puisqu'elle a formé ses équipes commerciales. Le lancement des produits alternatifs devrait vraisemblablement avoir lieu prochainement. En fait, si la majorité des banques n'ont pas voulu se lancer dans une nouvelle expérience, c'est parce qu'elles attendent d'être fixées une bonne fois pour toute sur les dispositions fiscales. Le Fisc s'est pourtant prononcé sur le sujet. Mais les banques, elles, ne désespèrent pas et souhaitent négocier avec l'administration fiscale. La fiscalité dérange… Les banques ne considèrent pas le régime applicable sur les produits alternatifs comme définitif. «C'est pour cela que nous ne voulons pas être en porte-à-faux avec la loi dans le cas où il y aurait des changements», souligne le responsable du Crédit du Maroc. Concrètement, de quoi s'agit-il ? La fiscalité appliquée à Ijara et à Mourabaha est identique à celle du crédit-bail. Pour Moucharaka, il a été décidé de répartir la rémunération sur la durée du contrat en ce qui concerne l'Impôt sur les Sociétés et d'appliquer un taux de 10% sur la rémunération en ce qui concerne la TVA. Pour les droits d'enregistrement dans l'opération de Mourabaha, l'administration fiscale fera payer et la banque et le client. La banque les paiera une première fois lorsqu'elle achètera le bien. Le client les paiera une seconde fois lorsque la banque lui cédera ce bien. Cette double imposition est considérée par les banquiers comme une aberration. En ce qui concerne la TVA, d'autres banquiers se demandent encore si elle doit être appliquée sur toute l'échéance du crédit ou uniquement sur la marge de la banque. Dans le premier cas, «le crédit serait renchéri. On tuerait le produit alternatif», lance un responsable au Crédit du Maroc. Sur ce plan-là, les choses ne semblent pas encore claires. «Avant le lancement effectif, nous sommes en attente de réponses aux problématiques fiscales soulevées par ce type d'offres, notamment en matière de financement immobilier. A noter à cet égard que le GPBM (Groupement Professionnel des Banques du Maroc) joue un rôle actif dans l'élaboration et la transmission de propositions relatives à la résolution des derniers points de fiscalité restant à lever», indique-t-on auprès de la SGMB. Le ton est donc donné. Les banquiers espèrent une révision de la fiscalité. «Les produits alternatifs se basent sur une fiscalité très développée. Aucun pays n'a réussi à faire ce genre de produits sur la base d'une fiscalité occidentalisée», lance d'emblée le responsable à BMCE Bank. Cela supposerait-il qu'il faille adopter une fiscalité spécifique aux produits alternatifs ? Il est fort à parier que le Fisc ne l'accepterait pas. La nouvelle génération des produits bancaires a fait couler beaucoup d'encre. En l'absence d'un marché pareil, il serait difficile d'estimer ce que les produits alternatifs pourraient représenter en termes de parts de marché. Les banques reçoivent quelques demandes d'information de la part de clients, mais rien ne permet de dire s'ils sont vraiment intéressés par ces nouveaux produits ou juste curieux. Si les banques et le fisc trouvent un terrain d'entente qui ne pénalise pas les clients, l'avenir nous réserve certainement des surprises. L'assurance : encore une zone d'ombre… Lorsque vous contractez un produit alternatif, vous devez payer des assurances. Or, dans le monde entier, ce principe compte encore des divergences au sein des communautés. Le processus d'assurance comporte, selon les religieux, un élément d'incertitude et d'ambiguïté. Par hypothèse, il existerait une disproportion entre la prime payée par l'assuré et le capital ou l'indemnité qu'il va peut être recevoir. Cette disproportion «disqualifie le processus qui prône l'égalité entre les partenaires du contrat». Cet argument défendu par certains n'a pas de légitimité. Qu'en penserait nos oulémas, qui n'arrivent pas encore à trancher le débat sur la «halalisation» des produits alternatifs ? Les produits alternatifs sont plus chers ! En date du 9 octobre, Youssef Rouissi et Driss Maghraoui, respectivement directeur de la banque des particuliers et des professionnels (BPP) et directeur de distribution, produits et marchés à la BPP d'Attijariwafa bank, ont adressé une lettre circulaire aux responsables réseaux, du groupe, des agences… pour qu'ils «promeuvent largement les nouveaux produits alternatifs auprès de la clientèle cible et mobilisent les équipes pour assurer la pleine réussite de ce lancement». Les responsables ont ainsi adressé des fiches synthétiques reprenant les caractéristiques des produits ainsi que des comparatifs avec ceux qui sont classiques. Il s'avère clairement qu'en comparant les prix, les mensualités des produits alternatifs sont plus chères. Si le client contracte un prêt pour une habitation, sans apport personnel, et veut rembourser sur une durée de 20 ans, voici quelles seront ses mensualités (le coût total n'est pas pris en compte)