Véritable tension sur les salaires des informaticiens marocains: 68% ne sont pas satisfaits de leur rémunération. C'est ce que révèle l'étude que vient de réaliser le portail en ligne Rekrute.com sur le secteur des IT au Maroc. Les résultats de cette enquête, dont Challenge a la primeur, montrent l'évolution des salaires et la satisfaction des informaticiens marocains. Les détails. C'est une étude inédite que vient de réaliser le portail en ligne Rekrute.com sur le secteur des IT. Un marché en plein boom au Maroc, avec d'excellentes perspectives d'évolution sur les prochaines années. En effet, selon les statistiques du cabinet international IDC, les dépenses en services informatiques vont dépasser les 550 millions de dollars d'ici la fin de 2018. Cette même source souligne que le marché local connaitra une croissance de 29% dès 2017. Des chiffres qui placent le secteur des services technologiques marocain en tête de peloton dans sa région, devant la Tunisie, l'Algérie etc. Mais, en dépit de ce développement louable au fil des années, aucune statistique ne permettait, jusque-là, de prendre connaissance des conditions de travail des informaticiens marocains. Ainsi, l'étude réalisée par Rekrute.com, et dont Challenge a la primeur, dévoile l'évolution des salaires et la satisfaction de ces derniers. D'abord, précisons que l'objectif de cette enquête est de mesurer les tendances actuelles en matière de rémunération dans le secteur. Elle vise aussi à identifier les profils les mieux rémunérés, et la satisfaction des informaticiens au Maroc. On note que sur les 656 personnes ayant participé à cette étude, 82% sont de sexe masculin, et 63% d'entre elles sont âgées de 25 à 34 ans. Les moins de 25 ans dans ce secteur représentent 22,41%. Au niveau de formation, l'enquête de Rekrute.com montre que 54% des répondants au questionnaire ont un niveau Bac+5 ou plus. Seuls 21% ont un Bac +2. En ce qui concerne le parcours universitaire, on note que 71% des répondants ont effectué leurs études dans une école ou université marocaine, contre 3,05% ayant fait leurs études dans une école ou université étrangère. Une plus longue expérience ne garantit pas forcément un bon salaire En ce qui concerne le nombre d'années d'expérience, 40% sont des juniors ou ont un maximum de 2 ans d'expérience. Par contre 11,59% jouissent de plus de dix ans d'expérience, et presque 11% ont une expérience de 4 à 6 ans. 22,69% d'entre eux travaillent pour de très grandes entreprises de la place, contre seulement 16,4% pour les grandes entreprises. Cependant, on remarque que 34% sont employés par des TPE. Par contre 26% occupent un poste d'ingénieur étude & développement. 15% sont des techniciens système, et 13% des Responsables informatique. L'étude fait ressortir aussi que 10% occupent un poste d'ingénieur systèmes contre 6% pour celui de consultant fonctionnel. En ce qui concerne les salaires, l'enquête montre que 21% des répondants perçoivent un salaire compris entre 4000 D et 6000 DH par mois. 21% ont aussi des salaires inférieurs à 4000 DH/mois. Seuls 17% ont un salaire compris entre 10000 DH et 15000 DH par mois. Par contre, environ 3,5% ont un salaire compris entre 20000 DH et 25000 DH/mois, contre 2,27% qui perçoivent entre 30000 et 40000 DH par mois. Toutefois, Saloua Karki, directrice générale de GFI, une des plus grosses entreprises du secteur des IT au Maroc, déplore une véritable tension sur les salaires actuellement. D'ailleurs, l'étude montre que 65% des répondants n'ont pas eu d'augmentation de salaire en 2015. « Beaucoup de sociétés vivent actuellement des départs massifs et sont obligées d'opérer des doublements de salaire», fait remarquer la Dg de GFI. A ce titre, 33% des répondants ont eu une augmentation de 5 à 9% en 2015, contre 17% ayant une hausse de 10 à 14%. «Il y a une très forte surenchère sur les salaires dans le secteur. Nous remarquons beaucoup de débauchages. Et même des entreprises étrangères qui viennent recruter massivement des profils au Maroc, occasionnant une fuite de cerveaux. Cela m'inquiète, d'autant plus que le Maroc vient de se doter de la stratégie Maroc Digital 2020. Et en plus, dernièrement, dans son discours, Sa Majesté le Roi Mohammed VI a fait appel à la mise en place d'une administration électronique. Cela va nécessiter des ressources en termes de compétences», analyse Saloua Karki, ajoutant que la flambée des salaires dans le secteur va impacter la compétitivité du Maroc par rapport aux pays voisins comme l'Espagne, le Portugal. Le secteur de la Pharmacie et de la Santé distribue les plus gros salaires Parmi les secteurs qui distribuent les salaires les plus élevés, on note la Pharmacie/Santé, avec 50% des salaires situés entre 30000 DH et 40000 DH. Le secteur de la Banque/Finance vient en deuxième position avec 15% des salaires entre 30000 DH et 40000 DH, suivi du secteur du Conseil et études (15% également). On remarque également, comme dans beaucoup de secteurs, que le salaire est directement impacté par le nombre d'années d'expérience. Cependant, l'étude montre que quel que soit le niveau d'expérience, la tendance salariale chez les ingénieurs en études et développement (IED) varie de 10000 DH à 15000 DH par mois. Par contre, le salaire des techniciens système n'augmente pas beaucoup, et ce, même avec un niveau d'expérience avancé. A titre d'exemple, 71% des techniciens système sondés ayant entre 6 et 8 ans d'expérience touchent un salaire situé entre 4000 DH et 6000 DH par mois. 50% de ceux ayant plus de 10 ans d'expérience ont aussi un salaire entre 4000 DH et 6000 DH. Au niveau des responsables informatique, le salaire est également bas et ce, quel que soit le niveau d'expérience. Leur salaire dépasse rarement 6000 DH par mois. Par contre, chez les consultants fonctionnels, on remarque une tendance à la hausse selon le nombre d'années d'expérience. 100% des consultants fonctionnels ayant entre 4 et 6 ans d'expérience touchent un salaire de 10000 à 15000 DH par mois, et 67% avec une expérience de 6 et 8 ans perçoivent entre 15000 DH et 20000 DH/ mois. Au niveau des formations qui donnent lieu aux salaires élevés, on note que 22% des informaticiens ayant effectué leurs études au Maroc ont un salaire entre 4000 et 6000 DH par mois, contre 17% de ceux ayant fait leurs études à l'étranger. 28% des informaticiens ayant une formation initiale en école ou université marocaine comprenant une partie de la formation à l'étranger ont un salaire entre 10000 DH et 15000 DH. L'enquête fait remarquer que 68% des sondés ne sont pas satisfaits de leur salaire. Par contre, 77% des répondants sont optimistes pour les prochains mois concernant leurs conditions de travail, contre seulement 23% qui sont pessimistes. Trois questions à Alexandra Montant, Directeur général adjoint de Rekrute.com «Les entreprises du secteur des IT souffrent beaucoup de la surenchère des salaires» Quelle appréciation faites-vous de cette étude ? A.M : S'il y a une chose à noter, c'est que le secteur des IT est le plus gros recruteur sur le marché marocain, en ce qui concerne tous les métiers de l'informatique et de l'offshoring. Il y a donc une surenchère des salaires. Ce qui occasionne une volatilité de ces profils. Aujourd'hui par exemple, la plupart des développeurs quittent leur emploi pour rejoindre une autre entreprise pour 500 DH de plus sur son salaire. Les entreprises de ce secteur souffrent beaucoup de cette volatilité. Soulignons que la concurrence se situe entre acteurs marocains. Pourquoi une telle surenchère ? A.M : Ce qu'on voit de plus en plus aujourd'hui, ce sont les entreprises de l'international qui viennent recruter les informaticiens marocains pour les expatrier. Beaucoup d'entreprises françaises viennent au Maroc pour piquer les bons profils. Les RH de ces sociétés viennent un week-end à Casablanca et peuvent recruter un grand nombre d'informaticiens marocains. Et une fois en France, le candidat voit son salaire augmenter de 25%. Cela ne coûte rien du tout à l'entreprise parce qu'elle paierait des fortunes pour avoir un profil similaire en France. Cette fuite de talents pose un sérieux problème sur le marché local. D'autant plus que les écoles d'ingénieurs ne produisent pas énormément d'ingénieurs en informatique pure. Ils doivent être à peu près 3000 ingénieurs informaticiens à sortir des écoles chaque année, ce qui n'est pas beaucoup pour absorber la demande du marché national. Par exemple, la société CapGemini devait recruter la semaine dernière pas moins de 200 développeurs. Et le groupe Atos envisage d'en recruter également 200 sur les trois ans à venir. Et ça, ce ne sont que deux entreprises. Cela permet de se faire une vraie idée de la demande. A.M : Quelle sont les conséquences de cette situation sur le marché local? Avec la surenchère actuelle, on va vite arriver à une situation critique, parce que le Maroc n'en produit pas suffisamment pour absorber les besoins du marché, et qu'en plus de cela, il y a des entreprises étrangères qui viennent nous les piquer. Et les conséquences sont déjà là, parce que de plus en plus de nos clients vont recruter des informaticiens tunisiens maintenant. Ils vont en Tunisie chercher de bons profils qu'ils ramènent au Maroc. Il est urgent aujourd'hui, d'augmenter le nombre d'ingénieurs informaticiens formés par an. Il y a vraiment une demande explosive sur ces profils.