Nettement moins connu que l'industrie pharmaceutique, le marché du matériel et consommable médical vole la vedette au sein du secteur global de la Santé au Maroc en étant aujourd'hui la filière qui tire le plus profit de l'effervescence des investissements dans le domaine des soins médicaux. Avec un volume de 2,5 milliards de dirhams et une tendance fortement haussière, le Maroc a tous les atouts pour mieux se positionner sur les radars des constructeurs et fabricants mondiaux. Les exploite-t-il suffisamment pour asseoir une véritable industrie, voire un nouveau « métier mondial » ? par L.M. Si en finance, la notion de « défaut transmis », qui renvoie à des situations où le défaut d'une entreprise entraîne inéluctablement des difficultés insurmontables pour une autre, fait la hantise des investisseurs ; sous un angle plus macroéconomique, l'avantage que tire certains pans économiques de la bonne santé d'autres secteurs auxquels ils sont intimement liés, pourrait bien être qualifié de «prospérité par ricochet». Au Maroc, ce fut longtemps le cas par exemple de l'ingénierie, de l'architecture ou encore des matériaux de construction pendant l'euphorie du BTP (Bâtiment & Travaux Publics) qui jouait le rôle de locomotive pour plusieurs activités qui lui étaient corrélées. Aujourd'hui, le même schéma s'applique au secteur du matériel et du consommable médical qui profite des débouchés que lui assure le développement soutenu de l'offre de soins médicaux avec un flot d'investissements sans précédent, que ce soit dans le public (dont le budget annuel de la santé a dépassé les 14 milliards de dirhams en 2016 contre 13 milliards de dirhams en 2015 et à peine 8 milliards de dirhams en 2008) ou dans le privé qui, (dans le sillage de la promulgation de la Loi 113-13 a ouvert l'accès au capital des cliniques aux non-médecins). Aussi, dans un contexte économique marqué par un dynamisme de carte vermeil (avec une croissance économique tombée à son plus bas niveau depuis vingt ans et des incertitudes multiples qui s'amoncellent sur le ciel de l'activité économique), cette « prospérité par ricochet » du secteur du matériel et du consommable n'a pas manqué d'attiser l'intérêt d'investisseurs de tous bords, tels des groupes de distribution (comme Best Health, filiale du groupe Best Financière/Label'Vie qui a repris en 2012 l'activité médicale de Philips Maroc) ou encore les fonds d'investissement dont pas moins de deux opérateurs (en l'occurrence Cap Mezzanine II et Capital North Africa Venture II que gèrent respectivement CDG Capital Private Equity et Capital Invest) ont jeté leur dévolu, au cours de cette année 2016, sur deux acteurs principaux cumulant à eux seuls près du 30% de leur marché (dont le leader incontesté Techniques Science et Santé-T2S, connu pour être le partenaire exclusif au Maroc de General Electric Healthcare). Au-delà de la taille de ce marché en profonde mutation (ce qui est souvent annonciateur de l'arrivée d'investisseurs professionnels), que peut-on dire de ses perspectives à moyen et long terme ? Quelle en est la structure entre production locale et produits et équipements importés ? Quels en sont les segments les plus porteurs ? Qui sont les premiers acteurs et quelles relations entretiennent-ils avec les fabricants étrangers ? Comment le marché est-il réparti entre commande publique et demande privée ? Le ratio dépenses de santé / PIB reste largement au-dessous de la moyenne mondiale. Avant de répondre aux questions susmentionnées, il est peut-être de bon aloi de préciser que le Maroc a inscrit l'amélioration de l'accès aux soins de santé pour sa population parmi ses priorités cardinales, avec un plan Santé Vision 2020 aux objectifs des plus ambitieux, notamment en termes d'équipement du pays en matériel médical. Et cela passe inexorablement par un rattrapage intensif en matière des ressources financières allouées à la santé, dont le ratio dépenses de santé / PIB, actuellement autour de 6,5%, devrait continuer de progresser (il était autour de 4% en 2000) pour s'approcher, à horizon 2020, de la barre de 10% qui correspond à la moyenne mondiale. Dans une phase d'investissement intensif, la composante Matériel ne cesse de prendre de l'ampleur depuis quelques années, au point de représenter aujourd'hui les deux tiers du secteur. Elle est principalement tirée par les ventes des équipements de blocs opératoires, d'appareils de radiologie et imagerie, des infrastructures de laboratoire et du matériel orthopédique. La commande publique, le principal moteur Par ailleurs, malgré un récent frémissement des achats du privé (longtemps confinés en bonne partie aux importations de matériel d'occasion vu les moyens généralement limités des médecins, seuls autorisés jusqu'en 2015, à détenir des parts dans le capital des cliniques privées), la commande publique reste le principal moteur du business du matériel et du consommable médical avec près de 70% du volume global des ventes tous segments confondus. Et cela, n'a rien de surprenant au regard de la ferme volonté des pouvoirs publics à réduire le sous-équipement patent du pays en matière de santé comme en témoignent les ratios peu enviables ci-après : avec à peine 1,1 lit par 100.000 habitants ou encore un seul équipement de radiothérapie par tranche d'un million d'habitants, le Maroc fait partie des pays les moins avancés en la matière (quand la Tunisie par exemple affiche des niveaux respectifs de 1,6 lit et 1,7). Une volonté qui se matérialise sur le registre de l'investissement par la multiplication de nouveaux CHU (Centre Hospitalier Universitaire) à travers le pays (une enveloppe de 11 milliards de dirhams a été allouée aux cinq nouveaux CHU prévus à Tanger, Agadir, Rabat, Laâyoune et Beni Mellal d'une capacité totale cumulée de 3.200 lits), la mise à niveau des cinq CHU déjà existants (à savoir ceux de Rabat, Casablanca, Fès, Oujda et Marrakech) et, enfin, la mise en place d'unités hospitalières mobiles et des unités de petite envergure (rien qu'en 2016, le budget du ministère de la Santé prévoit la création de quatorze unités des urgences médicales de proximité, la mise en service de neuf services mobiles d'urgence et de réanimation, ainsi que la réhabilitation de trois SAMU). Ceci étant dit, il n'est pas exclu, selon les observateurs avisés, que le privé rééquilibre dès 2018/19 la structure du marché avec une parité Public / Privé et ce, pour diverses raisons. D'abord, la courbe exponentielle de l'investissement public devrait commencer à s'inverser au lendemain de la livraison des différents CHU aujourd'hui en phase d'études, voire de construction. Ensuite, l'entrée en vigueur en mars 2015 de la Loi 113-13 ne pouvait donner sa pleine mesure (en termes de contribution du privé au développement du secteur de la santé en général) dès sa première année! Cela requiert, plutôt, plusieurs années. Car, si pour l'instant de nouveaux arrivants ont, certes, déjà jeté leur dévolu sur des cliniques existantes comme l'assureur Saham ou le gestionnaire de fonds d'investissement Abraaj (de concert avec Blue Mango Capital), qui ont mis la main à eux deux sur les établissements de santé Al Kindy, Yasmine et Ghandi à Casablanca, la clinique Menara à Marrakech et le Centre Méditerranéen d'Oncologie à Tanger, le rush n'a pas encore eu lieu (il faut dire que le manque de transparence et le mode de gestion de la plupart des cliniques privées actuelles rendent leur transmission à des institutionnels assez compliquée) sans compter que ce genre de transactions ne donne lieu généralement qu'à des investissements de mise à niveau. Il faudrait que de plus en plus de groupes privés et d'institutionnels s'y mettent et que les premiers projets en green-field (i.e. création ex-nihilo de nouveaux établissements) de grandes cliniques et hôpitaux privés (comme celui que Saham est en train de construire à Marrakech et qui sera doté de plus de 200 lits) commencent à sortir de terre avant que l'investissement privé en équipement médical (et en consommable qui s'ensuit) ne puisse devenir la locomotive du secteur. Par ailleurs, l'apparition de nouveaux acteurs aux moyens financiers substantiels, telles les associations et fondations spécialisées dans la santé qui érigent des hôpitaux privés de grande envergure (Cheikh Zayed à Rabat, Cheikh Khalifa à Casablanca et d'autres dans le pipe) participe également de la dilution de la part du public. Enfin, dans un pays où les ressources budgétaires sont limitées et les défis de développement humain sont multiples, l'amélioration sur le long terme de l'accès aux soins pour toute la population ne peut faire l'économie d'une contribution structurelle et décisive du privé. Même la Chine, dont l'Etat dispose de ressources intarissables, a décidé de faire appel aux investisseurs privés pour atteindre ses objectifs en termes de santé publique....alors que l'autre géant asiatique, l'Inde en l'occurrence, est lui déjà un parangon de libéralisme en la matière, avec une part du privé qui atteint 80% dans les services de soins ambulatoires et 60 % dans les soins en hospitalisation. Des perspectives solides Une fois ces arguments égrénés et ces éléments expliqués, l'appréciation des perspectives des ventes du matériel et du consommable coule de source. Rarement, un secteur aura présenté sur le moyen terme une visibilité aussi limpide et une anticipation de croissance aussi solide. Et au-delà des analyses conjoncturelles et des projections motivées, des tendances lourdes viennent corroborer ce constat. La transition démographique au Maroc vire lentement et sûrement au vieillissement de la population avec une part des citoyens âgés de plus de 60 ans qui est amenée à se hisser à 12% en 2025 contre 8% en 2015. Cette évolution s'accompagne d'un autre mouvement de fond incarné dans une croissance prononcée des maladies chroniques dues à l'obésité, le tabac et l'alcool et pathologies lourdes (le cancer est, d'ores et déjà, la deuxième cause de mortalité au Maroc et touche annuellement plus de 30.000 nouveaux cas). Enfin, la base de la population couverte par un système de prévoyance médicale (assurances, mutuelles, régimes spéciaux...) ne cesse de monter. Elle était d'à peine 16% en 2005 contre près de 60% aujourd'hui à l'issue d'une décennie d'efforts intenses et de réformes au forceps (création de l'Agence Nationale de l'Assurance Maladie, mise en place du nouveau régime RAMED, élargissement de l'AMO en faveur des salariés et plus récemment, lancement de la Couverture médicale de base des étudiants...). Avec d'autres régimes à mettre sur pied telle l'Assurance Maladie pour les Indépendants, l'objectif est d'atteindre 90% à l'horizon 2020, ce qui correspond à une couverture médicale quasi-universelle. La conjugaison de ces trois courbes fera immanquablement grimper de façon substantielle les dépenses de santé par habitant par an où le Maroc, avec à peine 350 $ (près de 3.500 dirhams) en parité de pouvoir d'achat, fait pâle figure face à la Tunisie ou la Turquie qui revendiquent respectivement le double et le triple de ce niveau. Au demeurant, pour un secteur global de la santé en pleine effervescence au Maroc, la santé du marché du matériel et consommable médical incarne non seulement un baromètre des plus fiables, mais également un indicateur avancé tant la résorption du sous-équipement du pays est une condition préalable à son objectif sacerdotal d'amélioration significative de l'accès aux soins pour sa population. Paradoxalement, quand bien même il est indéniablement générateur de valeur ajoutée et de technologie pour améliorer l'état de santé des patients en complémentarité des médicaments, il demeure nettement moins connu que l'industrie pharmaceutique qui pèse, certes, près de quatre fois plus (près de 9 milliards de dirhams pour sa seule composante privée). Cela a sans doute trait à son profil plutôt BtoB (business-to-business) que les acteurs les plus structurés cherchent à compenser en termes de visibilité par des politiques marketing volontaristes et adaptées. Mais, ce qui est encore plus vital pour le Maroc, c'est de chercher à profiter de la croissance exponentielle de ce secteur pour essayer de se positionner sur l'échiquier mondial de l'industrie des équipements médicaux, ne serait-ce que sur des créneaux à faible valeur ajoutée (assemblage, revamping...) ; alors qu'aujourd'hui, sa base industrielle est limitée à la fabrication de quelques consommables pour un volume global ne dépassant guère la barre des 250 millions de dirhams (dont une vingtaine de millions de dirhams à peine à l'export). Un saut qualitatif qui serait aussi le bienvenu pour une industrie nationale en perte de vitesse et qui peine à faire hisser sa contribution au PIB du pays (comme le prévoit le Plan d'Accélération Industrielle qui vise une quote-part de 23% contre à peine 14% actuellement).