Au moment où le Maroc entre dans une nouvelle ère grâce à la nouvelle constitution qui garantie à chaque Marocain des droits fondamentaux qui reposent sur plus de justice sociale, plus d'équité, plus de liberté, l'accès à des soins de qualité, aux médicaments, à l'éducation, l'eau potable … Que pouvons–nous dire du secteur de la santé ? Quel constat faire aujourd'hui pour ne pas retomber dans les mêmes erreurs demain ? L'évaluation d'un système de santé peut–être engagée de différentes manières. On peut l'aborder sous l'angle de l'offre et de la demande des prestations de santé. Que constatons–nous à ce sujet ? Nous constatons que cette offre des soins est toujours déficitaire. Ce qui se traduit sur le terrain par des difficultés d'accès aux soins pour les populations. Il y a une mauvaise gestion, une mauvaise répartition des moyens existant. Nous notons une concentration des structures, des ressources humaines et matérielles sur l'axe Kenitra – Casablanca. Le secteur privé aussi est présent en force au niveau du même axe, cette situation existe depuis des années et ne semble toujours pas préoccuper les décideurs au niveau du ministère de la santé au moment où toutes les autorisations d'installation et d'ouverture des structures sanitaires (cabinet médical – clinique privée – laboratoire d'analyse biologique, radiologique …) sont délivrées par le ministère de la santé. Ces décisions au gré des ans ont fini par créer des déserts médicaux au niveau de certaines régions du pays et une iniquité sans cesse importante face à l'offre de soins. Nous pouvons aussi faire une évaluation de notre système de santé en ayant recours aux différents indicateurs de santé qui sont toujours alarmant malgré les moyens colossaux injectés dans le secteur de la santé. Parmi ces indicateurs, il y a la mortalité maternelle et infantile qui ont certes enregistré quelques points positifs selon les déclarations du ministère de la santé qui bien entendu justifie les dépenses effectués à ce niveau, mais il n'en demeure pas moins vrai que ces mêmes indicateurs (mortalité maternelle : 227 décès de femmes au moment de l'accouchement pour 100.000 naissances vivantes ) ce chiffre a été ramené à 132 , c'est pas moi qui le dis, mais la ministre de la santé Yasmina Badou, il faut cependant que ces chiffres soient validés. En attendant on est au dessus des indicateurs de santé des autres pays à revenu similaire et de bien des pays sub –sahariens. Autre constat tout aussi révélateur d'un manque de cohésion, de convergence et de complémentarité pour illustrer les anomalies qui minent le secteur de la santé. C'est le manque de complémentarité entre secteur privé et secteur public, il n' y a pas de vision claire, de stratégie adaptée aux réalités qui sont vécues au quotidien par les citoyens. Le privé et le semi privé sont guidés par des objectifs qui leur sont propres, qui leur sont spécifiques et pratiquent de ce fait des politiques qui ne sont pas toujours en harmonie avec celles du ministère de la santé , c'est en grande partie ce qui explique cette anarchie dans les installations des cabinets et des cliniques privées qui poussent comme des champignons au niveau de certaines villes (Casablanca–Rabat ) entre autres, Des établissements qui se livrent une concurrence déloyale , qui pratiquent des tarifs fantaisistes pour certains et qui semblent ignorer totalement le ministère de la santé . Même le type de soins échappe a tout contrôle, on peut par exemple trouver une clinique orthopédique ou autre qui du jour au lendemain réalise des FIV. Toujours dans le registre de ces évaluations, il y a le personnel qui exerce au niveau de ces cliniques. Dans bien des cas se sont des jeunes filles sans aucune formation infirmière, sans aucun diplôme reconnu par l'état et donc par le ministère de tutelle qui font office d'infirmières aux risques et périls des malades qui ignorent bien entendu cet aspect fondamental dans la prise en charge des patients, un droit de chaque malade de pouvoir être soigné par des professionnels de santé qualifiés. Ce n'est pas le cas au niveau de certaines cliniques ou cabinets. Et puis il y a le fameux TPA, là c'est l'aberration. Des grèves, toujours des grèves S'agissant toujours des éléments qui portent atteintes et qui finissent par nuire à l'image de marque du secteur de la santé il y a les grèves chroniques qui secouent de temps à autre ce secteur. Tous les citoyens auront remarqué que depuis un certain temps, pour ne pas dire depuis quelques années, le malaise qui caractérise le secteur de la santé. Tour à tour, nous avons noté le profond mécontentement, les réactions des différentes catégories des personnels de santé. Tous les professionnels ont manifesté, ce furent les enseignants, les médecins, les infirmiers, les médecins résidents, les techniciens. Ces épisodes de malaises constants ont eu pour effet l'observation d'une série de grèves organisées par différents syndicats du secteur de la santé publique. Ces grèves sont devenues chroniques, chaque mois, chaque année depuis un certain temps le secteur de la santé a enregistré le taux le plus élevé de jours d'arrêt de travail consécutifs à la grogne qui régnait dans le secteur de la santé, Les grandes victimes de ces grèves, de ces perturbations qui se sont succédé au fil du temps sont en premier lieu les malades, qui souvent ne savaient plus à quel saint se vouer surtout celles et ceux qui venaient de loin pour un rendez-vous qui par la force des choses devenait hypothétique et renvoyait à une date ultérieure. Le malaise qui traverse de temps à autre n'est pas une exclusivité du secteur public. Le secteur privé est lui aussi traversé par des crises et connaît sa part de malaise qui sont inhérentes à la prise de décisions hâtives sans avoir pris la peine d'associer celles et ceux qui sont concernés par les problèmes. C'est notamment le cas en ce qui concerne l'investissement dans les établissements d'hospitalisation privés. On se souvient de la polémique soulevée par cette question, la réponse de l'Association nationale des cliniques privées a été immédiate. Elle avait rejeté en bloc toute idée consistant à ouvrir le capital des cliniques privées à des investisseurs non médecins, qu'ils s'agissent de groupements financiers telles les banques où les compagnies d'assurances ou tout autre investisseur privé auquel la refonte de la loi 10/94 permettra non seulement d'assurer la gestion des cliniques privées, mais d'employer des médecins en tant que salariés. La même réaction a prévalu du côté du syndicat des médecins du privé qui avait dénoncé avec force et fermeté l'idée qu'un médecin puisse être aux ordres d'un investisseur, ce qui aura pour conséquence l'anéantissement de l' implication des praticiens dans la qualité des soins et donnerait lieu à un nouveau type de dirigisme. Des réactions en chaîne Réagissant aux différentes décisions qui ignoraient totalement leurs revendications ou au blocage du dialogue avec les syndicats, les différentes catégories de professionnels de santé faisaient savoir leur profond malaise, leur mécontentement quant à la gestion de la santé par des personnes qui dans bien des cas n'ont pas les compétences requises. Le point d'orgue a été atteint, le 25 Mai 2011, lorsque plusieurs centaines voire de milliers de blouses blanches, (médecins), ont répondu présent à l'appel, pour une manifestation unitaire au niveau du ministère de la santé. Ces médecins furent tabassés, il y a eu des blessés graves L'on aurait pu penser que cette démonstration de force aurait pu donner à réfléchir aux «décideurs», force est de constater qu'il n'en est rien. Et que même si un certain nombre de revendications catégorielles légitimes ont pu être conjoncturellement satisfaites, il n'en demeure pas moins que de très nombreux autres questionnements sur le devenir du système de santé et de la gestion des carrières des différentes catégories de personnels de santé restent en suspens. Ce qui laisse présupposer que cet important secteur de la vie nationale restera toujours agonisant si de profondes réformes ne sont pas mises rapidement en chantier. Les différents syndicats du secteur de la santé ont eux aussi tour à tour organisé des grèves communes ou parfois isolément. Autre réaction de mécontentement, celle des pharmaciens d'officine qui eux aussi ont manifesté pour dénoncer la situation de crise que traverse la profession de pharmacien. A côté, il y a eu plusieurs reportages TV, les articles de presse qui ont rapporté le malaise que vivent les populations de certaines régions du territoire et dont les causes sont liées aux mauvaises conditions de soins, le manque de médicaments … Ces anomalies, ces situations de marasme, de mécontentement sont à l'évidence pour qui y regarde de près symptomatiques d'une profonde rupture entre ceux qui actuellement pensent «les politiques de santé du pays» et ceux qui les mettent en œuvre sur le terrain, au grand détriment des populations malades qui sont souvent prises en otage. Nous avons sur ces mêmes colonnes plusieurs fois soulevé ces anomalies, les dérapages, pour attirer l'attention des décideurs, mais en vain, le résultat nous le voyons aujourd'hui, la situation actuelle étant la conséquence d'un système de santé qui n'a pas su ou voulu se réformer en se débarrassant de ses archaïsmes, pour s'adapter aux nouvelles réalités du Maroc de ce début du XXIe siècle. Toutes ces anomalies ne devraient pas exister en toute bonne logique pour peu que l'on prenne la peine de confier le département de la santé à ceux qui ont des compétences avérées, une expérience dans le domaine, ceux qui excellent dans le domaine de la santé, de la gestion, des programmes de santé, des stratégies, ceux qui ont des visions clairs, ceux qui font l'unanimité autour d'eux, de vrais managers. Ces profils existent, il suffit de faire le bon choix de mettre les hommes ou les femmes qu'il faut là où il faut. Malheureusement ce n'est pas le cas pour le département de la santé. On a vu se succéder des ministres qui n'ont rien à voir avec le domaine de la santé. Il se trouvera des personnes qui diront que l'on peut gérer le département de la santé sans pour autant être médecin. Je répondrai personnellement oui, c'est vrai, mais il faut alors être entouré d'une équipe d'experts qui auront pour tâche d'élaborer des stratégies, des programmes, de fixer des objectifs clairs, précis, de prévoir à l'avance ce qui peut arriver, car gérer c'est prévoir, mais quand vous êtes en face de personnes qui n'ont rien à voir avec la santé et que ces mêmes personnes décident, il ne faut pas s'attendre à des miracles. C'est en grande partie ce qui explique la situation actuelle et les résultats auxquels on est arrivé Un dossier épineux Prenez le premier citoyen que vous rencontrez dans la rue et posez lui la question de savoir ce qu'il pense de l'hôpital public, vous en apprendrez des choses. Gestion approximative par manque d'expérience de certains directeurs d'hôpitaux, pénurie d'infirmières, matériel insuffisant ou obsolète, services d'urgence dévoyés, procédures peu voyantes, absentéisme, accueil qui laisse en certains endroits à désirer, gaspillage… sont autant de maux dont souffrent certains hôpitaux, et bien oui, il y a heureusement des hôpitaux qui sont exemplaires. Vouloir remédier à cette situation, c'est à l'évidence se pencher sur un dossier très difficile auquel n'ont pas pu faire face tous les ministres qui se sont succédé à la tête du département de la Santé, car il débouche sur la remise en cause globale du système de santé. C'est précisément là où réside le véritable problème car tous ceux qui ont eu à gérer ce département n'ont eu que des patates chaudes entre les mains, autant dire un mauvais cadeau. Mais quand ce sont des décideurs qui placent à la tête des hôpitaux des directeurs qui n'ont pas le profil, on est en droit de se poser des questions. Le plus bel exemple c'est celui d'un médecin généraliste qui a été parachuté au poste de directeur d'hôpital et comme si cela ne suffisait pas il a été nommé délégué trois ou quatre mois après. Bien sûr il y a des intérêts mais tout de même, il faut savoir raison garder. C'est sans commentaire Des disparités choquantes et pénalisantes Le secteur de la santé traverse donc une crise. En témoignent les disparités criantes qui existent entre régions. Certaines zones sont sous-équipées, sous-médicalisées. D'autres sont de véritables déserts médicaux où il n'y a rien : pas de dispensaires, pas de médecins, pas d'infirmiers, pas de médicaments. Rien. Le vide total. C'est à croire que les banlieues et la campagne font peur aux médecins. Ailleurs, c'est-à-dire au niveau des grandes villes ou de villes sélectionnées, il y a de tout : des médecins en nombre pléthorique, du matériel à ne plus savoir quoi en faire, des pharmacie pleines à craquer de médicaments… Ce sont là des incohérences que la raison ne peut accepter car elles contribuent à creuser davantage le fossé qui existe entre régions et accentuent encore plus les iniquités choquantes et pénalisantes dont souffrent nos concitoyens qui habitent les zones enclavées et reculées, où tout manque. Ce manque de planification manifeste qui persiste de nos jours s'est traduit sur le terrain par une médicalisation du sous-développement : ratios lits/population, médecin/nombre d'habitants infirmiers/nombre d'habitants... A côté de tout cela il est utile de rappeler les erreurs du passé tels la fermeture pure et simple des écoles de formation des infirmiers dans les années 80, sans oublier le mécanisme d'incitation à la cessation d'activité anticipée, le fameux DVD qui a eu l'effet d'une une véritable hémorragie, car laisser partir plus de 1200 infirmiers d'un seul coup fut une très grave erreur dont nous payons toujours le prix fort. La ministre a tenté un tant soi peu de remédier a cette situation et il faut saluer ici son engagement et sa ténacité en suppliant à droite et à gauche pour qu'on lui donne plus de postes budgétaires afin de recruter plus de personnel de santé. Il faut tout d'abord en finir une bonne fois pour toute avec le clientélisme , le favoritisme et toutes les formes d'avantages qui profitent à certains sous prétexte que se sont des proches, des partisans de tel ou tel parti auquel appartient tel ou tel ministre. Nous ne voulons plus jamais ça. Il faut que se soit clair, seules doivent prévaloir la compétence, la qualification, comme il faut aussi retenir à côté la probité, la sagesse, la droiture. Donc exit les parachutages. S'agissant des ressources humaines qui sont la colonne vertébrale du système de santé, il faut mettre en place une politique axée sur la formation des infirmiers en augmentant les quotas dans les écoles d'infirmières et prendre des mesures pour rendre ces carrières plus attractives. Concrètement, cela signifie augmenter les salaires, améliorer les conditions de vie et de travail. Donner à ces professions une reconnaissance professionnelle que pour l'instant elles n'ont pas. Il est vrai que des améliorations sont entreprises actuellement, mais à quel prix ? Lutter contre toutes les formes de corruption, assurer une nouvelle gouvernance des délégations et des centres hospitaliers où seul le mérite prévaudra… Revoir le financement de la santé , il faut donner au secteur de la santé les moyens de ses ambitions et parallèlement assurer le suivi de chaque dirham grâce à un système de contrôle et d'évaluation (cour des comptes) Il faut en finir avec les solutions de replâtrage qui consiste a faire mieux avec moins, ce qui est impossible quand il est question de santé. On ne va pas s'amuser à mettre la santé des citoyens en danger sous le prétexte fallacieux de vouloir faire des économies. Il faut cesser une bonne fois pour toute de considérer la santé uniquement en termes de coûts et de charges. Vouloir appliquer à l'hôpital les mêmes principes et les critères de gestion que ceux des entreprises remettrait inévitablement en cause l'égalité dans l'accès aux soins. Des moyens et des hommes Notre système de santé se doit de mettre à la disposition de tous les citoyens les mêmes prestations, la même qualité des soins, il faut que tous puissent avoir les mêmes chances face à la maladie. Il faut en finir avec le système de santé à deux vitesses où ceux qui ont des moyens de se faire soigner vont le faire dans les cliniques huppées ou vont sous d'autres cieux et paient en devises lourdes leurs soins; ceux qui ont une prise en charge type AMO préfèrent eux aussi les cliniques quitte à payer des dépassements d'honoraires; même chose pour ceux qui ont une assurance. Restent bien entendu les autres, tous les autres, c'est-à-dire la majorité des citoyens, celles et ceux qui n'ont pas les moyens de se faire correctement soigner et qui sont obligés de s'adresser à l'hôpital public où ils doivent se contenter de ce qu'on veut bien leur donner. Dans ce même ordre d'idées et pour conforter nos propos, il nous semble utile de rappeler que dans son plan d'action santé 2008-2012, le ministère de la Santé avait fait un bon diagnostic de la situation qui prévalait et qui du reste prévaut toujours en certains endroits en identifiant neuf actions qui visent à améliorer les conditions d'utilisation des hôpitaux. Ces actions portent sur l'accueil des usagers, l'organisation du parcours des soins et des prestations de service, l'humanisation et l'agrémentation du cadre général d'accueil par l'harmonisation et la standardisation des couleurs, des espaces d'accueil et de la signalisation dans les hôpitaux. Il s'agit donc de renforcer la relation de l'hôpital avec les usagers, d'assurer une transparence totale dans les procédures, de veiller constamment à la disponibilité des médicaments et dispositifs médicaux. Mais aussi et surtout ajouterons-nous aujourd'hui encore pour une énième fois de mettre les personnes qu'il faut là ou il faut, de confier la gestion de nos hôpitaux aux personnes compétentes, c'est pas sorcier. Une bonne gouvernance impose la nécessité d'une souplesse dans la gestion des moyens et des hommes aux niveaux administratif, technique et financier. Elle se doit d'être en harmonie avec le niveau socio-économico-culturelle de la société dans laquelle elle s'exerce. Pour atteindre les objectifs d'une bonne gouvernance, une déconcentration des pouvoirs et une décentralisation de la gestion du secteur de la santé par son administration centrale est devenue incontournable , il faut qu'elle le soi dans les faits , dans la réalité de tous les jours et non comme c'est le cas aujourd'hui où une personne décide à elle seule de tout ce qui doit se faire a l'échelon national en ce qui concerne tous les aspects qui touchent a la santé : achat de matériel , achat de médicaments , répartition et affectation des ressources humaines , nomination des directeurs des directions , des divisions , des délégués , des directeurs d'hôpitaux …C'est pas normale ce genre de gestion outrancière . Il est plus que urgent de décentraliser la gestion au niveau du secteur de la santé, décentralisation dans les faits et non dans les paroles, décentralisation des programmes de prévention, décentraliser la gestion du médicament, décentraliser la formation médicale continue … devraient être des objectifs à court terme si l'on veut sortir rapidement de la mal-gestion qui prévaut dans le domaine de la santé depuis tant d'années.