Le média américain «The Washington Post» a publié dans son édition du jeudi 8 octobre un article consacré à la politique étrangère de la Suède. Un sujet plein d'enseignements, à la lumière des récents événements intervenus dans les relations entre le Maroc et la Suède. Par Adam Taylor, journaliste, «The Washington Post» L'annulation inattendue de l'autorisation d'ouverture d'un magasin de meubles Ikea à Casablanca pourrait ne pas paraître une question d'importance géopolitique. Cependant, et alors que le ministère suédois des Affaires étrangères a minimisé la situation, plusieurs parties estiment que l'ouverture de ce premier magasin à l'enseigne suédoise a été bloquée de manière inattendue en guise de sanction contre la politique étrangère de la Suède. Ils sont nombreux au Maroc à croire que la Suède envisage de devenir bientôt le premier pays occidental à reconnaître l'indépendance du Sahara occidental, territoire contesté et revendiqué par le Maroc. L'implication de Stockholm dans un différend territorial de longue date en Afrique du Nord pourrait surprendre les étrangers, mais la politique étrangère suédoise a généré des surprises au cours de l'année écoulée. Depuis que Stefan Löfven, chef du Parti Social-Démocrate de Centre-Gauche (SAP), est devenu en octobre de l'année dernière Premier ministre, la Suède a poursuivi d'une manière subtile une politique étrangère radicale «féministe». Une politique qui l'a placée en désaccord avec un certain nombre de puissances étrangères. Des précédents Le premier signe – et le plus tragique – de cette nouvelle politique étrangère est lorsque la Suède a reconnu l'Etat de Palestine peu après que Löfven ait pris ses fonctions. «Nous espérons pouvons faire en sorte que les parties soient un peu moins inégales», avait à l'époque déclaré à CNN la ministre des Affaires étrangères, Margot Wallström. En réponse, Israël a rappelé son ambassadeur à Stockholm. Et par la suite, son ministre des Affaires étrangères, Avigdor Lieberman, a souligné en guise de reproche que le Moyen-Orient est «plus compliqué qu'un meuble Ikea». Ce à quoi Margot Wallström avait rétorqué : «Je serai heureuse d'envoyer au ministre israélien Lieberman un paquet plat d'Ikea à assembler. Il verra que cela exige un partenaire, de la coopération et un bon manuel». Un deuxième moment-clé est intervenu en mars 2015, lorsque Margot Wallström a brusquement quitté une réunion de la Ligue arabe, au Caire, après sa critique publique de la manipulation de l'Arabie saoudite des questions des Droits de l'homme. Encore une fois, la situation a dégénéré rapidement lorsque la Suède a annulé un accord majeur de ventes d'armes avec l'Arabie saoudite. Par la suite, l'Arabie saoudite et les Emirats arabes unis ont rappelé leurs ambassadeurs à Stockholm tandis que la Ligue arabe a publié une déclaration condamnant Margot Wallström. La politique étrangère de Stefan Löfven et Margot Wallström n'est pas nécessairement une rupture totale avec le passé. Des questions telles que le Sahara occidental et la lutte pour un Etat palestinien ont longtemps été soutenues par un nombre important de Suédois et la politique de Stockholm a été construite sur le consensus, et cela même sous de précédents gouvernements de centre-droit. Malgré les menaces de boycotts et les manifestations devant l'ambassade de Suède à Rabat, la prise de bec avec le Maroc n'a pas fait les gros titres de la presse en Suède. Le parlement suédois avait déjà appelé en 2012 à une motion visant à reconnaître le Sahara occidental, mais le projet a été rejeté par le gouvernement de centre-droit de l'époque qui y avait apposé son veto. Relativement peu de Suédois considèrent la question comme un enjeu majeur et les partis d'opposition ont gardé un profil bas sur ce dossier. Question de crédibilité D'autres questions ont toutefois été beaucoup plus controversées. Avant les ennuis précités avec l'Arabie saoudite, ce sont 31 chefs d'entreprise suédois qui ont ainsi publié une déclaration dans le quotidien DN Debatt, exhortant le gouvernement à maintenir de bonnes relations avec ce Royaume sunnite. «La réputation de la Suède comme partenaire commercial est en jeu», pouvait-on lire dans leur déclaration. «Concrètement, il y va de la crédibilité de la Suède en tant que partenaire contractuel», a déclaré Carl Bildt à la publication Defense News. Ce prédécesseur de Margot Wallström au ministère des Affaires étrangère sa précisé que «Cette crédibilité est importante pour un pays relativement petit comme la Suède. Toute cette situation est regrettable». Une question plus abstraite serait celle d'imaginer ce à quoi une politique étrangère indépendante ressemble. Ou comment une politique étrangère féministe pourrait être appliquée à des problèmes géopolitiques plus grands, tels que les conflits en Ukraine ou en Syrie. La politique de Stockholm l'a placée en contradiction avec certaines grandes puissances occidentales, ce qui pourrait entraîner des complications à l'avenir. Surtout, il y a eu un soutien croissant du public en Suède en faveur de l'OTAN, par exemple, en grande partie en raison des préoccupations concernant la Russie. Le parti SAP s'est historiquement opposé à l'adhésion de la Suède à l'OTAN, mais certaines voix importantes au sein de ce parti se sont ouvertement prononcées pour une coopération avec l'Organisation. Par ailleurs, un autre facteur est le désir du gouvernement Löfven d'obtenir un siège non permanent au Conseil de sécurité de l'ONU en 2017... Donc, cette nouvelle politique a fait parler les gens. «Pendant toutes mes années passées dans ce métier, je n'ai jamais constaté un intérêt international aussi fort pour la politique étrangère suédoise que pendant cette toute dernière année», confie le professeur Ulf Bjereld. «Vous pouvez, bien sûr, discuter et débattre sur le fait que cela soit bon ou mauvais, mais on est clairement en présence d'un changement». Traduit de l'anglais par Noureddine Boughanmi.