L'Afrique est en passe de devenir la nouvelle frontière d'investissement des marchés émergents. Les grands groupes marocains, du moins certains d'entre eux, ne veulent pas rater le train… Plusieurs pays sont en passe de devenir les nouvelles coqueluches des marchés financiers. Il ne s'agit plus seulement d'un engouement limité aux seuls grands marchés de la région, qu'ils soient sud-africains ou nigérians. Depuis Londres, Paris ou encore New York, on assiste à une recrudescence des investissements financiers dans toute l'Afrique. Ainsi, le 21 novembre dernier, Othman Benjelloun, Président de Finance.Com, a dévoilé son offensive en direction de l'Afrique subsaharienne et inauguré par la même occasion dans la City londonienne, les nouveaux locaux de MediCapital, sa filiale lancée en 2006 et bras armé de cette stratégie. Quelques semaines plus tard, c'était au tour de l'Office National d'Electricité (ONE) de lui emboîter le pas avec sa décision d'ouvrir une antenne dans la capitale britannique. Il est dit que d'autres groupes financiers devraient prochainement suivre cette nouvelle tendance. Pourquoi un tel enthousiasme pour partir à la conquête de l'Afrique à partir de Londres ou d'une autre capitale européenne comme Paris ? Les raisons sont multiples. Au-delà de la proximité avec les opportunités de financements et la concentration des informations, certaines tiennent aux conditions internationales, à la recherche de rendements et à la forte liquidité poussant les investisseurs en direction de nouvelles classes d'actifs plus risquées mais à fort potentiel. Parallèlement, les opportunités d'investissements se sont accrues avec plus de 522 firmes désormais listées sur les marchés boursiers subsahariens, contre à peine 66 en 2000. «En installant une filiale à Londres, Othman Benjelloun a prouvé qu'il avait le sens aigu des affaires. Et puis, d'ici à trois ans, sa banque d'affaires londonienne veut devenir l'un des groupes financiers de référence du continent africain. Cette tendance des banques d'investissement, fonds d'investissement ou autres, à s'installer à Londres ou également à Paris pour conquérir le continent a commencé il y a trois ans. La banque d'investissement Renaissance Capital a ainsi ouvert des bureaux dans la plupart des pays africains, de Nairobi à Lagos en passant par Harare», explique un ancien ministre marocain ayant participé à l'inauguration de MediCapital. Il faut dire qu'en Afrique, il y a encore des places à prendre dans la banque d'affaires. Le choix d'abriter le siège de MediCapital Bank à Londres, véritable place financière, procède de sa forte renommée et notoriété sur les marchés financiers internationaux, plus prononcées qu'à Paris ou Francfort, et vient aussi du fait qu'elle regroupe les sièges européens de la plupart des banques d'affaires et de marché du monde. Un choix stratégique La présence de MediCapital Bank à Londres permettra aux investisseurs internationaux d'accéder aisément aux différents marchés de la région africaine tout en disposant de mécanismes de couverture des risques les plus sophistiqués. En effet, pour un investisseur international, obtenir aujourd'hui un prêt pour monter un projet entrepreneurial (même prometteur et solide) en Afrique reste compliqué. Ainsi, de nombreux investisseurs hésitent encore à y effectuer des placements, faute de compétences en matière de sélection d'entreprises et d'accompagnement de l'entrepreneur. Ainsi, le problème numéro un des investissements en Afrique n'est pas tant le manque de bons projets entrepreneuriaux, ni même le manque de fonds disponibles, que le fait de passer par le bon intermédiaire. Celui-ci, qu'il s'agisse d'une banque d'investissement, d'un fonds d'investissement ou autre, assure le relais entre l'investisseur qui souhaite placer de l'argent et une entreprise qui en a besoin. C'est ce rôle d'intermédiaire qu'entend jouer MediCapital Bank. Cette dernière a ainsi vocation à accompagner les investisseurs internationaux en Afrique du Nord, de l'Ouest et en Afrique Centrale.Pourtant, voilà plus de deux ans qu'Othman Benjelloun mise en Afrique sur l'activité banque d'affaires. En 2006, il était déjà sur tous les fronts, préparant notamment le lancement de Medicapital Bank qui compte, parmi ses administrateurs, Peter Cooke, le «créateur» du ratio du même nom. Cette banque d'affaires est ensuite entrée au capital du groupe tunisien Axis, spécialisé dans le conseil financier et l'intermédiation boursière, avant de lancer en juin 2006 le groupe financier Axis Capital. La filiale londonienne de BMCE Bank est également le premier actionnaire privé (avec 20 % du capital) de la Banque de développement du Mali, le plus important établissement du pays, et elle contrôle La Congolaise de Banque (25 % du capital). Pendant cette même période, le patron de BMCE bank lançait BMCE Capital Afrique (avec Dakar comme siège), qui couvre l'Afrique de l'Ouest et Centrale, et devrait être secondée par une nouvelle structure basée au Cameroun, dédiée aux infrastructures et aux interventions sur la Bourse de Douala. Jusque-là, la filiale africaine de BMCE Capital se positionnait plutôt sur la captation des flux d'affaires engendrés par les grands contrats d'équipements ou d'infrastructures, ou encore par les privatisations. Aujourd'hui, la création de MediCapital Bank à Londres permettra de consolider également les liens avec les institutions financières internationales. Pour autant, malgré cette force de frappe, Othman Benjelloun aura fort à faire face aux mastodontes européens, présents depuis très longtemps sur le continent. Pour les sociétés nouvellement venues sur le marché, tout n'est pas rose. Il est assez difficile, par exemple, pour ces dernières, de se positionner sur les opérations les plus lucratives. Car les grandes banques internationales ne s'intéressent pas beaucoup au financement de projets d'infrastructures, car cela leur prend trop de temps. Par contre, elles sont attirées par les privatisations, elles accompagnent la venue des multinationales ou interviennent sur des secteurs moins risqués comme l'exploration pétrolière. Une grande force de frappe Dans le même temps, pour des raisons de rentabilité, de visibilité et de structures de coûts, elles ont délaissé le conseil et les fusions-acquisitions pour se focaliser sur des opérations plus lucratives : prêts pétroliers, financements de projets miniers, d'infrastructures, opérations de couvertures, négoce de matières premières, etc. Cette donne, MediCapital Bank l'a intégrée dès le départ dans sa stratégie de conquête de l'Afrique. Pour ses responsables, l'objectif n'est pas de concurrencer les grandes banques internationales déjà présentes en Afrique et engagées dans des projets nécessitant des financements très importants. C'est ainsi que la filiale britannique de BMCE veut plutôt se positionner sur des deals intermédiaires considérés comme trop petits par les grandes banques internationales et trop importants par les banques domestiques. Le rôle de MediCapital Bank sera dans ce cas d'offrir aux entreprises africaines la possibilité d'accéder à des financements sur les marchés internationaux pour des transactions comprises entre 50 et 400 millions de dollars. Cette stratégie de positionnement est justement soutenue par une double présence en Europe et en Afrique qui permet de répondre pertinemment aux attentes de la clientèle cible à travers une structure de coût hybride et une connaissance approfondie des deux milieux d'affaires. Sur le terrain, les activités de MediCapital Bank seront également menées à partir de Paris, pour ce qui concerne les métiers de conseil, de la supervision du réseau de banques d'affaires en Afrique et de Trade Finance, avec pour ambition de développer ultérieurement les activités de gestion privée et Asset Management. La filiale de Madrid poursuivra son rôle de développement des relations d'affaires entre l'Espagne et l'Afrique. Dotée d'un budget initial d'environ 10 millions de dollars, MediCapital se tournera d'abord vers l'Afrique francophone. Mais elle cherchera très vite à mettre un pied dans les pays ayant un marché financier développé (Afrique du sud, Ghana, Kenya, Tanzanie ou Nigeria). Et elle a déjà programmé de s'implanter en République Démocratique du Congo, au Bénin et au Burkina, là où n'existent pas encore de banques d'investissement. Si la troisième banque marocaine retrouve sur sa route ses principaux concurrents nationaux, Attijariwafa Bank et le groupe des Banques Populaires, elle veut tout mettre en œuvre pour faire la course en tête. Déjà, à en croire une source qui a assisté à l'inauguration de MediCapital, Othman Benjelloun a affirmé ce jour-là avoir la garantie de devenir l'actionnaire majoritaire de Bank of Africa (BOA) en 2009, une banque dans laquelle son groupe détient 35%.Comme Othman Benjelloun, Younès Maâmar a également choisi Londres pour le déploiement de l'ONE en Afrique. Il faut dire que le patron de l'Office, ex-expert de la Banque mondiale, a eu à exercer à Londres dans le secteur de l'énergie et de ses financements. A l'instar de BMCE, il veut placer la filiale internationale de son groupe au cœur des opportunités de financement sur l'Afrique. Ainsi, il n'a pas hésité à nommer à la tête de ONE International, Mohamed Sédenou, un ex-expert de la Banque Mondiale ayant exercé aussi à Londres. En effet, la crédibilité de ce type de société s'établit sur la réputation et le carnet d'adresses de leurs dirigeants, pour la plupart issus des grandes banques d'affaires ou de grands organismes. A l'origine de cette ambition de conquête pour l'Afrique, l'expertise engrangée par l'ONE dans le domaine de l'électrification rurale à travers le PERG (Programme d'électrification rurale globale), lancé en 1995, consiste à électrifier le monde rural marocain et arrive à terme au courant de cette année. Seulement, voilà une année que l'ONE cherche à trouver un pendant financier à son expertise qui s'exporte bien sur le continent africain. Pour cela, il faut aller vers les bailleurs de fonds de diverses nationalités pour qu'ils rallient la nouvelle structure. Rappelons que l'ONE a sélectionné une série de projets en Afrique sur la base de leur retour sur investissements. L'ONE International se donnera trois axes: les réhabilitations, les recouvrements auprès des clients et la mobilisation des fonds. La mise en place de ce concept répond à la stratégie de l'ONE de devenir un acteur majeur en Afrique, marché caractérisé par un taux d'électrification faible, soit 24%. D'ici 2030 et selon les estimations de l'AIEA (Agence internationale de l'énergie atomique), l'Afrique devra investir 450 milliards de DH, soit l'équivalent de 20% de son PIB global actuel, pour porter son taux d'électrification à 50 %. C'est dire tout l'intérêt de l'ONE de mettre en place les mécanismes devant le doter d'une présence importante plus au Sud. Aux traditionnelles missions de coopérations Sud-Sud, le management actuel de l'ONE veut suppléer des solutions durables, à travers des accords commerciaux. C'est dire que l'intérêt pour l'international trouve sa raison dans l'arrivée à terme du programme PERG. Et cela doit passer par Londres. Les programmes d'électrification rurale à travers le continent sont généralement financés par des organismes internationaux.