A l'heure de la crise économique, un secteur se fait envier pour son trend d'expansion : le business écolo. En effet, des entrepreneurs à l'étiquette verte se sont lancé dans la commercialisation de solutions d'économie d'eau et d'énergie, de traitement de déchets ou encore d'habitat et de mobilier écolo. Des entrepreneurs militants qui saisissent cette opportunité pour faire du business afin de pérenniser leur démarche, tout en jouant le rôle de conseillers en la matière en sensibilisant leurs prospects aux bons réflexes à avoir pour préserver les ressources naturelles. L'écologie n'est donc pas, comme on le pensait naguère, une lubie occidentale, mais bien une nécessité et une opportunité d'affaire. Quelle meilleure façon de sensibiliser les Marocains à cet enjeu que de le faire par le truchement de la rentabilité. “La crise économique est un reflet de la crise écologique», affirme Moundir Zniber, président de l'association Pour un Maroc Vert. En effet, la mauvaise gestion des ressources naturelles est à mettre en cause dans le marasme économique actuel. Dans le même ordre d'idées, la recherche de solutions aux problèmes actuels passe obligatoirement par le truchement écologique. «La crise économique pousse tout un chacun à se poser des questions et à essayer de chercher les solutions adéquates dans une démarche qui respecte la nature», argue Oussama Moukmir, directeur général de Dhiba construction. Aussi, la crise économique représente une vraie opportunité pour les entreprises qui investissent le créneau vert. Ces dernières sont en pleine expansion et comptent de plus en plus de clients, ou tout du moins de demandes de conseil. Du militantisme au business La raison de cet engouement est simple, ces entreprises, chacune dans son domaine, peuvent désormais prouver l'efficacité de leurs procédés dans l'économie d'eau et d'énergie, la gestion des déchets ou encore l'habitat et le mobilier écologiques. Certes, ces entreprises sont encore jeunes et n'ont, pour la plupart, pas encore atteint leur rythme de croisière, mais leur démarche est de plus en plus couronnée de succès. D'autant que cette démarche émane avant tout d'une conviction. C'est le cas de Rajaa B Alami dont l'entreprise, Ecofertil, fait office de précurseur dans son domaine. En effet, c'est à l'aube des années 90 que cette philanthrope a transformé l'essai en investissant le domaine de la culture raisonnée à travers la fertilisation naturelle. «Je poursuis certes un idéal, à travers mon entreprise, mais cela ne peut se faire sans une logique de rentabilité», avance-t-elle, étayant ainsi qu'elle est une vraie femme d'affaires. On est loin de l'image du militant écolo farfelu qui n'a d'yeux que pour une utopie qui ne saurait être souillée d'une logique économique. D'ailleurs, ces entrepreneurs verts ont un discours moderne où l'on préfère parler culture raisonnée plutôt que biologique. La logique de rendement est bien présente à leur esprit, car elle est le seul garant de leur pérennité. Plus encore, c'est le meilleur argument pour sensibiliser les acteurs nationaux. «Il faut démontrer les avantages économiques de nos procédés à nos clients», nous explique la patronne d'Ecofertil, avant de poursuivre : «Cela nous met d'emblée dans une obligation d'accompagnement de nos clients et nous permet par ricochet de les sensibiliser aux bons réflexes à avoir». Un autre entrepreneur vert, Saber Cherif Kanouni, directeur général de la société Acoram, nous décrypte les spécificités du business dans ce créneau: «La progression de notre chiffre d'affaires est exponentielle ces dernières années». Sauf qu'il précise que cela se fait moins par le gain de nouveaux clients que par un effet de grossissement des anciens clients. «Notre portefeuille client est restreint et fidèle. Nous aidons nos clients à grossir et par ce biais, nous augmentons notre chiffre d'affaires», se réjouit-il. Culture raisonnée plutôt que bio Acoram est devenu une référence en la matière en intégrant différents métiers qui offrent des solutions de rationalisation. Le premier domaine d'expertise de cette entreprise concerne le domaine agricole. Les solutions à ce niveau tournent autour du Polyther, une matière organique, naturellement dégradable, qui joue le rôle de rétenteur d'eau mais aussi de fertiliseur. Un kilogramme de cette matière peut absorber jusqu'à 200 litres d'eau. Aussi, en y intégrant la racine de la plante, cette dernière y puise son besoin au plus juste en évitant le gaspillage hydrique. «Le résultat est spectaculaire. La masse de la racine est plus grande, mais aussi plus profonde», s'enorgeuillit Saber Kanouni avant de renchérir : «grâce à ces procédés, on se retrouve avec une récolte plus précoce et plus nombreuse, en meilleure santé et qui plus est de meilleure qualité». L'argument fait mouche, d'autant qu'il parle volontiers culture raisonnée ayant une meilleure productivité que culture bio et usant d'un minimum de produits chimiques. Grâce à ces procédés, la production de l'hectare peut passer de 240 tonnes à 400 tonnes. Acoram investit aussi le secteur industriel à travers le traitement des déchets. Cependant, la taille des marchés représente un obstacle à l'entrée pour une structure à la taille limitée. Un état de fait qui oblige l'entreprise à se placer en amont avec le conseil et en aval à travers la sous-traitance. Notre jeune entrepreneur fait contre mauvaise fortune bon cœur, en se contentant de marchés partiels. Le dernier volet de son déploiement s'intéresse à l'hôtellerie et aux habitations pour particuliers. Dans ce domaine, les solutions les plus prisées sont celles qui permettent une économie d'eau et d'énergie. «Un simple économiseur d'eau permet de baisser le débit d'un robinet de 15 litres par minute à 5 litres», explique Saber Kanouni. Il est possible de faire la même chose pour les douches, tout en gardant le même niveau de pression grâce un mélange air et eau. Pour les toilettes, qui représentent 40% de la consommation en eau d'une maison, la technique utilisée est celle des barrages, car la pression dépend de la hauteur de l'eau et non de sa quantité. Darlink est un autre exemple d'entreprise opérant sur ce créneau. Créée il y a moins de deux ans à Marrakech, cette entreprise répond à un besoin croissant qui ne trouve pas encore une offre suffisante. Son directeur général, Jérôme Dubrocard, explique : «Mon premier objectif était d'investir dans l'immobilier sur Marrakech. Mais, très vite, je me suis rendu compte qu'il y avait une opportunité à saisir dans les solutions écologiques. En effet, il y avait beaucoup de bruits autour de cette question et une offre quasi inexistante». Comme toujours chez les entrepreneurs verts sondés pour les besoins du dossier, tout part d'une conviction. Puis celle-ci est ponctuée par une opportunité d'affaire. Et là encore, pour cette catégorie d'entrepreneurs, le processus est intégré. Il faut d'abord conseiller le client, lui vendre les produits et l'accompagner dans la mise en place et dans la résolution de problèmes ponctuels. Cela permet aux businessmen verts de se targuer d'un taux de réussite de 100%. Ecolo, un argument commercial ! Jérôme Dubrocard s'intéresse tout particulièrement aux riads marrakchis qu'il dote d'installations hydro économes. Il faut compter 2500 dirhams pour 10 chambres, mais à terme, le retour sur investissement est garanti en termes d'économie sur les charges, sachant que l'effet image est aussi important. Cela peut se révéler être un excellent argument commercial. Pour les particuliers, il faut compter 100 dirhams par robinet ou pommeau de douche. Mais Jérôme, comme les autres, se sent investi d'une mission de sensibilisation, notamment à propos des détergents à base de phosphates qui sont très nocifs. Et comme les convictions sont souvent une histoire de famille, le frère du patron de Darlink, Nicolas, a choisi de se positionner sur le même créneau en lançant ADS, une agence d'accompagnement pour les enseignes qui souhaitent se lancer dans une démarche écologique. C'est justement la même idée qui sous-tend la création de Gaîa, agence de conseil en stratégie et déploiement de politiques de développement durable. Elle a pour but de fournir aux entreprises marocaines une offre complète de services afin de promouvoir la responsabilité sociale et environnementale de l'entreprise. Ces entreprises défendent la nature et la bonne gestion des ressources, mais aussi la culture et les spécificités locales, car les deux idées sont intimement liées. L'homme vit sur cette planète depuis des milliers d'années et a donc développé pendant ce laps de temps une foule de techniques qui lui permettent de jouir des ressources qui l'entourent tout en les respectant. Oussama Moukmir, directeur général de Dhiba Construction, se base depuis sa réorientation vers le créneau écologique sur des techniques ancestrales de construction en terre. Un savoir faire qui se perd petit à petit au gré des maîtres-artisans qui s'éteignent. Le patron de Dhiba avance donc : «Nous essayons de profiter du savoir faire des anciens en les intégrant dans des équipes qui comprennent aussi des jeunes». Les jeunes sont là pour reprendre le flambeau, mais aussi pour apporter leur ouverture à d'autres techniques. A titre d'exemple, l'expérience italienne en matière de chaux est fort édifiante, surtout que le Maroc est riche en roches sources de calcaire. L'entrepreneur fait encore la plus grande partie de son chiffre d'affaires en constructions classiques, mais celui émanant des bâtiments écologiques s'apprécie de plus en plus, pour atteindre en 2008 les 5 millions de dirhams. Oussama Moukmir est enthousiaste par rapport à cette activité: « La terre résout 80% des problèmes d'isolation, aussi bien thermique que phonique. C'est aussi un très bon isolant contre l'humidité». L'entrepreneur a même des raisons personnelles de poursuivre son activité. En effet, souffrant d'asthme, il y trouve un remède pour lui-même. Pour l'instant, la demande se focalise sur la haute et moyenne gamme. Pour le logement économique, circulez, il n'y a rien à voir… En tout cas, pour le moment. «Il est difficile de concevoir un immeuble de 10 étages en terre. Toutefois, en changeant d'approche, c'est possible de faire dans le logement économique», argue le DG de Dhiba. Il en appelle au ministère de l'Habitat pour étudier la possibilité d'une nouvelle approche. In fine, c'est plus le confort global et la qualité de vie qui doit être recherchée. Il n'y a pas encore de projets biologiques en totalité, cette offre demeure un complément pour les complexes, mais la demande est bien là. Et pour meubler cet espace écolo, Kitea vient de lancer un processus pour proposer du mobilier écolo sans que la différence de prix avec le mobilier classique ne soit significative. Cet échantillon d'entreprises vertes est représentatif d'une tendance générale. En effet, l'écologie a le vent en poupe. Mais cette tendance semble être lourde. Elle fait fi de tout effet de mode, car le besoin va crescendo. Les jalons du succès Cet échantillon de précurseurs jalonne le chemin à prendre et prend la responsabilité de la sensibilisation de fait. Mais le chemin est encore long, car le travail de sensibilisation en est à ses balbutiements. Ces entrepreneurs ont le mérite de poser la question sous un angle économique et rationnel. De ce fait, même si l'écologie est le dernier de nos soucis, elle représente une opportunité de différenciation de l'offre Maroc. Certaines des entreprises citées sont tournées aussi vers l'étranger. C'est le cas d'Acoram, qui connaît un succès foudroyant en Afrique subsaharienne. Elle a même réussi à prendre en charge la muraille verte, un projet de ceinture naturelle contre la désertification. Un projet colossal, 7.000 kilomètres de long pour 5 kilomètres de large, qui permet à l'entreprise de se faire encore plus de notoriété tout en oeuvrant pour le but ultime de la sauvegarde de la planète. Elle fait ainsi d'un brin d'herbe deux coups. En tout cas, tout ce beau monde, et plus encore, profitera du village vert du festival africain de l'écologie pour sensibiliser les gens à leur cause et leurs activités, à travers des ateliers pédagogiques. Leurs expériences montrent que l'on peut gagner de l'argent tout en défendant ses convictions. Interview Moundir Zniber Président de l'association Pour un Maroc Vert et organisateur du Festival Africain sur l'Ecologie Challenge Hebdo : l'écologie n'est-elle pas un luxe pour une économie émergente comme celle du Maroc ? Moundir Zniber: L'écologie est une nécessité, un tremplin économique et social, mais surtout un moyen d'inscrire l'économie dans une logique pérenne. Le système économique a ignoré les ressources et droits collectifs. Mais dès que l'économie se veut durable, elle rime avec écologie. Les opportunités en termes d'économie d'eau et d'énergie sont énormes et à long terme, cela représente une vraie opportunité d'affaire. C.H. : y a-t-il donc lieu de parler de business vert ? M.Z. : l'écologie est un créneau très porteur. On constate même qu'en ces temps de crise, les PME-PMI opérant sur ce domaine d'activité sont en expansion, à l'opposé de ce qui se passe dans les autres pans de l'économie. Aujourd'hui, les énergies renouvelables, la gestion de déchets et les solutions d'optimisation énergétique et hydrique sont en plein essor. En somme, la crise économique est un reflet de la crise écologique, ce qui nous conduit à penser que l'écologie représente une porte de sortie. C.H. : quels sont les obstacles auxquels vous avez dû faire face pour organiser la deuxième édition du festival africain sur l'écologie ? M.Z. : la principale difficulté est due au manque de moyens. Le partenariat stratégique avec Ynna Holding nous aide beaucoup dans ce sens, surtout que ce groupe, qui est leader dans le développement durable, a compris que sur un horizon de 15 ans, cette démarche présente beaucoup d'intérêt. C.H. : de manière plus générale, quel est le chemin que vous préconisez pour notre pays en matière d'écologie ? M.Z. : il faut que le Maroc sorte de sa logique court-termiste. L'économie est certes une priorité, mais son développement ne doit pas se faire sans prendre en compte l'importance de l'environnement et de l'identité culturelle. Une stratégie de développement durable est donc nécessaire pour pérenniser l'économie et la doter d'un caractère social. L'Europe après 150 ans d'industrialisation s'est rendue compte de ses erreurs. A nous de tirer les leçons des erreurs des autres. Vers une taxe verte ? Tous les indicateurs le montrent bien aujourd'hui: l'engagement pour une rationalisation de la gestion des ressources naturelles et l'action pour la sauvegarde de l'environnement est urgent. Toutefois, la question du financement de ces actions est un vrai obstacle pour cette démarche. D'aucuns parlent de la possibilité d'instaurer une taxe industrielle verte pour remédier à ce mal, et seules les entreprises démontrant une démarche d'optimisation en seront exemptes à travers une logique fiscale récompensant leurs efforts. A une autre échelle, ce sont les communes et les wilayas qui portent la responsabilité du souci écologique dans leurs zones de compétences. Et ce, à travers la gestion des espaces verts et de la propreté dans les villes. A l'heure où l'on élit nos responsables communaux, il est de bon de ton de les mettre devant leurs responsabilités et de les appeler à fournir plus d'efforts dans le sens de ce confort vital. Interview Abdelkrim Bennani Cet expert conseil et directeur de Noratech dresse le tableau de l'opportunité économique de l'approche écologique Challenge Hebdo : est-ce que écologie peut rimer avec économie ? Abdelkrim Bennani : je dirais que les actions concrètes en matière d'écologie et de protection de l'environnement sont la prévention et le traitement des différentes pollutions engendrées par les activités humaines. Et dans ce sens, ces actions riment souvent avec l'économie, car la prévention des pollutions évite d'avoir à les traiter en aval pour se conformer aux normes des rejets, alors que le traitement peut s'accompagner de recyclage et par conséquent d'économie d'énergie, d'eau et de ressources naturelles. C.H. : les procédés d'efficacité énergétique sont-ils rentables ? Et à quel horizon ? A.B. : oui, lorsque vous économisez de l'énergie par amélioration des performances énergétiques des équipements, vous consommez mieux et vous payez moins. Quant à l'horizon, ça dépend du type de projet d'efficacité énergétique. Il y a des projets à faible temps de retour (moins d'une année) et d'autres dont le temps de retour sur investissement peut être plus ou moins long et peut atteindre parfois 4 ans. La réalisation de ces projets devient une affaire de stratégie d'investissement. Sans oublier que certains projets peuvent bénéficier de mécanismes prévus dans le Protocole de Kyoto en matière d'atténuation des émissions de gaz à effet de serre. C.H. : au-delà de l'aspect militant, quel est le meilleur argument pour sensibiliser à ce genre de démarche ? A.B. : Plusieurs mécanismes sont utilisés pour sensibiliser les opérateurs industriels à aller vers des projets d'efficacité énergétique. Je citerais à titre d'exemple les actions de formation et de sensibilisation, mais aussi la nécessité de mise à niveau énergétique des industries pour les amener à se conformer aux normes internationales. Sans oublier les subventions accordées par les pouvoirs publics (ONE, ANPME, CDER, ...), ainsi que par les bailleurs de fonds privés et le développement de fonds de garantie permettant de lever des moyens pour la mise en oeuvre des projets d'économie écologique.