Les entreprises d'assurances doivent faire face à des marchés financiers marqués par une volatilité élevée, à une forte concurrence et aux exigences de solvabilité. Affectées par ces contraintes, ces sociétés sont devenues assez vulnérables. Elles doivent, de ce fait, non seulement surveiller attentivement leur résultat technique mais user, également, du maximum de professionnalisme au niveau de leur gestion financière. L'année 2013 a, encore une fois, été marquée par une forte baisse des marchés financiers. Ce contexte économique et financier de crise a fortement affecté le secteur de l'assurance : les baisses boursières, une activité économique atone, un manque de liquidité inquiétant, sont des facteurs explicatifs de cette situation. Celle-ci entraine une diminution des plus valus latentes et des revenus financiers qui contribuent moins que les années précédentes à l'équilibre des résultats techniques. Cela doit, donc, inciter à une profonde réflexion pour une nouvelle vision de la gestion financière chez les entreprises d'assurances. La volatilité des marchés financiers : une opportunité plus qu'un risque L'environnement financier, depuis les années 2000 a été marqué par une financiarisation de l'économie et une internationalisation des marchés. La financiarisation de l'économie est le résultat combiné d'un ensemble d'éléments qui tendent à privilégier la négociabilité des actifs et des passifs : négociabilité de la dette publique, privatisations, titrisation, montée en force des marchés à terme. Mais, cette libéralisation des flux financiers n'a pas été sans provoquer des perturbations. La volatilité a marqué ces dernières années. Les exemples ne manquent pas pour illustrer cette volatilité. Les taux d'intérêt ont connu des évolutions très contrastées mais avec une tendance générale vers la baisse. Le marché des actions a suivi une courbe en cloche. Enfin, le marché immobilier est resté très dépressif. Lorsque l'on aborde les problèmes des fortes fluctuations et de la gestion des risques, il est facile de se laisser aller au pessimisme. Il faut résister à cette tentation, se débarrasser de l'anxiété naturelle provoquée par les oscillations des marchés. Si beaucoup de commentateurs ont insisté sur l'augmentation des risques et la volatilité des marchés, c'est parce qu'ils n'avaient pas les outils d'analyse et de compréhension adéquats pour les décrire finement. L'impression de risque actuelle est une conséquence de ce manque de connaissances. Il convient donc d'établir un nouveau cadre de réflexion sur les marchés financiers. Les fluctuations ne sont pas une menace, mais une chance. Les innovations de marché qui en découlent facilitent un partage des risques judicieux. Elles ne permettent pas de supprimer les risques, mais favorisent leur passage aux marchés les plus à même de les porter, c'est-à-dire de les gérer, de les tarifer et de les couvrir. Il est vrai que les acteurs de l'assurance (dirigeants, actionnaires, tutelle) évoluent dans un environnement très difficile. Les nouveaux marchés financiers et les outils qu'ils fournissent vont permettre de distinguer le véritable talent des assureurs, de ce qui ne relève pas de leur champ d'action. Trois principes d'une gestion traditionnelle Les principes d'une saine gestion financière présentés ci-dessous reposent sur l'étude approfondie des marchés financiers et l'observation des contraintes réglementaires de la profession de l'assurance. Ils sont simples : rentabilité, liquidité et sécurité. La rentabilité A ce niveau, deux options s'offrent aux entreprises d'assurances : on peut rechercher une rentabilité sans risques, à travers des obligations du Trésor par exemple, ou rechercher une rentabilité avec risques, à travers les actions ou le marché immobilier. Dans le premier cas, la rentabilité peut être prise en compte immédiatement puisque très peu de risques pèsent sur ces investissements. C'est l'option qui, compte tenu de la volatilité du marché financier actuellement, semble être privilégiée par les compagnies d'assurances. En effet, en 2012, l'encours des actifs des taux est dominé par le portefeuille obligataire, soit 93%, contre 7% pour le portefeuille monétaire. Dans le second, la rentabilité immédiate est très faible, mais la rentabilité différée importante. Il n'est donc pas possible de dégager cette rentabilité à tout moment. Le tableau 1 illustre les évolutions contrastées de la rentabilité sur le compartiment des actions à travers l'évolution des plus values latentes des actions cotées en bourse par secteur d'activité : Ce constat est encore conforté, si on regarde de très près, au niveau du tableau 2 (exercice 2012), la répartition des revenus par nature de placement des entreprises d'assurances où les rendements sont partout en baisse, s'agissant des actifs actions : Le rôle du gestionnaire est, évidemment, de choisir entre rentabilité et risque. Ce choix permanent est sanctionné par un taux de retour sur investissement mesuré sur une longue période. Cette dernière précision est essentielle. On ne saurait porter un jugement sur la qualité de la gestion que dans une perspective de long terme. La liquidité La liquidité est un vrai risque. L'assureur peut avoir à décaisser de grosses sommes, pour indemniser des sinistres importants, des catastrophes naturelles ou faire face à de mauvaises années en réassurance, par exemple. En assurance vie, les options de rachat des contrats représentent des risques assez lourds. Il est donc nécessaire de structurer le portefeuille de façon à obtenir des liquidités très rapidement. De nombreux outils, à connaître et à utiliser à bon escient, répondent à cet objectif. La sécurité Le rôle d'un assureur est de couvrir les risques et non de les prendre. D'ailleurs, prendre des risques ne permet pas toujours d'améliorer sensiblement le taux de rentabilité sur l'investissement Qu'en est-il en période de forte fluctuation des marchés ? D'abord, la réglementation permet encore aujourd'hui aux assureurs de faire face aux aléas et aux évolutions des marchés. Ensuite, les techniques de gestion actif-passif sont d'une grande utilité et aident les assureurs à bien faire leur métier. En effet, pour se protéger contre ces risques de fluctuation des taux d'intérêt et des valorisations boursières, les assureurs ont développé des techniques élaborées de gestion coordonnée de leur actif et de leur passif. Ils doivent d'ailleurs, effectuer des simulations afin de vérifier périodiquement l'adéquation de leur actif et de leur passif en fonction des évolutions des marchés financiers. Dans le domaine comptable, des dispositions imposent une évaluation prudente des actifs gérés par les sociétés d'assurances. Sur le plan prudentiel, les placements sont soumis à des règles de répartition et de dispersion devant éviter la concentration des risques. Ils doivent couvrir à tout moment, à l'actif, les engagements pris envers les assurés, dont le montant est représenté, au passif, par les provisions techniques Au final, cette gestion traditionnelle est une garantie pour les clients de pouvoir compter sur leur assureur à tout moment, quelles que soient les conditions des marchés. C'est la meilleure manière de conserver la confiance des assurés. Les risques liés à la gestion financière de l'assurance vie Dans un contexte de forte volatilité des marchés, les sociétés d'assurances gérant la branche vie sont exposées à deux contraintes évidentes. Elles doivent assumer leurs engagements, c'est-à-dire faire face aux risques consécutifs à l'évolution des marchés. Elles doivent aussi adapter leurs engagements, c'est-à-dire leur gestion et les caractéristiques de leurs contrats, afin de faire profiter leurs clients de bonnes performances à long terme. Assumer les engagements : rachats avances et autres options Le principal risque en période de forte fluctuation des marchés est celui de la sortie des capitaux. Trois possibilités méritent une attention particulière : le rachat, l'avance sur contrat, le passage, dans un contrat multisupport, de la valorisation en un actif fixé à l'avance à la valorisation en unité de compte. Le risque de rachat Le risque de rachat dépend de la position du taux de capitalisation par rapport aux taux de rendement proposés sur le marché de l'épargne. Il dépend aussi, heureusement, de la qualité de la vente. Mais le souhait est que le législateur favorise le cadre réglementaire correspondant pour rendre ce critère financier essentiel pour la stabilité des contrats. Il faudra donc être capable de faire évoluer rapidement le taux de capitalisation. Cela implique d'avoir une partie de l'actif à taux variable, tout en limitant le taux des actifs à risques, afin de garder la maîtrise du taux de capitalisation. La part de placement à taux variable dépend du niveau des taux et des différents flux de l'actif (revenu, remboursement des valeurs mobilières) ou du passif (croissance des provisions mathématiques). Les sociétés anciennes ont plus besoin d'actifs à taux variable que les sociétés récentes en forte expansion. Cependant, la couverture qui permet de se prémunir contre la hausse des taux a un coût variable selon les conditions de marché. C'est pourquoi il ne faut pas hésiter à utiliser toute la panoplie de produits adaptés pour réaliser une couverture adéquate à un moindre coût. L'existence d'option de rachat implique, en période de forte fluctuation des marchés financiers, une gestion rigoureuse basée sur des minima d'actifs à taux variable et des maxima d'actifs à risque. Le risque d'avance sur contrat Il n'et pas rare que le taux d'avance dépende du taux de capitalisation. Cela ne pose pas de problème tant que celui-ci dépasse le taux des marchés financiers, ce qui est presque toujours le cas. Cependant, si le taux de capitalisation devient inférieur au taux des marchés financiers, ne serait-ce que pendant quelques mois, le souscripteur a intérêt à recourir à l'avance, afin de réinvestir son argent dans un placement plus rémunérateur, au moment même où l'assureur a besoin de nouvelles ressources pour augmenter le taux de rendement de son actif. Pour cette raison, l'indexation du taux de l'avance sur le taux de capitalisation représente un risque financier important. Le risque de transfert au sein des contrats multisupports Un nouveau risque est apparu ces dernière années : celui du transfert, dans un contrat multisupport, d'un support basé sur un actif comptabilisé à la valeur historique vers un support en unité de compte estimé au prix de marché. Les clients avertis, c'est-à-dire la majorité d'entre eux, ont intérêt à délaisser le fonds général après une forte baisse des marchés financiers. Ils laissent ainsi la moins-value à la mutualité des assurés, et reviennent au fonds général pour partager les plus-values, une fois celles-ci reconstituées. En tant que gestionnaires d'une mutualité, les assureurs doivent éviter que des abus ne se produisent. Il faut limiter les possibilités de sortie du fonds général en fixant, par exemple, des fenêtres d'autorisation espacées de plusieurs années. A défaut, les fonds généraux concernés par ces contrats peuvent connaître des à-coups de trésorerie très préjudiciables, car réalisés à des conditions qui ne sont pas celles du marché. Comment la réglementation s'adaptera-t-elle à ces nouveaux risques ? Une réponse simpliste consisterait à dire que, puisque l'utilisation d'instruments financiers est susceptible d'accroître fortement l'exposition au risque des entreprises, leur interdiction pure et simple serait la seule solution. Or, Il n'est pas contestable que ces instruments, dès lors que le risque est bien maitrisé, sont aussi des moyens efficaces d'améliorer la sécurité et le rendement de la gestion financière. La question est donc, en réalité, de définir un cadre réglementaire adapté. Il est hors de question de remettre en cause le socle actuel de réglementation. Les évolutions des marchés ne sauraient en effet conduire à reconsidérer des règles nées des impératifs fondamentaux de gestion des sociétés d'assurances et qui n'ont rien perdu de leur pertinence. Mais ces règles doivent sans doute être complétées ou renforcées. La plupart des sociétés d'assurances ne se sont pas encore dotées des moyens adaptés aux nouveaux types d'instruments financiers à fort effet de levier. Or, il n'est pas concevable que les sociétés d'assurances prennent de nouveaux risques d'actifs sans disposer des outils adéquats de contrôle, de suivi, de mesure et de limitation des risques. Il importe donc de rester très prudent. Il va de soi que l'état actuel et l'évolution des systèmes de suivi des risques et de contrôle dans les entreprises – très variables selon les entreprises – doivent être pris en compte dans l'élaboration de la réglementation et adaptations ultérieures. Voici pour conclure quatre idées clés : le métier d'assureur est un métier de souscription de passif. Les sociétés d'assurances doivent porter une attention marquée à l'analyse de leur passif et définir des stratégies de gestion des actifs sur la base de cette analyse ; la compétition commerciale entre les sociétés d'assurance a des incidences très fortes sur leur gestion. Elle implique notamment une meilleure coordination entre les personnes chargées de la vente et du marketing et celles qui sont chargées de la gestion financière ; il est plus que jamais nécessaire de faire attention à la mesure du couple risque-rentabilité. Les marchés évoluent plus vite et plus brutalement que par le passé, ce qui induit des risques plus importants ; les sociétés d'assurances doivent améliorer le professionnalisme de leur gestion financière. Pour ce faire, elles doivent allier capacités techniques et compétences humaines. Elles doivent aussi se méfier de la tentation de basculer dans les métiers de la banque. Il ne faudrait pas qu'elles cumulent les risques de ruine à l'actif et au passif. Abdelfettah ALAMI