Les récents accords trouvés par le Maroc avec l'Egypte et la Tunisie concernant l'exportation de la voiture marocaine, Logan, dans le cadre de l'accord d'Agadir, constituent l'arbre qui cache la forêt. L'arme du non respect des conditions de la règle d'origine des 40% continue d'être omniprésente dans cette zone de libre-échange. Décidément, entre ce qui est écrit dans les accords de libre-échange arabe et ce qui est pratiqué dans la réalité, il y a une grande différence. C'est particulièrement le cas de la règle d'origine des 40%. Résultat des courses: industriels et importateurs marocains qui tiennent à profiter des dispositions tarifaires qui découlent des nombreux accords de libre-échange signés par le Royaume avec les pays arabes sont ainsi de plus en plus confrontés à des problèmes liés aux règles d'origine et aux bases de taxation. En effet, la plupart des pays de l'accord de la zone de libre-échange arabe évoquent très souvent le non-respect des conditions de la règle des 40% pour se dédouaner. Autrement dit, ils estiment que le taux d'intégration n'a pas atteint ce ratio. « En fait, c'est parce que cette règle est trop générale que les pays signataires de l'accord qui veulent ériger des barrières remettent systématiquement en question le taux d'intégration. C'est pour vous dire que dès le départ, les règles d'origine étaient mal définies », analyse cette source au ministère du Commerce extérieur. Pour rappel, pour qu'un produit soit considéré comme originaire d'un des pays signataires de l'accord et bénéficie par ricochet de la franchise des droits de douane, il faut que 40 % au moins de la valeur ajoutée locale soient réalisés dans le pays en question. Des barrières «invisibles» Depuis, certains pays sont même passés champions en la matière. Il n'y a pas longtemps, à en croire une autre source à la division des relations commerciales multilatérales, l'Egypte et la Tunisie n'ont pas hésité à mettre en avant le cumul diagonal des règles d'origine ou encore des normes. «Le fait que la Logan montée au Maroc ait été commercialisée avec retard en Tunisie s'explique par la volonté des Tunisiens d'intégrer par exemple les exportations de cette voiture que nous leur destinons dans le quota d'importations qu'ils réservent à Renault. Alors que la notion même de quota n'existe pas dans l'accord d'Agadir. Il va de soi que ce genre de clause ne pouvait pas être toléré par le Maroc», souligne un responsable au département du Commerce extérieur. Depuis, ce dossier a beaucoup évolué. La Tunisie a décidé d'ouvrir son marché à l'importation de la voiture marocaine. Le ministre du Commerce extérieur, Adellatif Maâzouz, annonçait en août dernier à l'issue d'une réunion des ministres en charge du Commerce dans les pays membres de l'accord d'Agadir (Maroc, Egypte, Tunisie et Jordanie), tenue jeudi au Caire, que « la Tunisie et la Jordanie ont décidé d'adhérer au système d'exportation, ouvrant ainsi leurs marchés respectifs à la voiture marocaine », et ce dans le cadre de l'Accord d'Agadir. Côté égyptien, on n'hésitait pas jusqu'à récemment à se livrer selon les cas à une interprétation variable des règles d'origine européennes. Ainsi, chaque situation est interprétée en fonction des intérêts propres à chacun. « Pour la Logan montée dans le Royaume, les Egyptiens refusaient son entrée sur leur territoire sous prétexte que le taux d'intégration de 40 % ne doit pas prendre en considération les pièces importées, d'Europe notamment, dans le cadre du cumul diagonal, pourtant adopté par l'Union européenne et certains pays du sud de la Méditerranée. Pour les Egyptiens, les 40% doivent être basés uniquement sur des pièces fabriquées au Maroc », souligne Hammad Kassal, qui cumule la présidence du conseil d'affaires maroco-égyptien et celle de la commission mixte Maroc-Jordanie de la CGEM. Pour le vice-président de la CGEM, cette situation est surtout due à la multiplicité et à l'incohérence des accords. L'exemple concret, dit-il, est le cas de l'Egypte, avec qui le Maroc a signé un accord de libre-échange bilatéral, un accord de libre-échange régional, à savoir celui de la Ligue arabe, et puis l'accord d'Agadir. Ce cas est également valable pour d'autres pays arabes comme la Tunisie, la Jordanie, l'Egypte et les Emirats Arabes Unis. Mais les opérateurs essayent toujours d'appliquer à leurs marchandises l'un des trois régimes qui les arrange. «Toujours est-il que l'accord d'Agadir reste le régime le plus sollicité, eu égard au fait que tous les pays signataires ont un accord de libre-échange avec l'Union européenne. Ce qui donne le droit à tous les signataires de cet accord de faire jouer le principe de cumul paneuropéen qui permet de considérer les pièces d'origine européennes dans le taux d'intégration», souligne Hammad Kassal. En tout cas, les Egyptiens, qui jusque-là font fi de ce principe de cumul paneuropéen, ont récemment effectué une visite au sein de l'unité de production de la Somaca pour évaluer sur place le taux d'intégration des pièces fabriquées localement. Depuis, à l'instar des Tunisiens, ils sont revenus à de meilleurs sentiments. Le Maroc et l'Egypte sont parvenus à un accord concernant l'exportation de la voiture marocaine vers le marché égyptien, dans le cadre de ce même accord d'Agadir. L'exportation du premier lot de la Logan marocaine devrait commencer en octobre prochain. Si ici, le Maroc a remporté une bataille, il est encore loin de remporter la guerre. Quand Egyptiens et Tunisiens lâchent du lest A en croire certains opérateurs, comme les exportateurs de plomb, plusieurs produits peinent à profiter de l'accord d'Agadir pour accéder au marché égyptien. Ce pays, disent-ils, a recours à des appels d'offres internationaux pour satisfaire ses besoins. Dans ce cadre, le plomb australien est préféré au plomb marocain bien qu'en termes de prix, il s'avère plus compétitif. Selon les Egyptiens, les normes australiennes sont plus adaptées aux normes marocaines. Aujourd'hui, en plus de régler au cas par cas, les pouvoirs publics marocains s'activent depuis plusieurs mois, dit-on auprès du département du Commerce extérieur, pour faire accepter aux autres pays, notamment les pays du Golfe, la mise en place de règles d'origine spécifiques pour la grande zone de libre-échange interarabe. Les négociateurs marocains proposent de remplacer la règle des 40 % qui était appliquée à tous les produits sans distinction, par des taux adaptés à chaque type de produit. Les pays du Golfe, très réticents au départ à cette proposition marocaine, semblent revenir à de meilleurs sentiments, même s'ils sont encore pour le statu quo jusqu'à fin 2009. Car ils ont chargé le comité technique d'activer l'élaboration des règles d'origine spécifiques d'ici le 31 décembre 2009. « Et si, à cette date, aucun accord n'est trouvé, la question sera portée de nouveau devant le Conseil économique et social de la Ligue arabe », souligne un responsable du département du Commerce extérieur. En fait, les pays du Golfe et leurs alliés, avec lesquels ils totalisent désormais onze membres, savent pertinemment qu'ils auront gain de cause. Tant que la prise de décision se fait à la majorité des voix. Ce que le Maroc a compris également en réussissant à rallier à sa cause d'autres pays. « Aussi bien du coté marocain que des autres pays, toutes les parties se méfient des opérateurs indélicats qui veulent passer entre les mailles des filets des accords de libre-échange », précise un importateur d'électroménager. En effet, dans ce secteur, on ne parle que de cette cinquantaine de conteneurs transportant des réfrigérateurs de marque Daewoo en provenance de Jordanie retenus au port de Casablanca par la Douane, car soupçonnés de ne pas respecter la règle d'origine applicable dans le cadre de l'accord d'Agadir. A en croire un industriel, ce qui a mis la puce à l'oreille des douaniers, c'est le fait que quelques réfrigérateurs affichaient leur étiquette «made in Corée». Depuis, l'administration de la douane a dépêché ses inspecteurs en Jordanie pour s'assurer du respect de la règle d'origine. « Ils sont rentrés et sont en train de rédiger leur rapport », renseigne l'industriel. Quoi qu'il en soit, aujourd'hui, la CGEM, à travers ses conseils d'affaires, est décidée à prendre le dossier en main. Outre la cellule de veille qui est en train d'être mise en place avec les ministères des Affaires étrangères, du Commerce extérieur, de l'Industrie et du Commerce, le patronat marocain, via ses conseils d'affaires, travaille avec ses homologues des autres pays signataires de l'accord d'Agadir pour la mise en place d'un outil de mesure du taux d'intégration. ◆