Le délai fixé par les professionnels de la pêche à leur ministre de tutelle a expiré sans qu'une réaction officielle de la part d'Aziz Akhannouch n'ait eu lieu. Dans ces conditions, la profession envisage le pire. En 6 ans seulement, plus de 100.000 tonnes de poulpe ont été pêchées illicitement dans les eaux marocaines. Le chiffre est alarmant, donnant raison aux professionnels de la pêche céphalopodière, tous segments confondus, de pousser un coup de gueule, l'un des plus forts depuis des années. Ce fut chose faite lors d'une réunion tenue le 25 avril et consacrée entièrement à l'épineuse question du contrôle du respect du plan d'aménagement du poulpe. «Alors que l'ensemble des opérateurs autorisés à exploiter le poulpe connaissait les pires difficultés à survivre, à cause d'une production très faible, la pêche illicite prospérait au point d'enregistrer des records de production que l'on a retrouvés par recoupement avec les exportations», confirme Rachid Benkirane, président de la Fédération des pêches maritimes. Le choix du calendrier n'est pas fortuit. C'est le 1er mai que l'arrêt biologique a démarré, phase propice pour les braconniers trafiquants du poulpe pour passer à l'attaque. «Ils trouvent le champ libre pour faire ce qu'ils veulent en mer, profitant de surcroît d'une grande défaillance en matière de contrôle», souligne à son tour Abderrahmane El Yazidi, secrétaire général du SNOMPH (Syndicat National des Officiers et Marins de la Pêche Hauturière). 1er mai : pas qu'une simple fête du Travail… Mais qui sont ces trafiquants de poulpe, que les services de la gendarmerie royale, qui a la charge de contrôler les eaux marocaines dans les provinces du sud, n'arrivent même pas à rappeler à l'ordre ? En effet, si les langues se délient facilement pour dénoncer leur présence et l'impact de leurs agissements sur la détérioration de la richesse halieutique surtout poulpière, le courage manque manifestement quand il s'agit de les identifier, voire d'en brosser le profil. «Le fait que l'Etat n'aille pas jusqu'au bout pour les empêcher d'agir durant des périodes et dans des zones interdites de pêche est révélateur de leur identité. Certains sont de simples armateurs qui corrompent des fonctionnaires de l'Etat pour les aider à brouiller les pistes sur la traçabilité de l'origine de la capture. D'autres profitent de la couverture que leur procure leur rang dans l'armée par exemple», ajoute sous couvert de l'anonymat un armateur de la pêche hauturière. Comment peuvent-ils par ailleurs agir sans la complicité d'agents de l'administration? En effet, ce sont ces derniers qui leur délivrent des documents les aidant à blanchir des opérations d'achat fictives de poulpe pêché illicitement au sud de Boujdour (zone concernée par le repos biologique) par un navire et vendu à Laâyoune avec les documents d'un autre navire prétendant pêcher au nord de Boujdour ( zone non assujettie au repos biologique). Cette technique, dont usent et abusent les trafiquants de poulpe, est un secret de polichinelle. Et là encore, le rôle des contrôleurs est pointé du doigt. Un jugement pourtant relativisé par certains intervenants du secteur. «Il ne faut pas voir les choses sous un seul angle. La non-publication de l'arrêté prévu par le dahir de 1973 accordant les primes aux contrôleurs qui verbalisent les fraudeurs accentue le laxisme observé au niveau de cette fonction», dixit Abderrahmane El Yazidi. Et d'ajouter, «il faut dire aussi que la motivation encaisse un coup dur quand en aval de la dénonciation, les personnes impliquées, preuves à l'appui, bénéficient d'un traitement de faveur et échappent à toute sanction». Les contraintes quant à un contrôle efficace foisonnent. Les professionnels du secteur le savent. C'est pour cela qu'ils proposent de nouvelles pistes de réflexion. La plus radicale d'entre elles consiste à généraliser la suspension de la pêche au poulpe durant la période de repos biologique à tout le littoral. «L'objectif de la mesure étant par essence la préservation non pas d'une zone mais d'une espèce», souligne les professionnels en bloc. Leur argument de base se fonde sur une étude réalisée en avril 2007 par l'INRH (Institut National de la Recherche Halieutique) et qui rapporte une similitude entre le poulpe du nord et celui du sud de Boujdour. «L'espèce est la même à tous les niveaux. Les propositions de réforme Pourquoi alors imposer le repos à une zone et en dispenser une autre ? Même l'INRH recommande l'extension du repos biologique jusqu'à TanTan», s'interroge M. El Yazidi. L'intérêt de l'extension préconisée est tout simple. Cette mesure permettra de barrer la voie aux trafiquants qui se servent du prétexte de l'ouverture de la zone nord pour enregistrer des captures réalisées illicitement au sud comme provenant de la zone autorisée à la pêche. Les cas de saisie opérés durant les deux dernières années confirment le recours à ce circuit de blanchiment. C'est d'ailleurs pour cela que la profession demande l'introduction du système de traçabilité dit triptyque pour accompagner, en les matérialisant, les quotas de pêche octroyés et accompagner leur niveau de réalisation jusqu'à leurs exportations. Autre mesure recommandée et non des moindres : l'extension du système de quota individuel aux autres segments d'activité s'adonnant à la pêche au poulpe dans la zone. D'ailleurs, les représentants de la pêche artisanale le réclament, ainsi qu'une bonne partie de ceux de la pêche côtière poulpière. Plus encore, on dirait que l'idée de l'ultimatum est la leur. Le ton emprunté par Moulay El Hassan Talbi, président de l'association de la pêche artisanale à Dakhla, en témoigne. «Plus de 450 dossiers relatifs à la pêche illicite sont devant les tribunaux d'Oued Eddahab. Qu'attend l'Etat pour retrousser ses manches et traquer les braconniers avant qu'ils ne pillent ce qui reste de la ressource ?». Et d'ajouter, «si le ministre ne réagit pas lors de ce repos biologique, la situation ne sera plus maîtrisable». Le ton était clair. Cependant, jusqu'à la date fatidique, le ministre de la Pêche n'a pas réagi à la demande des professionnels du secteur. «Au lieu d'agir au niveau de l'origine du mal, le ministre a prolongé les périodes de repos biologique. La situation est devenue insoutenable pour les 40.000 employés qui se retrouvent parfois avec quatre mois de salaire durant l'année», fait remarquer El Yazidi. Dans ces conditions, l'option de demander l'intervention du souverain est fortement envisagée.