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Rachat d'entreprises malades Le business «new age»
Publié dans Challenge le 08 - 03 - 2008

Dans un autre monde, on les appelle les prédateurs, les « vautours ». Ils guettent toutes les proies fragiles pour leur sauter dessus. Ils utilisent tous leurs moyens pour acheter des entreprises en perte de vitesse. Parfois, et sciemment, ils les font couler pour les racheter au rabais, les redresser, puis les revendre à un super prix. Business is business. Nous n'en sommes pas encore là au Maroc. Nos investisseurs sont encore timides. Quoique le phénomène commence très lentement à prendre place. Des structures dédiées ont trouvé le filon il y a plusieurs années. Aujourd'hui, ce sont des particuliers ou des sociétés qui s'y mettent. Ils s'intéressent à ce créneau, paraît-il juteux. Ils traquent les entreprises qui ne sont pas très en forme, en redressement ou en liquidation judiciaire, les entreprises fragiles qui souffrent de l'absence de succession ou des groupes en bonne santé mais qui cherchent plutôt à se débarrasser de certaines de leurs activités pour se recentrer sur leurs métiers de base. Pour certains, le but de ces rachats est de revendre au meilleur prix. Pour d'autres, il est question de racheter pour faire fleurir ses propres affaires. Qui sont ces repreneurs ? Comment procèdent-ils ? Enquête dans un monde où l'information s'obtient au compte goutte.
Ils se nourrissent des malheurs des autres. Mais cela, c'est le business. Il n'y a pas d'état d'âme. Pour réussir, il faut absolument trouver le bon filon, pourquoi pas celui du rachat des entreprises fragiles, malades ou carrément au bord du gouffre. Quelques novices sont en train de faire leurs premiers pas. Adil Douiri, l'ex-ministre du Tourisme, vient d'annoncer son méga projet «Mutandis », une société d'investissement qui a déniché, semble-t-il, 150 à 200 entreprises potentiellement vendables dans des secteurs divers (distribution, services…). Nous n'obtiendrons aucune autre information de la part de ce gourou de la finance, qui n'a rien voulu dévoiler lors d'un point de presse très restreint. «A ce stade du projet, il nous est difficile de vous donner plus de détails », se contente t-on de nous répondre. Douiri n'a probablement pas encore rassemblé toutes les données qui nous intéressent : répartition des entreprises potentielles par secteur, par nature de la difficulté, où trouver les repreneurs, montant par projet, critères de sélection, marge de rentabilité… Douiri annonce seulement le chiffre magique, 777 millions de DH constitueront le capital de cette société qui va racheter des entreprises qui veulent se recentrer sur leur métier de base ou qui connaissent des problèmes de succession. Les ambitions de Douiri sont jugées trop optimistes par le milieu des affaires. En attendant le démarrage effectif de sa société, d'autres lui emboîtent le pas. Un quotidien a rapporté cette semaine deux nouvelles. L'une concerne le groupe El Eulj. Il aurait créé une société d'investissement de 20 millions de DH (nous sommes loin des 777 millions de Mutandis). Holpag Groupe serait destiné à prendre des participations dans des sociétés, à acquérir des valeurs immobilières et à exploiter des entreprises privées. «Cela n'est pas étonnant. Depuis quelque temps, nous avons eu écho des ambitions du groupe pour racheter des entreprises», martèle un banquier. L'autre projet concernerait celui de Hammad Kassal, vice-président de la CGEM. Il participe à la création d'un fonds d'investissement d'une valeur de quelque 70 millions de DH dans le but de participer aux activités de PME, tous secteurs confondus. Aucun détail, là non plus, n'est donné quant aux objectifs de ces sociétés. Vont-elles investir pour développer leurs propres affaires ou bien cherchent-elles à maximiser leurs gains en misant sur des structures fragiles pour les céder par la suite ?
Textile et agroalimentaire : des proies faciles
Si des entreprises travaillent dans l'ombre, il faut savoir qu'il existe des personnes physiques qui, elles aussi, commencent à percer dans le rachat des entreprises…en difficulté. Ces opérations ne se font pas encore en masse. Quelques cas sont recensés. Il s'agit du repreneur de la Fruitière marocaine de transformation (Frumat) qui était en redressement judiciaire depuis deux ans. Ce même propriétaire s'est offert « Bon Lait » à Marrakech. Toujours dans l'agroalimentaire, un certain Benjdiya s'est payé une entreprise malade. Le secteur du textile n'est pas en reste. Selon plusieurs de nos sources, c'est un secteur qui regorge de «potentialités». Les reprises d'entreprises, c'est possible, à condition d'être un fin connaisseur de l'activité. C'est à priori dans la filière chaîne et trame que des opportunités sont à saisir. «Le secteur décèle quelques entreprises qui sont médiocrement gérées. Leurs patrons seront satisfaits de les céder», confie Karim Tazi, industriel et ex-président de l'Association Marocaine de l'Industrie du Textile et de l'Habillement (AMITH). Selon une source au tribunal de Commerce de Casablanca, il semblerait par ailleurs que des secteurs « nouveaux » s'ajoutent à la liste des activités les plus touchées par des difficultés. Des sociétés de services, ou opérant dans l'électronique par exemple, commencent à faire leur entrer dans ce «palmarès».
N'est pas repreneur qui veut !
Chacun a sa manière pour dénicher la bonne affaire. Dans le secteur du textile par exemple, c'est le bouche-à-oreille qui fonctionne le mieux. «Nous avons une association professionnelle forte qui se réunit souvent. Les industriels discutent beaucoup entre eux. Et c'est lors de ces évènements que les repreneurs peuvent se dévoiler », explique Karim Tazi. Au tribunal, ce sont souvent les mêmes personnes qui sont aux aguets. «Certaines sont spécialisées dans la ferraille, dans le rachat des biens immobiliers, d'autres dans les fonds de commerce (utilisés pour de nouvelles activités) ou dans les équipements matériels. Il est cependant rare que des repreneurs rachètent des unités de production. Ces (re) acheteurs-là, ce sont généralement des commerçants. C'est ce qui est du moins écrit sur leur carte d'identité nationale», fait constater notre source. Il existe une autre catégorie de personnes, physiques ou morales, qui tentent de suivre de près les activités des fonds ou des sociétés d'investissement qui, à un moment donné, vont vouloir sortir du capital de la société ciblée. «Pendant toute la durée de la restructuration d'une entreprise que nous avons reprise, nous avons des occasions d'identifier les repreneurs. Souvent, ce sont eux qui viennent vers nous et nous soumettent leurs propositions. Si dans un cas nous n'arrivons pas à en trouver, la banque d'affaires se charge alors de faire un tour auprès des opérateurs pour trouver les candidats», explique un responsable de Wafa Investissement. Parfois, il est même question que la filiale d'Attijariwafa bank se fasse approcher alors que sa mission n'est pas encore achevée. L'entreprise remonte la pente. La mariée commence à séduire. «Des fonds d'investissement peuvent vouloir reprendre une de nos entreprises avant même que la restructuration ne soit finie. Si nous avons besoin de liquidités, il peut nous arriver de conclure un deal avec eux», indique le responsable de la filiale d'Attijariwafa bank. Les établissements bancaires peuvent eux aussi être des repreneurs potentiels d'entreprises en difficulté. C'est le cas de certains établissements publics par exemple qui, selon la loi, ont bénéficié d'un « envoi en possession », qui leur donne la possibilité de gérer un établissement hôtelier pendant un certain temps tout en recevant les cash-flow. La banque peut par la suite le revendre.
Les concurrents à consulter en dernier ressort
Finalement, n'est pas repreneur qui veut. Dans le textile par exemple, il est rare de trouver un acheteur en dehors du cercle des textiliens. C'est ce qui fait dire à un grand avocat d'affaires qu'il est très important pour celui qui est chargé de céder l'entreprise (il s'agit parfois de sociétés mandatées pour restructurer et revendre une entité) de disposer d'une radiographie complète de l'environnement dans lequel elle évolue. Les repreneurs, pour lui, peuvent se trouver à la fois sur le marché local et international. Dans le premier cas, il serait plus difficile de trouver des repreneurs. «Nous pouvons être limités car le marché n'est pas très extensible. Les Marocains ne sont pas très enclins à la reprise des sociétés, d'autant qu'il y a des préoccupations diverses (fiscales, sociales, de gouvernance, de gestion des partenaires…) à prendre en considération», confie l'avocat d'affaires. Mais ceci n'empêche pas de frapper tous azimuts. Il poursuit : « nous ne négligeons aucune porte. Il faut cependant éviter de contacter les concurrents dans un premier temps. Ils doivent être les derniers à être consultés ». Sur le plan international, les choses deviennent plus compliquées. Les propositions se limitent à quelques acheteurs. Souvent, ce sont des donneurs d'ordre qui choisissent de racheter leurs fournisseurs au Maroc. C'est le cas d'un groupe étranger qui a racheté un confectionneur marocain en difficulté ou d'un autre qui, dans le secteur de la pêche, a racheté lui aussi son fournisseur.
Le «capital retournement», une bouée de sauvetage
Les «prédateurs» proviennent finalement de tous les bords. Ils guettent le marché pour dénicher l'entreprise en difficulté, l'entreprise où la mauvaise gestion sont à 90% des cas responsables de la débandade, laquelle est aggravée par une mauvaise adaptation à la conjoncture économique ou à la concurrence internationale. Parfois, des acheteurs potentiels assistent à l'agonie de l'entreprise. Ils veulent la reprendre mais ils attendent la dernière minute avant qu'elle ne rende l'âme pour la récupérer vraiment au moindre prix. C'est une pratique qui existe. Mais parfois, l'entreprise en difficulté fait -avant ce moment fatidique- appel à une société de restructuration. Les éventuels acquéreurs sont déçus car la valeur de l'entreprise, après restructuration, commence à remonter. Mais quoiqu'il en soit, même après sa remise en forme, elle pourra leur être cédée à un prix plus fort, certes, mais au moins, elle sera mise sur les rails. Wafa Investissement a été précurseur dans ce genre d'activité. Dès le départ, cette société, jadis filiale de Wafabank, a choisi volontairement le créneau des rachats des entreprises en difficulté. Elle s'est spécialisée, comme il se dit dans le jargon financier, dans le «capital retournement». La politique de la filiale est de dénicher des candidats en interne. Elle ne va pas chercher des entreprises qui ne font pas partie de la clientèle de la banque. Elle se contente de regarder dans les fichiers internes. En permanence, Wafa Investissement gère alors deux à trois dossiers. Sa tactique est simple. Lorsque des créances importantes commencent à devenir douteuses, les « prédateurs » commencent à suivre leurs proies. La remontée de l'information de la base du réseau est très importante. C'est de là que les profils d'entreprises «intéressantes» sont répertoriés. Elles doivent absolument présenter des opportunités certaines -potentiel de croissance, rentabilité- pour que Wafa Investissement mise ses billes. Mais l'expertise et le long savoir-faire de la filiale la rendent « féroce » pour négocier les bons contrats. Selon un banquier, la filiale pourrait réaliser en moyenne 20% de taux de rentabilité sur investissement. Dès lors où les candidates potentielles sont ciblées, toute une procédure est mise en place. Suite aux premières analyses, le feu vert pour investir dans l'entité est donné ou non. «Nous nous posons ensuite des questions : après redressement, l'exploitation peut-elle revenir à la normale ? Existe-t-il réellement un potentiel de cash-flow ?», fait remarquer le responsable de Wafa Investissement. Si les réponses se font par l'affirmative, alors « go ! ». L'équipe se met en selle. Elle procède à une «due diligence», une mission menée au sein de l'entreprise pour analyser en détail tous les chiffres de la société. Parallèlement, le travail de négociation avec le propriétaire est entamé. «Il est possible d'aboutir à un accord de rééchelonnement des dettes ou de l'abandon d'une partie», explique le responsable. Le propriétaire pourra rester ou quitter le navire, à sa convenance, mais il n'en sera plus le capitaine. La filiale de la banque est en position de force. Elle va injecter de l'argent dans la société. Selon nos informations, la société d'investissement peut parfois investir 30 à 40% en cash. Il s'ensuit des négociations avec les autres créanciers de la société : organismes sociaux, fournisseurs… Généralement, des rééchelonnements de dettes sont là encore négociés. En plus d'une restructuration financière, Wafa Investissement procède aussi à la restructuration opérationnelle. Souvent, elle cherche des profils partout pour placer un nouveau directeur général. La restructuration est en marche. Elle peut durer 2 à 3 ans.
Racheter, mais pas
pour revendre…
Si Wafa Investissement se concentre sur le rachat d'entreprises en difficulté, d'autres investisseurs se sont focalisés, eux, sur le rachat d'entreprises, en difficulté ou pas, dans le but de les garder dans leur portefeuille. C'est le cas par exemple de la famille Rahal. «Nous ne rachetons pas les entreprises uniquement dans le but de les sauver financièrement. Nous leur apportons nos idées, une stratégie, un développement du marché… », reconnaît Karim Rahal, restaurateur. Le traiteur a en effet décidé de racheter des entreprises dont l'activité a un lien direct ou indirect avec son métier de base. Le groupe insiste pour que les partenariats soient win-win. «Si l'autre actionnaire sent que vous êtes plus influent, un problème finira par éclater un jour ou l'autre », confie le patron. Le groupe a alors racheté des entreprises spécialisées dans la distribution, dans la pâtisserie, dans les sons et lumières, dans les plantes et les espaces verts… Rahal nous donne ici une version qui ne corrobore pas vraiment avec le témoignage d'un habitué des tribunaux. Selon cette source, Rahal viendrait souvent au tribunal pour dénicher les bonnes affaires, les entreprises qu'il peut acquérir à des prix très bas. Karim Rahal réfute l'information. Pour lui, «les procédures judiciaires prennent beaucoup de temps. Et de toutes les manières, vous finissez souvent par ne récupérer que les murs de la société. Il n'y a plus d'activité, le matériel est démodé… ». Une situation qu'il n'approuve pas. S'il devait en être ainsi, les procédures devraient être autres. Karim Rahal a, à ce sujet, ses propres idées : les sociétés en difficulté devraient être vendues alors qu'elles fonctionnent encore. «Au Canada par exemple, votre banque détecte les difficultés très tôt pour réagir quand il en est encore temps. Ici, même si c'est le cas, elle continue à vous faire payer les agios... Le patron est étouffé parce qu'il doit aussi subir d'autres pressions venant de l'administration, des organismes sociaux et autres. S'il existait un système qui permette d'acquérir une société en liquidation alors qu'elle fonctionne encore, cela permettrait de sauver beaucoup d'entreprises ». Rahal n'a de cesse de répéter qu'il faudrait une solidarité nationale pour maintenir des entreprises en vie. Pour lui, ce n'est pas qu'une question de business. Pourquoi aurait-il alors choisi de vendre une partie de son affaire à l'ancienne société Eurest (aujourd'hui Newrest) alors même que son entreprise n'était pas en difficulté ? «C'est Eurest qui m'a sollicité. Il avait besoin de liquidités. Nous nous sommes aussi associés à la CDG et à Attijariwafa bank pour avoir plus de cash pour nous développer ». Rahal a donc céder son entreprise non pas parce qu'elle était en difficulté mais parce qu'il y avait une opportunité intéressante à saisir. C'est le cas de ce grand professionnel du tourisme qui a vendu un de ses hôtels à Fès pour des problèmes liés à la restructuration de son groupe. «Je ne pouvais pas donner davantage à ce projet, d'autant plus que notre groupe commençait à se déployer différemment. Une opportunité s'est présentée, je l'ai saisie sans hésitation ».
Plusieurs cas de figure se présentent donc. Le marché en est cependant encore au stade du balbutiement, comparativement aux pratiques dans les pays occidentaux. Plusieurs opérateurs se jettent quand même à l'eau. Ce phénomène de rachat des entreprises, en difficulté surtout, pourrait devenir un phénomène de mode. Mais attention aux risques. L'enjeu d'une reprise d'entreprise n'est pas seulement financier. L'enjeu est aussi de faire des calculs pour retomber sur une situation confortable tout en tenant compte des problèmes de l'entreprise.
L'argent public est sacré !
La Caisse de Dépôts et de Gestion (CDG), à travers sa société d'investissement Fipar Holding, rachète des entreprises. Elle prend des participations significatives dans des investissements porteurs (NTI, transport, agroalimentaire, électronique, concessions…). Mais jamais vous ne verrez Fipar Holding investir dans une entreprise en difficulté, même si elle présente un potentiel de rentabilité non négligeable. Du moins, c'est ce qu'on peut lire sur la présentation du holding qui exclut tout investissement de ce genre. L'argent public est sacré.
Témoignage
Holmarcom
ne cède pas
d'entreprises
en difficulté
Mohamed Hassan Bensalah, le président du groupe Holmarcom, déclarait à un mensuel de la place que le groupe devrait un jour ou l'autre se débarrasser de quelques entreprises pour se recentrer sur ses métiers de base. Parmi ses axes de développement, il a aussi évoqué son intention de développer des projets où le groupe serait promoteur (capital ou gestion) ou incubateur. Cela insinuerait-il que le groupe souhaite se dessaisir d'entreprises malades qui ne sont pas rentables? Pour Youssef Latif, le groupe n'est pas dans une logique où il cède des entreprises en difficulté. Le cas de la vente de Otis Maroc en témoigne. « Bien que cela puisse surprendre, Otis Maroc était rentable. Si nous avons cédé nos parts, c'est uniquement parce que l'activité des ascenseurs ne faisait pas partie de nos métiers de base. D'autant plus qu'elle ne recèle pas une croissance importante. Le chiffre d'affaires n'évolue pas beaucoup », soutient Youssef Latif. Le groupe Bensalah préfère céder des entreprises en bonne forme, qui ont été restructurées, plutôt que malades. Et il tient à ce que les repreneurs soient triés sur le volet. «Nous ne voulons pas céder des entreprises à des personnes qui ne vont pas garantir le développement de la société en question ou ne vont pas créer de valeur ajoutée», rajoute Latif. Dans le sens inverse, Holmarcom ne cherche pas non plus à acquérir des sociétés en difficulté, à les restructurer pour les revendre. Il lui arrive par contre de participer, indirectement, à encourager ce genre d'opération pour développer des entreprises malades. Il ne le fait qu'à travers sa participation dans des fonds comme Igrane pour le Souss Massa ou Mutandis.
Interview
Abdelkader Boukhriss, expert-comptable,
administrateur de la Société Fiduciaire du Maroc
«Il est difficile d'appréhender
une entreprise en difficulté»
Challenge Hebdo : Est-il plus facile de racheter une entreprise qui est en difficulté, qui connaît un problème de succession ou qui veut se recentrer sur son métier de base?
Abdelkader Boukhriss : D'abord, il faut faire la différence entre les entreprises qualifiées «en difficulté» et celles qui souhaitent se recentrer sur leur métier de base. En effet, la première catégorie d'entreprises est très difficile à appréhender au Maroc, d'autant que la mentalité des chefs d'entreprises accepte difficilement de reconnaître ce statut. Souvent, au moment de la découverte des difficultés financières, économiques ou de succession, on s'aperçoit que la continuité de l'entreprise est compromise. Quant à la deuxième catégorie, elle commence à devenir de plus en plus importante au Maroc. Beaucoup de groupes se sont aperçus qu'à l'aube de la mondialisation, seule un «recentrage» sur les métiers de base leur garantissait une pérennité. Ceci étant, et quelles que soient les raisons, racheter une entreprise n'est jamais une opération facile. Le repreneur n'est pas uniquement animé par des considérations de rentabilité. Il y a lieu de s'entourer de toutes les précautions d'usage pour réussir une telle opération.
C.H. : Comment une entreprise fragile
peut-elle négocier son rachat dans les meilleures conditions?
A.B. : Je pense que tout chef d'entreprise en difficulté avisé devra avant tout faire un état des lieux avant de se mettre à table avec d'éventuels repreneurs. Cette démarche lui permettra d'identifier ses forces et ses faiblesses, et surtout de procéder à des ajustements ou corrections, pour pouvoir négocier dans les meilleures conditions. L'expérience montre que les points sur lesquels les parties buttent sont la valorisation de l'entreprise, la clause de garantie de passif et la substitution des garanties mises en place. Aucune situation ne ressemble à une autre. Chaque entreprise est un cas isolé.
C.H. : Comment un investisseur peut-il dénicher alors la « perle rare » ?
A.B. : Au Maroc, nous ne disposons pas de réseaux organisés, ni de structures dédiées à cette catégorie d'entreprises en difficulté. Le canal des tribunaux de commerce ne joue pas efficacement son rôle. Souvent, entre le moment où l'entreprise est déclarée en difficulté et le moment où le plan de redressement est adopté, la situation est difficilement rattrapable. Les canaux historiques continuent de jouer leur rôle, notamment les banques, les sociétés de capital risque, les experts comptables et les avocats d'affaires. Cependant, l'arrivée sur le marché des banques d'affaires et des sociétés d'investissement semble introduire un nouveau comportement chez les chefs d'entreprises. Le mode opératoire est devenu normalisé et s'accompagne d'améliorations en matière de gouvernance d'entreprise.
C.H. : Le repreneur peut-il espérer un retour rapide sur investissement?
A.B. : Tout investisseur, avant de s'engager dans une affaire, qu'elle soit une création ou une reprise, se doit d'élaborer un business plan pour savoir là où il met les pieds. Le contraire serait dangereux. Ceci étant, le retour sur investissement dépend de plusieurs paramètres, et notamment du montant d'investissement lui-même, du secteur d'activité, ….
C.H. : La réglementation prévoit-elle des avantages particuliers ?
A.B. : Aucune disposition réglementaire avantageuse n'est prévue en cas de reprise d'une entreprise en difficulté. Seule la négociation permet au repreneur et au vendeur de tirer des avantages lors de cette opération. Un accompagnement par des professionnels versés dans le domaine des reprises d'entreprises et maîtrisant les mécanismes juridiques, financiers et fiscaux s'impose et permet, surtout, la rapidité dans l'exécution de ce type d'opération, clef de la réussite de tout mode opératoire.
Les vrais «vautours» sont étrangers
Nommés comme tel, les « fonds vautours » étrangers (il n'en existe pas encore au Maroc) sont sans merci. Ils s'enrichissent auprès des entreprises en difficulté ou carrément au bord de la faillite. Ils ont leur propre stratégie. Ces fonds spéculatifs, à la recherche de gain rapide, acquièrent les obligations de ces sociétés sur le marché de la dette « décotée ». Au bout de six mois, ils réussissent à revaloriser leurs créances. Le profit est estimé au moins à 15%. Ce qui caractérise aussi leur réussite, c'est qu'ils évoluent dans un marché qui n'est pas organisé, où seules les négociations de gré à gré sont permises, puisque les prix des actifs ne sont pas publics. C'est aux Etats-Unis que ces fonds ont d'abord vu le jour, il y a près d'une quinzaine d'années. Et ce sont en quelque sorte les banques elles-mêmes qui les ont encouragés à s'enrichir. «Au lieu de provisionner dans leurs comptes les créances des sociétés qui risquent de faire défaut, les banques les revendent sur le marché de la dette bancaire, où des enchères sont organisées », expliquait le directeur d'une banque américaine à un journaliste du quotidien Le Monde. Leur intérêt est celui du propriétaire de l'entreprise, sortir la tête de l'eau. Et pour cela, ces fonds ont tout intérêt à sortir rapidement de la crise l'entreprise rachetée. Tout le monde se trouve gagnant.


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