La fusion, la réintégration par l'USFP du parti travailliste et du parti socialiste n'est que le début d'un processus. L'aspiration unitaire est pressante à gauche, elle relève de l'instinct de survie. L 'événement n'a pas eu le retentissement qu'il méritait, preuve que nos médias ont des préoccupations et des mœurs qui leur sont propres. Driss Lachgar a tenu une promesse de campagne. Bouzoubaâ et Ben Atik réintègrent l'USFP. Le processus des scissions à l'infini est inversé. Même si le neuvième congrès a été chahuté, malgré l'opposition du courant Zaidi, fort représentatif par ailleurs, le Tihad reste attractif. Nous sommes en mesure de révéler que les dirigeants du congrès National Ittihadi, n'attendent plus que le feu vert de Noubir Amaoui pour franchir le pas et revenir à la maison-mère. Le syndicaliste est en contact avec de vieux Tihadis qui le pressent d'oublier ses blessures, son ego. Plus surprenant encore, les amis de Saïd Saâdi, des cadres du PPS qui ne se retrouvent plus dans la ligne politique de l'ancien parti communiste, mais qui en même temps n'ont aucune envie de créer une nouvelle boutique, sont en négociation avec la direction de l'USFP. Nous assistons à un vrai mouvement de fond qui aura des conséquences à moyen terme. L'aspiration à l'union de la gauche a existé de tous temps. Mais chaque courant y mettait ses conditions qui se transformaient en barrières. Aujourd'hui, ces barrières cèdent sous la pression de la réalité. La victoire du PJD a réveillé à gauche l'aspiration unitaire de manière surprenante. Pour mesurer l'acuité de cette tendance, il suffit de se rappeler le sixième congrès de l'USFP, le rôle que Driss Lachgar y avait joué. Le professeur Bouzoubaâ a mis de côté son ego. Abdelkrim Ben Atik, a lui aussi oublié beaucoup d'avanies et remisé ses tendances au leadership. Ce n'est pas un hasard, mais le reflet d'une question quasi-mystique, celle de la survie de la gauche. Driss Lachgar, premier secrétaire de l'USFP annonçant la fusion avec le Parti travailliste (PT) et le Parti socialiste (PS). En effet, la déferlante islamo-conservatrice, non seulement au Maroc, mais dans toute la sphère régionale a changé les paramètres. La Gauche s'inquiète par rapport à son identité même et à son rôle dans la société. Ce n'est pas propre au Maroc. En Algérie, les anciens du parti communiste et le parti des travailleurs sont sur le point de fusionner. Des staliniens et des trotskystes ensemble, le monde a réellement changé. En Tunisie et en Egypte des formes d'alliances avancées ont été mises en place et le mouvement s'élargit de jour en jour. Le rendez-vous manqué Le déterminisme historique a joué un bien mauvais tour à la Gauche. Elle a toujours considéré que la lutte populaire pour l'émancipation aboutira à son projet. Hommes et femmes de gauche ont toujours cru que la révolution les mettrait aux commandes, puisque tel était le sens de l'histoire. Sauf que les peuples se sont révoltés et au final, ce sont les courants régressifs qui ont été plébiscités. Le grand soir s'est transformé en un projet de longue nuit. L'ennemi n'est plus un régime autoritaire soutenu par des oligarchies compradores, mais des courants régressifs qui réussissent à se parer de prétendues vertus démocratiques, voire même modernistes ! C'est cette réalité qui réveille l'instinct de survie à gauche. Trop dogmatique, elle a sous-estimé les effets de la ruralisation des villes, des politiques de déculturation menées pendant des décennies. Elle a perdu prise sur la réalité et s'en rend compte... enfin. Cette prise de conscience aura des effets sérieux sur le champ politique. Driss Lachgar est une vraie bête politique. Ce n'est pas un grand théoricien, c'est plutôt un intuitif. Il sent le vent. Il l'a senti quand il a rétabli les ponts avec l'UMT. Il l'a senti quand il est allé chercher ceux qu'il avait contribué à pousser vers la sortie. En politique, un plus un ne font pas juste deux. L'USFP bateau amiral touché, mochement touché, mais pas coulé, apparaît comme l'Arche de Noé, l'unique espoir de survie de la gauche, c'est-à-dire d'une aspiration à la fois libertaire et égalitaire. A horizon très proche, on retrouvera le vieux Tihad, c'est-à-dire un mouvement qui rassemble diverses sensibilités. Cette fois, ce n'est pas contre « un pouvoir individuel personnalisé » mais enfin, pour la promotion d'un projet de société, contre celui des conservateurs. La gauche est enfin libérée de la politique politicienne qui l'a induite dans l'erreur. Elle est obligée par l'histoire, par la rue, par le mouvement des masses à se revendiquer de son identité. Le mouvement vers l'unité n'est qu'une partie de la réponse. La gauche a fractionné le syndicalisme et a divisé la classe ouvrière. Il est clair aujourd'hui que malgré les réticences de l'aristocratie ouvrière, ODT, CDT et FDT doivent fusionner. Mieux, l'USFP n'a plus aucune raison d'avoir «sa» centrale. C'est le sens des contacts avec l'UMT. La Gauche, enfin, va respecter l'indépendance des syndicats ouvriers. L'histoire oblige la gauche à ne plus se cacher, au nom du pragmatisme. Le rôle de la religion, la laïcité de l'Etat, l'émergence de l'individu, l'amazighité, le Maroc pré-islamique, ne sont plus des tabous, mais des champs d'action. Si c'est le résultat de la défaite du 25 novembre, alors il fallait la précipiter. L'extrême gauche, la Gauche non gouvernementale est traversée par les mêmes courants : tendance vers l'unité et l'affirmation de l'identité. Le PSU risque d'éclater, victime de ses contradictions. Certains courants lorgnent déjà vers l'USFP, d'autres n'ont de place que dans une fonction tribunitielle. L'avenir proche, très proche, démontrera que le retour au bercail de Bouzoubaâ et Ben Atik était un grand événement.