Alors que la presse se bat pour sa survie, internet prend le pas sur les moyens traditionnels d'information. Un projet de loi vise à donner un statut aux internautes, ce qui soulève d'autres problèmes. Déjà, certains crient au bâillonnement de la liberté d'expression. Uu moment même où Mustapha El Khalfi , Ministre marocain de la Communication, planche sur un nouveau code de la presse, le temps semble se couvrir pour les internautes et cyber-activistes. “Nous sommes en train de travailler sur un statut pour les web-journalistes", confirme une source au sein du ministère de tutelle. Cette information, feu Abdessadek Rabii, alors secrétaire général du gouvernement me l'avait annoncée, personnellement, lors d'un entretien en 2006. Depuis, son idée de donner aux internautes le statut de journaliste semble avoir fait du chemin, et être sur le point de se concrétiser. Pour ce qui est des concernés, les réactions sont mitigées. Pour certains, ce serait une manière d'avoir accès aux mêmes informations que les journalistes “traditionnels", voire de reconnaître la fonction de web-journaliste. Pour d'autres, c'est une tentative supplémentaire de museler internet. Sans tomber dans la paranoïa, on peut se demander si le positivisme ne relève pas de la naïveté. Le droit à l'information, même mentionné dans la Constitution, est une utopie au Maroc, et d'aucun ne le contesterait. Pire, le nouveau code de la presse est encore en projet et devrait être adopté. En attendant, si le projet était adopté, les internautes encourraient les mêmes peines -36- que les journalistes. Dans ce contexte, une question se pose: qui cherche à museler internet ? Web-journalisme : catch me, if you can ! Selon une source parlementaire, le problème se pose en d'autres termes: “aujourd'hui, on parle de liberté d'expression, mais les gens en font tout et n'importe quoi. Certains journalistes n'écriront que s'ils sont payés. Et il est triste de constater que dans certains supports, les peines n'empêchent pas certains d'écrire des contre-vérités. Sur internet, c'est encore pire, et on passe directement à la diffamation. Sans recours possible." A l'évidence, certains, dans la classe politique pencheraient vers un durcissement des peines plutôt qu'à un allègement comme le préconise le ministre PJD, lui même ancien journaliste. Mais d'un point de vue technique, ce problème en pose un autre, juridique cette fois-ci : “sur internet il y a un problème de territorialité. Comment peut-on poursuivre un contrevenant à la loi américaine au Maroc, par exemple? Toute loi qui serait mise en place répondrait à un droit international et nécessiterait un consensus bien difficile à obtenir", expliquait le juriste Mehdi Lahlou. Un internaute qui écrirait depuis la France ne serait donc pas justiciable au regard de la loi marocaine, avec ou sans carte de presse. Mais tout de même, à qui profite le crime? Internaute = journaliste ? “Après les révolutions arabes, plusieurs gouvernements, jusque là sceptiques quant à la portée d'internet, ont pris conscience de sa “capacité de nuisance". Ils ne croyaient pas qu'il s'agissait d'une arme capable de divulguer des vérités sur le régime. Internet a été un choc aussi bien pour les peuples, que pour les régimes, comme ceux de Bahrein ou d'Arabie Saoudite", explique le Dr Hisham El Miraat, président marocain du groupe international de défense des libertés sur le net, Global Advocacy. Pour lui, ce sont aussi bien les corporations, que certains régimes qui auraient intérêt à museler internet. Pour d'autres internautes, preuves en seraient les tentatives, supposées ou réelles, de Microsoft de racheter le world wide web, ou encore, le recrutement des bloggers qui testent les produits de grande consommation. Ce qui se fait à l'international commence à poindre le bout de son nez au Maroc. Même sans carte de presse, on constatait la présence de représentants du micro-blogging, lors des conférences de presse relatives à la ligne de chemin de fer à grande vitesse, ou encore lors des explications de la ministre de la famille et des solidarités, Bassima Hakkaoui et de la famille de Amina Filali en 2012. Dans les faits, accorder une carte de presse aux internautes, semble relever plus de la formalité que d'un processus ardu. Le Maroc : terre promise des cyber-dissidents Mais le gouvernement marocain en profiterait- il pour museler internet ? “Le Maroc est l'un des pays les plus libres en matière d'accès à internet. Tous les sites, qu'ils soient d'opposition ou pro-polisario sont accessibles sans limites," analyse Dr Al Miraat. En matière de libertés sur le web, le Maroc est encore bien loin devant des pays comme les Emirats Arabes Unis ou le Koweit, où il est nécessaire de s'identifier avant de se connecter. Tout comme en Chine. Dans des pays développés, comme en Corée du Sud, l'anonymat est en passe de disparaître. Dans ce contexte, le Maroc prend des airs de terre promise des cyber-activistes. Mais pas réellement : “en juillet 2012, le site du groupe contestataire Mamfakinch avait été piraté. Les logiciels de piratage utilisés ont permis de remonter jusqu'à un fabricant italien de logiciels, logiciels qui coûtent très chers cela s'entend." Autre source d'inquiétude, selon le site d'information reflets.info, le Maroc se serait porté acquéreur d'un logiciel de surveillance en ligne, Pop Corn. De quoi soulever des inquiétudes dans le Royaume. Plus de combat à mener ? Cependant, la Maroc est loin d'être la brebis galeuse du monde. Déjà, à l'international, le réseau social Facebook prend des positions, pour le moins “particulières". Le site de Marc Zuckerberg avait, par le passé, supprimé des pages de soutien à l'intifada palestinienne. Plus récemment encore, le site avait arrêté une page des féministes arabes. De quoi soulever des questions de l'indépendance de ces nouveaux supports de médias… Plus anciennement, la compagnie Google fournit l'identité des bloggers à la police, pour peu qu'on lui présente une ordonnance de tribunal. “L'expérience nous l'a prouvé, trop de pouvoir pousse à l'abus. Le réel problème est que nous avons reproduit, sur internet, les mêmes antagonismes que dans la vie réelle entre les gouvernements, les entreprises et les usagers. Naturellement, les deux premiers auront tendance à s'unir, et c'est aux internautes de défendre leurs libertés", conclut Dr Al Miraat. La fin d'une époque?