Patron de Pasona, agence d'intérim affichant 2 milliards de dollars de revenus annuels, Yasuyuki Nambu se bat pour plus de flexibilité. A l'époque de ses études en ingénierie, au début des années 1970, Yasuyuki Nambu a été choqué par les injustices qui régnaient sur le marché japonais du travail. Les hommes avaient beaucoup plus de chances que les femmes de trouver un emploi et, pour un même emploi, ils étaient mieux rémunérés. Pour les femmes qui quittaient leur emploi pour fonder une famille, c'était presque une mission impossible de retourner dans le monde du travail. C'est à cette époque que M. Nambu eut l'idée de créer une association à but non lucratif pour aider les femmes à trouver des emplois flexibles et à mi-temps. C'est son père qui lui suggéra de transformer cette idée en affaire commerciale, donnant naissance à Pasona, une entreprise générant aujourd'hui 2 milliards de dollars de revenus annuels et par laquelle transitent chaque jour près de 250.000 travailleurs… S'il y a des milliers d'agences d'intérim au Japon, Pasona a été la pionnière et reste aujourd'hui une des plus importantes. M. Nambu a contribué à changer la manière dont le Japon travaille. Avant la création de Pasona, les agences de placement étaient gérées par une agence gouvernementale et elles n'offraient rien de plus que des petits boulots. De plus, les travailleurs à mi-temps et les employés temporaires étaient traités comme des parias par un modèle japonais fondé sur les principes d'emploi à vie et de rémunération basée beaucoup plus sur l'ancienneté que sur les performances. Mais depuis la fin des années 1970, les travailleurs temporaires sont progressivement passés de la périphérie au cœur du marché japonais du travail. La tendance s'est nettement accélérée durant la période de marasme économique des années 1990, lorsque les grandes entreprises en difficulté ont compensé le maintien des effectifs par une fragilisation des statuts des salariés et par un recours de plus en plus fréquent aux travailleurs temporaires. De plus, refusant les stéréotypes du col blanc et du salarié, une nouvelle génération de jeunes Japonais revendique le droit de changer d'emploi comme bon lui semble. Ces jeunes sont appelés les «freeters», une combinaison de «free» («libre» en anglais) et de «arbeiter» («travailleur» en allemand). Résultat, les travailleurs non réguliers sont passés de 20% de la force de travail (estimation pour les années 1990) à plus de 30% aujourd'hui. Il n'est donc pas surprenant de constater aujourd'hui de grandes disparités entre travailleurs japonais occupant le même emploi, tant au niveau des rémunérations que des avantages sociaux. Pour M. Nambu, au lieu de considérer les «freeters» comme une manifestation des problèmes qui menacent l'économie japonaise, il faudrait plutôt les voir comme une solution à ces problèmes. Ils permettent une flexibilité bénéfique tant pour les employeurs que pour les employés. Par ailleurs, la meilleure manière de lutter contre la montée des inégalités est de permettre aux «freeters» de bénéficier des mêmes droits que les travailleurs réguliers. «La mission de Pasona va au delà du simple marché du travail. Nous voulons apporter des solutions aux problèmes de la société japonaise», explique M. Nambu, n'hésitant pas à parler de «gouvernement de l'ombre» pour désigner les top managers qui travaillent pour lui. Il pense qu'en instaurant un marché du travail plus flexible, ses collaborateurs seront plus aptes que le gouvernement à solutionner les problèmes urgents du pays, notamment la dénatalité et les régions rurales qui se vident. Ainsi, ce serait au secteur privé et non au gouvernement de conduire les changements nécessaires. Cela ne va pas sans provoquer une pluie de critiques en provenance de l'establishment japonais, peu habitué à voir un patron afficher ce genre de discours jusque sur son site personnel. Mais il faut dire que pour ce qui est de l'anticonformisme, M. Nambu est déjà très réputé, lui qui se rend à son travail en vélo et habillé d'un short fluo rouge! S'il est soutenu en privé par les hommes d'affaires, M. Nambu inquiète les officiels japonais plus soucieux de respecter les traditions en matière d'emploi.