À six semaines du sommet d'Addis, qui devrait consacrer le retour du royaume dans les instances panafricaines, une sourde lutte oppose les deux frères ennemis du Maghreb. Prétexte: le Sahara. Enjeu: une place de choix au sein du leadership continental. L' unité africaine n'avait pas besoin de cela. De ce remake du début des années 1980, quand, dans les coulisses de ce qui s'appelait alors l'OUA, diplomates algériens et marocains s'affrontaient directement et par affidés interposés autour d'un Etat fantôme : la République arabe sahraouie démocratique (RASD). La bataille fut, à l'époque, remportée par celui qui s'en donna le plus les moyens: l'Algérie. Elle se solda par le retrait du Maroc de l'OUA et l'admission de la RASD dans les instances panafricaines. Trente-deux ans plus tard, l'Union africaine (UA) reste l'unique organisation internationale à avoir reconnu l'entité sahraouie, laquelle demeure aussi fictive que le jour de sa création, mais le Maroc, comme chacun le sait, a décidé de passer outre et de réintégrer le cercle de famille. Qui oserait prendre publiquement ombrage du retour de l'un des pays majeurs du continent, cofondateur qui plus est de l'OUA en 1963? Personne, d'autant que le royaume n'y pose aucune condition – pas même l'exclusion préalable des « séparatistes » de la RASD, qu'il considère pourtant comme un corps étranger. Sur l'air de la bienvenue que l'on souhaite, après lui avoir pardonné, à la brebis égarée qui a retrouvé le chemin de l'enclos, la diplomatie algérienne n'a pas été la dernière à applaudir. Officiellement, bien sûr. Car, en réalité, le problème, c'est la défiance. Non sans quelques raisons, les dirigeants algériens sont persuadés que, une fois réintroduit dans la bergerie, le « loup » marocain n'aura de cesse d'en extirper le mouton noir sahraoui. Comment? En principe, rien dans l'acte constitutif de l'UA, adopté en juillet 2000, ne prévoit l'expulsion d'un de ses membres – tout juste peut-il être sanctionné, pour cas de non-conformité aux décisions politiques prises par l'Union. Mieux : adhérer à la charte, comme l'a fait le Maroc, signifie ipso facto que l'on respecte « les frontières existant au moment de l'accession à l'indépendance » et que l'on s'engage à « défendre la souveraineté, l'intégrité territoriale et l'indépendance » desdits Etats membres. Mais, outre le fait que le Maroc n'a jamais reconnu l'indépendance d'un territoire qu'il administre depuis le retrait du colonisateur espagnol et qu'il considère comme son prolongement naturel, rien ne l'empêchera, une fois son retour avalisé, de faire jouer la procédure d'amendement et de révision de l'acte prévue à l'article 32 dans le sens de ce qu'il estime être la réparation d'un déni de sa propre souveraineté – il lui suffira pour cela d'obtenir les deux tiers des voix des 55 membres de l'UA. ANOMALIE. Bien qu'elle ne soit officiellement que « partie intéressée » au conflit du Sahara occidental, l'Algérie s'est toujours comportée comme partie prenante dans le cadre global du rapport de force qu'elle entretient avec le Maroc depuis la guerre des Sables, d'octobre 1963. À ce titre, elle ne peut que regarder d'un œil suspicieux la vaste offensive diplomatico-économique que mène le roi Mohammed VI en Afrique subsaharienne, laquelle devrait connaître son point d'orgue lors du prochain sommet de l'UA à Addis-Abeba, les 30 et 31 janvier 2017 – événement auquel le souverain a prévu de participer personnellement. Personne ne pense en effet que le Maroc se contentera de siéger les yeux fermés à quelques rangées du chef du Polisario et de la RASD, Brahim Ghali, et nul ne doute que, ayant désormais rallié une majorité de pays à sa cause au sein de l'UA, il tentera avec ses soutiens d'en finir avec ce qu'il considère comme une anomalie. D'où les stratégies d'obstruction mises en œuvre depuis quelques mois par l'Algérie et ses alliés, à commencer par l'Afrique du Sud, pour retarder l'échéance. D'ores et déjà, ce climat conflictuel impacte directement la campagne des cinq candidats à la succession de la très anti-marocaine Nkosazana Dlamini-Zuma au poste de président de la Commission, ainsi que le choix (en principe par consensus) du prochain président en exercice de la conférence des chefs d'Etat. Dans le premier cas (Commission), Rabat ne cache pas sa sympathie pour le Sénégalais Abdoulaye Bathily, alors qu'Alger apporte son soutien à la Kényane Amina Mohamed, avec le Tchadien Moussa Faki Mahamat en « plan B ». Dans le second (conférence des chefs d'Etat), Alpha Condé a les faveurs du Maroc et Mahamadou Issoufou celles de l'Algé rie – même si le président nigérien a réitéré à son homologue guinéen, en marge du sommet araboafricain de Malabo, fin novembre, et en présence du Burkinabè Kaboré, qu'il ne se présenterait pas contre lui. Les deux frères ennemis rivalisent aussi sur les terrains économique et médiatique. Sans doute n'est-ce pas un hasard si l'Algérie a organisé son premier Forum africain d'investissements et d'affaires au lendemain de la COP22 de Marrakech et en pleine tournée subsaharienne de Mohammed VI. Ni si Abdelaziz Bouteflika a tenu à recevoir lui même le vice-président nigérian, de passage à Alger, pour évoquer le projet de gazoduc transsaharien. La rencontre, largement médiatisée, a eu lieu le 13 décembre, soit dix jours après la conclusion, à Abuja, en présence du roi et du président Buhari, d'un autre projet de gazoduc, offshore celui-là, entre le Nigeria et le Maroc. Enfin, bien rares sont les observateurs à ne relever qu'une simple coïncidence entre les regroupements forcés, suivis d'expulsions, de migrants africains début décembre en Algérie et l'annonce quelques jours plus tard par le Maroc d'une nouvelle campagne de… régularisation massive de ces mêmes migrants, semblable à celle de 2014, assortie d'une aide d'urgence réclamée par M6 à la Fondation Mohammed-V au profit des Subsahariens expulsés d'Algérie, réfugiés dans le nord du Niger. « Plusieurs chefs d'Etat africains ont tenu à féliciter SM le roi pour sa politique migratoire », précise le communiqué de la commission de régularisation. Dureté républicaine contre compassion monarchique? Une chose est sûre : c'est bien à un nouvel épisode du bras de fer entre les deux puissances du Maghreb que l'Afrique s'apprête à assister. Comme s'il était écrit que, étant sorti de l'OUA dans la douleur, le royaume du Maroc se devait d'intégrer l'UA au forceps.