«Aujourd'hui, il s'agit de bâtir l'avenir à long terme, de marcher vers des horizons nouveaux. Nous devons parcourir maintenant une nouvelle étape» : devant le chargé en permanence à Madrid de la question du Sahara, quelques jours après la marche du 6 novembre 1975, le roi Hassan II tient un discours victorieux, et à raison : Madrid avait averti le Conseil de sécurité qu'il recourrait s'il le faut à la force armée pour s'opposer à la marche projetée par le roi du Maroc, le prince Juan Carlos défendait des solutions non-militarisées tandis que le président Boumediène avait programmé d'inspecter les troupes algériennes qui se trouvent dans le secteur de Béchar, près des frontières du Sahara, avec un renforcement des effectifs et des blindés. Trahison algérienne consommée et assumée. «Avant la fin de cette année (1975), j'irai boire mon thé à Laâyoune. Je l'avais promis...» Le roi Hassan II est ragaillardi. L'autodétermination des Sahraouis ? «Bon, comment la France réagirait-elle si les Alsaciens ou les Bretons décidaient de voter pour l'indépendance ?» Sa Majesté balaie les petites scrupules et les petites objections. Elle dort peu mais elle dort les bras ouverts. Les juges de La Haye ont reconnu l'existence des liens d'allégeance entre les tribus du Sahara occidental et les sultans du Maroc. Hassan II, souverain spirituel, avant et après tout. À quelques jours du franchissement du vingt-septième parallèle par la marche désarmée, Sa Majesté unit le pays en faveur d'une cause sacrée, une cause «existentielle», prend soin de noter Paris, quarante-neuf ans après. Sa Majesté est prête. Dans une telle circonstance, chacun doit apporter le tribut de sa contention pour pour asseoir sur des bases durables l'édifice que l'unité nationale l'appelle à consolider. Les princes royaux, les amis arabes, l'état-major, le gouvernement et même le président mauritanien Moktar Ould Daddah étaient impliqués. Trois cent cinquante mille volontaires en marche, résolus à franchir les derniers kilomètres qui, de Tarfaya, les séparent du territoire revendiqué par le Maroc depuis 1956. Sa Majesté ne redoutait rien, ni les télégrammes américains compulsifs, ni les fausses pudeurs d'Alger, ni les prétextes de Madrid, ni l'agonie de Franco, ni l'étonnement du monde entier qui, il y a quelques semaines, avait plutôt vu dans les intentions royales une aventure incalculée. «Demain, mon peuple, tu fouleras de tes pieds une partie du sol de la patrie. Demain, tu franchiras la frontière par la volonté de Dieu. Dès que tu l'auras franchie, je veux que tu fasses tes ablutions avec le sable et que tu pries, tourné vers La Mecque, pour rendre grâces au Très-Haut. Cette marche est pacifique. Et s'il advient que des agresseurs, autres qu'Espagnols, entravent ta marche, sache que ta valeureuse armée est prête à te protéger» : Sa Majesté ne réserve pas le même sort au «contrebandiers» du Polisario : «Il auront à faire face à l'armée royale. On les bouffera en cas d'hostilité.» L'ex-Sahara espagnol est devenu marocain. Mais après quelques mois, Sa Majesté découvre l'amertume de la parole donnée, et manquée, des Algériens. «Par trois fois, durant l'été 1975, Votre Excellence (Houari Boumédiène) me fit savoir officiellement ceci, et je cite ses termes : "Dites au roi du Maroc, et dites-lui bien que, quelles que soient nos divergences sur le problème du Sahara, et quelle que soit l'issue du litige qui l'oppose à l'Espagne, je prends l'engagement envers lui qu'il ne verra jamais un soldat algérien ou un engin militaire algérien sur le sol du Sahara dans le but de combattre un frère marocain". Ce sont là vos termes. (…) Mais voilà que le 29 janvier 1976 les forces armées royales se trouvent en présence de l'ANP à Amgala, partie intégrante du Sahara. Et le sang entre nos deux peuples a coulé, car votre engagement n'avait pas été tenu. Et voilà encore que, pas plus tard qu'hier, la garnison marocaine laissée sur place à Amgala a été prise à partie traîtreusement (…) par des unités de l'ANP, dotées d'armement lourd et d'effectifs dont le nombre avait été conçu pour une opération d'anéantissement, causant des dizaines de victimes parmi mes fils et les combattants de mon pays. Ainsi, Monsieur le Président, par deux fois, et en moins de dix jours, vos actes ont démenti vos engagements. Pour l'honneur de votre pays et de votre peuple, auxquels s'attachent tant d'adjectifs historiques, je vous adjure d'éviter au Maroc et à l'Algérie un autre drame.» Le roi Hassan II ne lésine pas sur les mots : «Je vous demande aussi de faire en sorte, soit par une guerre loyalement et ouvertement déclarée, soit par une paix internationalement garantie, que dorénavant on ne dise plus chez moi, dans mon pays, parmi mon peuple, Algérie égale inconstance.» L'Algérie n'a jamais pu choisir entre «une guerre loyalement et ouvertement déclarée et une paix internationalement garantie.» Elle a préféré la solution de facilité, soutenir les «maquisards du Front Polisario». Le Polisario ? «Ils essaient de récupérer les populations du Sud-Sahara et de les déporter dans les camps de réfugiés, en Algérie». Les affreux camps de Tindouf surgissent. Vous voulez dire qu'ils sont en train de faire ce travail au Sahara occidental ? Pourquoi ne les empêchez-vous pas ? L'armée marocaine «craint de causer des pertes parmi les populations civiles.» Un territoire qui n'est pas négociable Quelques décennies après, le roi Mohammed VI rappelle ce que les ennemis de la patrie tendent à oublier : le territoire du Sahara «n'est pas à négocier» et «ne sera jamais à l'ordre du jour d'une quelconque tractation». La souveraineté du Maroc sur le Sahara «est une vérité aussi pérenne qu'immuable. Elle ne souffre, de ce fait, aucune contestation», a-t-il assuré. «Si nous engageons des négociations, c'est essentiellement pour parvenir à un règlement pacifique de ce conflit régional artificiel», a poursuivi le monarque. Sa Majesté sait se montrer résolue : l'intervention des Forces armées royales (FAR) en 2020 qui «a restauré la libre circulation des personnes et des marchandises au point de passage de Guerguerat» reliant le Maroc et la Mauritanie a démontré au monde entier que le souverain peut anéantir les provocations algériennes lorsqu'il le souhaite. «Cette action pacifique ferme a mis un terme aux provocations et aux agressions dont le Maroc avait déjà signalé à la communauté internationale la gravité pour la sécurité et pour la stabilité de la région», a précisé le monarque. Le Maroc, pacifique jusqu'au bout. Le journaliste François-Régis Bastide avait ce mot sublime, écrit les années qui ont suivi la marche de 1975 : «Le Maroc, on a beau l'aimer, et le visiter souvent, est un pays comparable aux royaumes de notre enfance. À chaque rencontre, il n'est jamais à la même place. Il faut le prendre tel qu'il est, et le réapprendre, puis l'imaginer encore à travers les confidences des Marocains.» Le prendre tel qu'il est, une expérience qu'il faut toujours tenter.