La nouvelle composition du gouvernement espagnol, annoncée le lundi 20 novembre 2023, par le Premier ministre Pedro Sanchez, bien qu'elle soit une affaire intérieure espagnole, revêt une grande importance pour l'avenir des relations entre le Maroc et l'Espagne, en raison des «gros calibres» maintenus à leurs postes au sein de ce gouvernement, des ministres qui ont amplement contribué au dernier rapprochement entre Rabat et Madrid. Plusieurs dossiers chauds pour les relations entre le Maroc et l'Espagne se trouvent en suspens sur le bureau du chef de la diplomatie marocaine, Nasser Bourita, depuis l'éclatement de la crise politique en Espagne en mai dernier après la débâcle du parti socialiste de Pedro Sanchez aux élections régionales du 28 mai dernier. Le maintien de la nouvelle position de l'Espagne sur le dossier du Sahara, la délimitation des frontières maritimes entre le Maroc et les Îles Canaries, la récupération du contrôle de l'espace aérien sur les provinces sahariennes, la réouverture des postes douaniers entre le Maroc et les enclaves de Ceuta et Melilla, la coopération sécuritaire contre les mafias de l'émigration clandestine, le trafic de drogue et les réseaux terroristes, le dossier de la pêche maritime, sont autant de dossiers épineux en attente de solution. Contrairement à toutes les attentes et spéculations selon lesquelles Pedro Sanchez devrait modifier la composition politique de son gouvernement précédent en introduisant de nouveaux visages, moins politiques, peut-être plus technocrates, Sanchez a annoncé, seulement deux jours après avoir obtenu la confiance du Parlement, la composition d'un gouvernement avec des personnalités avec des profils hautement politiques, aussi bien de son propre parti (PSOE) ou du parti d'extrême gauche « SUMAR », l'autre membre de la coalition gouvernementale. Pedro Sanchez a maintenu toutes les personnalités influentes au niveau politique et partisan à la tête des ministères qu'elles occupaient, élargissant même les pouvoirs de certaines d'entre elles, comme réponse à la sensibilité de la conjoncture politique que traverse le pays, après une crise politique qui a duré plusieurs mois et l'augmentation des pressions sur le gouvernement, tant de la part de l'opposition de droite que des partis séparatistes et nationalistes. Les artisans du rapprochement avec le Maroc, maintenus à leurs postes Parmi ces personnalités, qui jouissent de la confiancerenouvelée de Pedro Sanchez, figurent quatre ministres particulièrement importants pour les relations hispano-marocaines : le ministre des Affaires étrangères, José Manuel Albares, le ministre de l'Intérieur, Fernando Grande-Marlaska, le ministre de l'agriculture, Luis Planas et la ministre de la Défense, Margarita Robles. En effet, le chef de la diplomatie espagnol, reconduit à son poste, José Manuel Albares, est l'une des personnalités qui soutiennent, sans ambages, le rapprochement entre Rabat et Madrid. Il a joué un rôle important et décisif dans le changement historique de la position de l'Espagne sur la question du Sahara marocain, avec la reconnaissance par l'Espagne du plan d'autonomie, sous souveraineté marocaine, comme une « base sérieuse et réaliste » pour résoudre ce conflit vieux de plus d'un demi-siècle. Ainsi, le maintien d'Albares à la tête de la diplomatie espagnole renforcerait la position de l'Espagne sur ce dossier chaud, face aux critiques du reste des partis politiques, y compris le parti « SUMAR », membre de la coalition gouvernementale, et surtout de l'Algérie qui a suspendu ses relations diplomatiques avec Madrid comme réaction à ce changement de critère historique de la part de Sanchez. La deuxième personnalité qui conserve un poste clef c'est Fernando Grande-Marlaska, maintenu comme ministre de l'Intérieur, en dépit des critiques qu'il a reçues lors des derniers quatre ans, de la part des partis de droite et de certaines ONG de défense des droits de l'homme pour sa gestion de la crise migratoire. Marlaska, magistrat de renommée, est une personnalité qui a grandement contribué au renforcement de la coopération sécuritaire entre le Maroc et l'Espagne sur plusieurs dossiers délicats tels que la question de l'immigration clandestine, la lutte contre le terrorisme et le crime organisé. Le maintien de Marlaska à son poste est donc un point fort en faveur des relations hispano-marocaines. Luis Planas, ancien ambassadeur de l'Espagne à Rabat, a été reconduit comme ministre de l'Agriculture et de la Pêche, à un moment très délicat pour la flotte de pêche espagnole privée de son activité au large des côtes marocaines, sur décision de la Commission européenne, dans l'attente d'une décision de la justice européenne. Les deux pays sont appelés à trouver des solutions audacieuses et innovatrices pour éviter le véto UE. La quatrième personnalité c'est la ministre de la Défense, Margarita Robles, un poids lourd du Parti socialiste. Grâce à sa discrétion, sa diplomatie et sans aucun conteste à son savoir-faire, elle a réussi à tisser des liens solides avec les généraux de l'armée espagnole, des conservateurs en majorité. Elle fait partie des personnalités qui poussent également vers un rapprochement et une coopération sécuritaire et militaire avec le Maroc. Il ne reste plus qu'à la diplomatie marocaine, soit officielle ou parallèle, à exploiter cette opportunité historique et travailler, contre la montre, pour renforcer les acquis et résoudre les problèmes en suspens, d'autant que la conjoncture politique en Espagne est très volatile pour diverses raisons. Délimitation des frontières maritimes entre le Sahara et les Îles Canaries Suite à la signature de la feuille de route pour reconstruire les relations maroco-espagnoles sur de nouvelles bases solides en avril 2022, le président du gouvernement autonome des Îles Canaries alors, Angel Victor Torres, avait salué la décision de Rabat et Madrid pour réactiver leur comité conjoint sur les zones de l'océan Atlantique. Il avait exprimé sa confiance que «les décisions unilatérales» prises, selon lui, par Rabat dans ce contexte deux ans auparavant, en délimitant ses frontières maritimes par le biais de lois, seraient «définitivement révoquées». Le président des Canaries et leader du Parti socialiste avait plaidé en faveur de la nécessité de maintenir de bonnes relations diplomatiques avec le Maroc et avait affirmé son intention de visiter Rabat, suivant ainsi la démarche de la plupart des dirigeants qui l'avaient précédé à la tête du gouvernement des îles Canaries. Angel Victor Torres, vient d'être nommé ministre de la Politique territoriale, un poste très sensible aussi bien pour les négociations avec les partis indépendantistes catalan et basque, que pour les Îles Canaries. Il est fort probable qu'il réactive la question de la délimitation des frontières maritimes, aux côtés d'autres ministères dit de «souveraineté» tels que les Affaires étrangères, l'Intérieur et la Défense. Après la nomination de Torres comme ministre, la diplomatie marocaine est appelée à accorder une importance primordiale aux relations avec les îles Canaries sur quatre axes : la délimitation des frontières maritimes, le développement de la coopération économique et touristique entre les régions du Sud du Maroc et l'archipel, l'intensification de la diplomatie parallèle pour contrecarrer l'activité du Front Polisario aux Canaries, et la question de l'achèvement de la souveraineté marocaine sur l'espace aérien du Sahara. Contrôle de l'espace aérien du Sahara. Une souveraineté inachevée Le contrôle total de l'espace aérien est crucial pour consolider la souveraineté marocaine sur le Sahara, une étape qui n'a pas encore été réalisée depuis la récupération par le Maroc de ses régions du sud dans les années 1970. Deux points importants demeurent pour consolider cette souveraineté : la délimitation des frontières maritimes avec les îles Canaries et le contrôle de l'espace aérien des régions du sud. En raison de la présence du Sahara, aux yeux du droit international, parmi les zones dont la souveraineté est disputée entre plusieurs parties, l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) a décidé de maintenir le statu quo du contrôle de l'espace aérien, tel qu'il était pendant l'occupation espagnole : c'est-à-dire la gestion de l'espace aérien de la région par l'organisme espagnol de l'aviation civile ENAIRE, en attendant la résolution du conflit au niveau du droit international. Cependant, avec les récents développements dans le conflit du Sahara et la reconnaissance par de nombreuses puissances internationales de la souveraineté du Maroc sur les territoires sahraouis, ainsi que le soutien d'autres pays au plan d'autonomie proposé par le Maroc comme solution au conflit, la situation a commencé à évoluer en faveur de Rabat. La feuille de route signée l'année dernière par le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez avec le Maroc pour reconstruire les relations bilatérales sur de nouvelles bases et le soutien de l'Espagne au plan d'autonomie ont inclus plusieurs dossiers en suspens, dont la cession de la gestion de l'espace aérien sahraoui au Maroc. Cependant, la crise politique en Espagne a eu un impact négatif sur cette question, ce qui a poussé le gouvernement de Pedro Sanchez à reporter ses négociations avec le Maroc après les élections législatives du 23 juillet dernier. La décision du gouvernement espagnol de suspendre les pourparlers avec le Maroc sur la cession de la gestion de l'espace aérien par Rabat, semblait logique dans un contexte d'instabilité politique interne et de possibilité de victoire de la droite aux élections législatives en Espagne. Avec Pedro Sanchez, reconduit à la tête du gouvernement, les circonstances semblent maintenant favorables pour achever ces négociations et résoudre tous les autres dossiers en suspens. La balle est dans le camp de Nasser Bourita. *Analyste politique et chercheur à l'université Complutense de Madrid