Au Cabestan, restaurant chic de Casablanca où il reçoit les journalistes, Ilyas El-Omari n'en démord pas : le Parti de la justice et du développement (PJD, islamiste) au pouvoir au Maroc depuis 2011 a bien un « agenda caché » qui s'inscrit dans le cadre du « complot mondial des Frères musulmans ». Si le PJD n'a, jusqu'ici, pas pu l'appliquer, explique M. El-Omari, c'est qu'il n'en a pas eu les moyens – sa coalition gouvernementale n'étant pas assez forte – et que la société marocaine n'a jamais eu de penchant pour l'islamisme. Moustache taillée net, bonhomme et souriant, Ilyas El-Omari est le chef du Parti authenticité et modernité (PAM, centre gauche), réputé proche du Palais royal, et qui se présente comme le principal adversaire des islamistes lors des élections législatives qui se tiendront le 7 octobre. Cinq ans après leur victoire historique aux élections de 2011, ces derniers vont en effet remettre leur mandat en jeu et espèrent être reconduits. Mais la bataille s'annonce rude. Rude confrontation Alors que la campagne s'est officiellement ouverte samedi 24 septembre, les hostilités politiques ont commencé depuis plusieurs semaines. Il y a douze jours, un communiqué du cabinet royal remettait sèchement à sa place l'un des ministres allié du PJD. Membre du Parti du progrès et du socialisme (PPS, gauche), Nabil Benabdellah avait au cours d'une interview pointé du doigt « la personne qui se trouve derrière ce parti » (le PAM), « son fondateur », en l'occurrence Fouad Ali El-Himma, un proche du roi Mohammed VI. Dimanche 18 septembre, c'est une mystérieuse « marche anti-PJD » – dont aucun parti ni organisation n'a revendiqué l'initiative – qui s'est déroulée à Casablanca. Le même jour, les déclarations du ministre de la justice, Moustapha Ramid, une figure du PJD, ont fait polémique : sur son compte Facebook, le responsable a estimé ne pas être consulté par le ministère de l'intérieur, dirigé par Mohamed Hassad, un proche du Palais royal, sur la préparation du scrutin législatif. Si la confrontation est aussi rude, c'est que ces élections seront un test pour les équilibres politiques au sein du royaume, cinq ans après le bouleversement né des « printemps arabes ». Début 2011, dans le sillage des révolutions en Tunisie et en Egypte, le Maroc avait à son tour été touché par des manifestations demandant plus de démocratie et de justice sociale. Le roi Mohammed VI avait rapidement annoncé une réforme de la Constitution et la tenue d'élections législatives anticipées, remportées pour la première fois par les islamistes du PJD. Face à eux, cette fois, le PAM fait front et dans cette bipolarisation marquée, chacun joue sa partition. « Depuis 2011, nous avons réussi à renforcer la réconciliation entre les citoyens et la chose politique », fait valoir Moustapha Khalfi, ministre de la communication et membre du PJD, estimant qu'une « bonne partie des engagements a été respectée ». Si le PJD bénéficie d'un bilan modeste – il n'a pas fait adopter de réforme majeure à l'exception de celle de la caisse des retraites –, il reste populaire, toujours auréolé de son image de parti « propre », non corrompu, comme son charismatique leader et chef de gouvernement Abdelilah Benkirane. Lors de son premier meeting, dimanche 25 septembre, le parti a rassemblé plus de 10 000 personnes à Rabat. Le PAM fustige, lui, le bilan de son adversaire. « La croissance, le taux de chômage, l'investissement : aucun objectif n'a été tenu », dénonce Ilyas El-Omari, qui se dit porteur d'un « projet de société progressiste ». Le parti bénéficie, lui aussi, d'atouts importants. Fondé en 2008 par Fouad Ali El-Himma, avec l'objectif de contrer les islamistes, il est fort de son réseau de notables locaux. C'est lui qui a notamment le plus grand nombre de conseillers municipaux. Il est aussi à la tête de cinq régions sur les douze que compte le pays. « Forces de l'ombre » En 2011, au moment du « printemps marocain », Fouad Ali El-Himma avait quitté le parti devant la pression de la rue, avant d'être nommé conseiller au sein du cabinet royal. Mais cette « tentative de déroyaliser ce parti », comme la qualifie un observateur de la vie politique, peine à convaincre. Le PAM est toujours perçu comme proche du Makhzen, le pouvoir et l'entourage royal. Depuis plusieurs semaines, le PJD se dit, lui, victime d'une campagne hostile montée par des « forces de l'ombre » pour le faire perdre. Un concept auquel ils ont donné un nom : « tahakoum » (autoritarisme) et dont ils ont fait un argument de campagne. « Il y a une forte pression mise sur le parti, reconnaît le politologue Mohammed Madani. Mais ce n'est pas spécifique au PJD. On cherche à affaiblir les forces qui paraissent trop indépendantes ». Au cours de ces cinq années, le PJD n'est jamais entré en confrontation avec la monarchie. « Nous travaillons sous le leadership de Sa Majesté. C'est là-dessus qu'est basée la réussite du modèle marocain », rappelle le ministre de la communication, Moustapha Khalfi. Mais la victoire du PJD aux élections locales de septembre 2015 aurait déplu à une partie du pouvoir : les islamistes ont remporté les mairies des grandes villes et une partie des régions, confirmant leur assise en milieu urbain et parmi les classes moyennes. Face à la montée des tensions ces dernières semaines, la directrice de l'hebdomadaire libéral TelQuel, Aïcha Akalay, a mis en garde sur les conditions du combat contre les islamistes. Dans un éditorial intitulé « Battle loyale », publié mi-septembre, la journaliste écrit : « Sans contre-pouvoirs, la nuisance du PJD pourrait s'avérer réelle et non plus seulement fantasmée. Confronter les islamistes n'est donc pas illégitime, c'est un combat politique qui peut se faire au nom de la démocratie. Mais il doit être mené "à la loyale" ».