Si l'affaire des écoutes téléphoniques continue de déchaîner la presse espagnole et les politiciens catalans principalement, la plupart des instances politiques et gouvernementales préfèrent attendre les résultats de l'enquête officielle pour se prononcer. Des révélations choc du ministère de la Défense et de Citizen Lab orientent les enquêtes. Passons en revue ce qui agite ou intéresse le landernau médiatique ainsi que politique espagnol depuis le 5 mai. Evoquons également, mais rapidement, les fhamators marocains qui ne manquent aucune occasion pour ramener une affaire hispano-espagnole, jusqu'à preuve du contraire par la commission espagnole habilitée à en juger, à leur nombril. Il est également intéressant de voir comment la presse anglaise et américaine traite le sujet, presse qui est plus prompte à la vérification de l'information, l'analyse et à la preuve qu'à la précipitation, la propagande et la spéculation. Commençons rapidement par les fhamators marocains et français avant de poursuivre par l'information. Fouad Abdelmoumni tout heureux d'être interviewé par un quelconque organe digital espagnol « El Indipendiente », répète à l'infini, sans preuve, comme un vieux disque rayé, qu'être écouté par Pegasus c'est ce qui lui est arrivé en accusant le Maroc. Ali Lmrabet, toujours occupé à se caresser le nombril, a déclaré à une télévision catalane, jeudi 5 mai, être « pratiquement sûr que le Maroc est derrière l'espionnage du gouvernement espagnol », arguant que « les services marocains l'ont espionné, ainsi que le journaliste Ignacio Cembrero". Pourtant, Cembrero avait affirmé sur ondacero.es , troisième station de radiodiffusion généraliste d'Espagne : « Il est pratiquement impossible de prouver qui a installé Pegasus sur un mobile ». La presse française a fait de la spéculation à la française, en bon relais de l'Etat profond qui gouverne réellement l'Hexagone. Inutile de s'y arrêter davantage. L'essentiel jeudi 5 mai, en Espagne, est incontestablement la comparution de la Directrice du CNI, Paz Esteban, devant les membres de la Commission « Secrets Officiels » au sein du Congrès des Députés. Bien qu'aucun journaliste n'ait été autorisé à y prendre part, « Canal 24 », a déclaré que "Paz Esteban a montré aux membres de la commission les autorisations judiciaires permettant au CNI de mettre sur écoute certains indépendantistes catalans et basques". C'est cette information qui conduit à la piste d'espionnage hispano -espagnole. D'ailleurs, il est curieux que personne à l'étranger ne se soit focalisé dessus. Personne ? Si, « AP News » tout de même, l'agence de presse américaine de renommée mondiale. Rappelons que la presse américaine, canadienne et anglo-saxonne de manière générale, est très respectueuse du droit et fait majoritairement attention à la frontière entre information et diffamation. Concernant cette presse-là, très peu a parlé de ces écoutes depuis le 2 mai. Une dépêche d'« AP News », des articles de « The Economist » et de « The New York Times » se focalisent sur le scandale des écoutes de dirigeants catalans, sans plus. « AP News », à laquelle le ministère de la Défense, ministère de tutelle du CNI, n'a pas voulu répondre concernant l'audition de Paz Esteban car contenant des éléments classifiés, reprend l'information des autorisations de hacking de téléphones de responsables catalans. Information confirmée à « AP News » par Gabriel Rufián, membre du Parti pro-Indépendance catalan qui a assisté à la réunion de la commission. Il confirme à « APnews » que le CNI a admis les écoutes sur la dizaine de responsables catalans. Concernant les quelque 60 politiciens, avocats et activistes cités comme cibles de piratage par Citizen Lab, une enquête aura lieu pour confirmer ou infirmer l'existence d'une telle liste. Quant à l'éventualité de leur espionnage, « le directeur du CNI « a indiqué deux possibilités : un, qu'il s'agisse d'un pays étranger ; ou deux, d'organes de l'Etat qui espionnent au-delà de leurs limites légales ». Ainsi la piste interne continue d'être privilégiée malgré l'annonce d'attaque externe par le gouvernement le 2 mai dernier. Quant à « The Economist », qui lui aussi se focalise sur le scandale des écoutes de téléphones des responsables catalans, il analyse le rapprochement fait entre Pegasus et le Maroc comme un hiatus et non de l'information d'autant que le roi Mohammed VI figurait lui-même dans la liste de Amnesty Lab de l'été dernier. En effet, tout en insistant sur le fait que personne ne sait qui a infecté les téléphones des ministres espagnols, et quand bien même le Maroc et l'Espagne étaient en conflit diplomatique à l'époque, « The Economist » clarifie que « rien ne prouve que le gouvernement marocain en soit l'auteur. Pour sa part, le roi du Maroc figurait l'an dernier sur la liste des cibles potentielles de Pegasus établie par Amnesty ». Quant à la presse espagnole, elle continue, dans le bras de fer sur la déclassification des informations liées à ces écoutes qui oppose Barcelone à Madrid, à hésiter entre espionnage externe et écoutes hispano-espagnoles et se pose la question sur l'implication du pouvoir central. Aucun media espagnol n'exclut que des « forces internes incontrôlées » de l'Etat, pour reprendre la formule du député Podemos, Jaume Asens, sur "Sur Catalunya", soient à l'origine de l'espionnage du mouvement indépendantiste et des membres du gouvernement avec le logiciel Pegasus. Et ce, d'autant que certains organes de presse dont « Voz Populi » se demandent comment se fait-il, six mois après la signature d'un contrat d'urgence avec « Indra Sistemas » pour protéger les communications et crypter les conversations téléphoniques des responsables espagnols, via le logiciel COMSec conçu par « Indra Sistemas », que le gouvernement dévoile le piratage des téléphones portables de Pedro Sanchez et de sa ministre de la Défense. Le média rappelle que « Indra Sistemas », entreprise espagnole spécialisée dans l'informatique, est tout de même la deuxième entreprise européenne de son secteur en termes de capitalisation boursière et deuxième entreprise espagnole en matière d'investissement en R&D. Beaucoup d'organes de presse s'inquiètent également, des attaques frontales contre des services extérieurs comme un séisme qui risque de secouer l'Espagne. Et ce, dans le sens où la coopération entre services de renseignements risque d'en être profondément affectée. Une situation fragilisante notamment à la veille de l'accueil par Madrid du sommet de l'OTAN et dans le contexte de la guerre Russie-Ukraine sur le théâtre européen. "El Mundo" soutient, dans son édition du 5 mai, que le cours d'au moins quatre opérations contre le terrorisme jihadiste international au sein du CNI est actuellement perturbé. Et pour cause, bon nombre des opérations que les Forces de sécurité de l'Etat mènent sur le territoire national partent des informations que le CNI reçoit des «services amis», indispensables comme les USA et le Maroc, le royaume étant jugé par la presse ibérique comme le plus important dans la lutte et la prévention du radicalisme en Espagne. Et pour finir, une surprise créée par Citizen Lab, laboratoire canadien spécialiste de la question et qui a révélé les écoutes des dirigeants catalans dès 2015 évoqué le 3 mai dans notre article "Espagne : Affaire Pegasus, à qui profite le «crime» ?", : l'Algérie utilise Pegasus. Un pays à qui la friture dans les relations maroco-espagnoles profiterait autant sinon plus qu'à la France.