Le texte reconnaît notamment «les conditions indignes de l'accueil» réservé aux 90 000 harkis et à leurs familles qui ont fui l'Algérie après l'indépendance, et ouvre la voie à l'indemnisation de quelque 50 000 d'entre eux. Soixante ans après la fin de la guerre d'Algérie, le Parlement a définitivement adopté, mardi 15 février, par un ultime vote très large du Sénat, un projet de loi de «réparation» à destination des harkis. Ce texte vient concrétiser un engagement pris par le président Emmanuel Macron qui, le 20 septembre, avait demandé « pardon » à ces Algériens qui ont combattu aux côtés de l'armée française, mais ont été «abandonnés» par la France après la signature des accords d'Evian, le 18 mars 1962. Les plaies ouvertes par cette guerre meurtrière (1954-1962, près de 500 000 morts) sont loin d'être refermées. La discussion du texte a suscité beaucoup d'émotion dans les hémicycles des deux assemblées, et des tensions dans la communauté harkie. Députés et sénateurs, majoritairement de droite, étaient parvenus à un texte de compromis en commission mixte paritaire, approuvé la semaine dernière une dernière fois par l'Assemblée nationale. « Nous avançons sur le chemin de la réconciliation et de la mémoire qui, nous le savons, sera encore long », a déclaré la rapporteuse pour le Sénat, Marie-Pierre Richer (Les Républicains, LR). «Réparation» de 2 000 à 15 000 euros «Aucun texte ne peut et ne pourra réparer les blessures d'une guerre», a toutefois souligné Laurent Burgoa (LR). Ce projet de loi est «celui de la reconnaissance par la nation d'une profonde déchirure et d'une tragédie française, d'une page sombre de notre histoire», a, quant à elle, fait valoir la ministre chargée de la mémoire et des anciens combattants, Geneviève Darrieussecq. Le texte reconnaît «les conditions indignes de l'accueil» réservé aux 90 000 harkis et à leurs familles qui ont fui l'Algérie après l'indépendance. Près de la moitié d'entre eux ont été relégués dans des camps et des «hameaux de forestage ». « Ces lieux furent des lieux de bannissement qui ont meurtri, traumatisé et parfois tué», selon la ministre. Pour ceux-là, le projet de loi prévoit « réparation » du préjudice avec, à la clé, une somme forfaitaire tenant compte de la durée du séjour dans ces structures, de 2 000 à 15 000 euros. Le nombre de bénéficiaires potentiels est estimé par le gouvernement à 50 000, pour un coût global de 310 millions d'euros sur environ six ans. Si le niveau d'indemnisation a été jugé «faible», voire «ridicule» par certains, les déceptions se sont cristallisées sur les quelque 40 000 rapatriés exclus de la réparation parce qu'ils ont séjourné dans des «cités urbaines» où ils n'étaient pas privés de leur liberté de circulation, même s'ils ont connu des conditions de vie précaires. Jusqu'à 200 000 harkis avaient été recrutés comme auxiliaires de l'armée française pendant le conflit entre 1954 et 1962. Une journée d'hommage de la nation leur est consacrée chaque 25 septembre depuis un décret de 2003. Symboliquement, cette date sera inscrite dans la loi. Poursuite du travail mémoriel Le texte crée aussi une commission nationale de reconnaissance et de réparation, qui statuera sur les demandes de réparation et contribuera au travail de mémoire. Deux missions supplémentaires lui ont été assignées lors des débats au Sénat. La commission pourra ainsi proposer pour les harkis combattants qui en font la demande « toute mesure de reconnaissance et de réparation » appropriée. Elle pourra aussi proposer au gouvernement des évolutions des dispositifs. Emmanuel Macron s'est engagé dans une série d'actes forts pour « apaiser » les mémoires de la guerre d'Algérie, qui continue à diviser les Français. Dans un discours à l'Elysée, à la fin janvier, le chef de l'Etat a fait un geste envers les pieds-noirs en qualifiant d'« impardonnable pour la République » la fusillade de la rue d'Isly, à Alger en mars 1962 – dans laquelle des dizaines de partisans de l'Algérie française furent tués par des soldats de l'armée française – et en estimant que le «massacre du 5 juillet 1962» à Oran devait être «reconnu». Il a aussi rendu hommage, mardi, aux neuf victimes mortes au métro Charonne, à Paris, lors d'une manifestation pour la paix en Algérie le 8 février 1962, violemment réprimée par la police française, alors sous l'autorité du préfet Maurice Papon. Le travail mémoriel se poursuivra par la commémoration des accords d'Evian le 19 mars, soit vingt jours avant le premier tour de la présidentielle. L'Elysée a fait savoir qu'elle préparait avec attention cet anniversaire pour qu'il «ne soit pas pris en otage» par la politique.