La rupture des relations diplomatiques avec le Maroc, annoncée le 24 août 2021, intervient dans un contexte de vulnérabilité du régime algérien mais aussi de son amertume à voir son rival marocain réussir là où il a échoué, estime l'essayiste français Frédéric Encel. Les autorités algériennes ne perçoivent plus le Maroc comme le seul responsable de leurs maux. Le régime militaire est déjà affaibli par une économie mise à mal par la chute du prix du baril de pétrole en 2014, et par une situation politique dans l'impasse depuis l'émergence du Hirak, en février 2019, mouvement pacifique qui revendique une transition démocratique et la fin du système qui perdure depuis 1962. La donne aujourd'hui est différente avec d'un côté le sentiment de crainte d'une Algérie appauvrie, mal gérée, désaffectée et déclassée, et de l'autre un Maroc émergent qui multiplie les projets et les avancées à toutes les échelles. «Comment expliquer la rupture des liens diplomatiques avec Rabat, sinon par l'amertume algérienne devant la réussite de son voisin ?», affirme l'essayiste français Frédéric Encel dans un article paru dans L'Express. «À bien y regarder, reproches et revendications proviennent surtout d'Alger qui, en 2021, a fermé unilatéralement sa frontière et rompu des relations diplomatiques avec Rabat. Une rancœur qui se nourrit (à de multiples) réalités et représentations », a-t-il mentionné. La victimisation du régime d'Alger « permet à la caste des généraux, au pouvoir presque sans discontinuer depuis l'indépendance, d'autolégitimer sa propre férule et la répression de toute contestation», a noté M. Encel, lequel rappelé que l'Algérie «a toujours suivi Moscou (et acheté russe) jusqu'à et y compris après la chute du communisme, se revendiquant du nationalisme arabe et du tiers-mondisme – a contrario du Maroc, qui a diversifié ses partenariats et maintenu d'étroits liens avec la France et les Etats-Unis». Fin août, Alger a ainsi décidé de rompre ses relations diplomatiques avec Rabat avant de fermer, un mois plus tard, son espace aérien à tous les avions marocains. Par la suite, le régime algérien a décidé de ne pas renouveler un important contrat lié au gazoduc Maghreb-Europe (GME), qui relie depuis 1996 les gisements algériens à l'Europe via le Maroc et qui est arrivé à expiration fin octobre 2021. La reprise des relations avec Tel-Aviv et e choix opéré par le roi Mohammed VI «de reconnaître non plus seulement symboliquement, mais aussi constitutionnellement une triple culture – arabe, berbère et juive – exaspère le pouvoir algérien», a-t-il souligné. Le régime algérien est «arc-bouté sur un narratif strictement étato-national et arabe, celui-ci n'a jamais réglé socialement ni culturellement sa propre question berbère, et craint un nouveau printemps kabyle d'une ampleur inégalée», a-t-il précisé. M. Encel rappelle les rêves impossibles en termes géostratégiques de l'Algérie, qui ambitionne d'obtenir «un accès privilégié à l'Atlantique via un Etat sahraoui qui lui serait redevable, sinon inféodé, tant elle aurait soutenu ses promoteurs ». Sauf que « l'annexion et le solide contrôle du Sahara occidental par le Maroc – déjà reconnus par nombre de capitales, y compris désormais Washington – interdisent évidemment cette perspective», a-t-il mis en évidence. Pour l'analyste, l'amertume récurrente d'Alger provient de l'échec d'un régime ayant adopté quantité de mauvais choix. Il en dénombre plusieurs : «Le rejet de l'apprentissage du français après l'indépendance», «un système économique rentier, dirigiste et corseté par le FLN et l'armée qui a plombé un pays pourtant riche en hydrocarbures, dont les retombées n'ont jamais bénéficié à la population»; «le jusqu'au-boutisme dans le soutien politico-militaire aux militants sahraouis et dans l'intransigeance inopérante sur le conflit israélo-palestinien, qui isole un peu plus diplomatiquement un Etat déjà entouré à l'est et au sud d'Etats faillis», etc. M. Encel conclut que la première victime des choix catastrophique de la junte algérienne est le peuple algérien. «D'autant qu'en face, sans ressource naturelle commercialisable (sauf les peu lucratifs phosphates), le Maroc a progressé en deux décennies, sur les plans aussi bien de la diplomatie, des infrastructures ou du commerce, en Afrique subsaharienne francophone notamment, s'offrant le luxe d'une chute sans violences du courant islamiste aux dernières législatives. Au fond, si le Maroc est le commode bouc émissaire de cet entêtement dans l'échec du régime d'Alger, c'est bien le peuple algérien qui en est, hélas, la victime», a-t-il détaillé.