Pour le chercheur et spécialiste du Maghreb Luis Martinez, «Alger instrumentalise, dans les moments de grave crise, la menace supposée que représente le voisin [marocain] pour contraindre ses opposants au silence.» Avant la rencontre des ministres des affaires étrangères des Etats membres de la Ligue arabe, prévue entre le 7 et 9 septembre, les langues se délient. Dans une chronique au ton franc, le chercheur et spécialiste du Maghreb Luis Martinez précise que «la rupture des relations diplomatiques avec le Maroc, annoncée le 24 août, intervient dans un contexte de vulnérabilité du régime algérien qui ne cesse depuis les révoltes arabes de 2011 de dénoncer des complots contre l'Algérie». Pour lui, «les événements majeurs de la décennie dans les pays limitrophes – le changement du régime de Ben Ali en Tunisie, le renversement de Kadhafi en Libye, la déclaration d'indépendance de l'Azawad au Mali, en 2012, et l'intervention Serval, les attaques des djihadistes contre le site gazier d'In Amenas dans le sud en janvier 2013 – sont interprétés comme autant de preuves d'une volonté de déstabilisation du pays.» Le ministère marocain des affaires étrangères, pour rappel, a regretté la décision algérienne «complètement injustifiée», condamnant une «logique d'escalade» et rejetant «les prétextes fallacieux, voire absurdes, qui la sous-tendent». Pour le spécialiste, le régime algérien est «décrédibilisé par son incapacité à faire face à la pandémie de Covid-19 comme à la furie des incendies ravageant la Kabylie», affirmant que les «autorités algériennes ne perçoivent plus le Maroc comme un rival mais comme un potentiel ennemi, aspirant à déstabiliser un régime déjà affaibli par une économie mise à mal par la chute du prix du baril de pétrole en 2014, et par une situation politique dans l'impasse depuis l'émergence du Hirak, en février 2019, mouvement pacifique qui revendique une transition démocratique.» Les tensions se sont accentuées en 2020 quand l'ancien président américain Donald Trump a décidé de reconnaître la souveraineté de Rabat sur le Sahara, accompagnée d'une reprise des relations du Maroc avec Israël. Aux yeux du régime algérien, «deux organisations notamment sont visées et considérées comme terroristes, le mouvement islamiste Rachad, qui revendique l'héritage de l'ex-Front islamique du salut (FIS), et un mouvement kabyle fondé en 2001 qui revendique l'autodétermination de cette région de l'Algérie, le MAK (Mouvement d'autodétermination de la Kabylie) qui serait, selon les accusations d'Alger, soutenu par Rabat.» Le spécialiste rappelle qu'en 2015, déjà, «la délégation marocaine à l'ONU avait soulevé la question du droit à l'autodétermination de la Kabylie en réaction au soutien algérien au Polisario. L'incident diplomatique était resté à l'époque circonscrit à des réactions sur Internet. La situation politique algérienne était alors sous contrôle et les finances encore abondantes. La donne aujourd'hui est différente avec d'un côté le sentiment de crainte d'une Algérie appauvrie et déclassée, et de l'autre un Maroc émergent». «Depuis 2017, le Maroc a réintégré l'Union Africaine qu'il avait quittée en 1984 et depuis, le royaume chérifien déploie un activisme diplomatique en Afrique qui exaspère l'Algérie. Cela d'autant plus que l'administration Trump a publiquement conforté la souveraineté marocaine sur le Sahara. Rabat presse maintenant ses partenaires européens d'en faire autant», écrit M. Martinez avant de conclure : «Cette nouvelle rupture des relations diplomatiques imposée par Alger n'est qu'un nouvel épisode d'un interminable bras de fer.»