Emmanuel Macron a accusé le système «politico-militaire» algérien d'entretenir une «rente mémorielle» en servant à son peuple une «histoire officielle» qui «ne s'appuie pas sur des vérités». «On rappelle souvent la déclaration de Macron candidat à Alger : la colonisation est un crime contre l'humanité. Il ne l'a jamais reprise et ce n'est certainement pas le fond de sa pensée» écrit le philosophe Paul Thibaud dans le Figaro, édition du 29 octobre, liant les tensions actuelles au travail de mémoire fait en France sur la Guerre d'Algérie. «La réconciliation mémorielle [doit répondre] à une volonté analogue de déplacement, dont on ne voit aucun signe du côté algérien» dit-il avant d'ajouter que «la mémoire des matraquages et meurtres du 17 octobre 1961 est à vif des deux côtés (...) en exigeant qu'on fasse l'impasse sur ses responsabilités en 1961, c'est toute sa stratégie pendant le conflit que le FLN veut faire avaliser. Emmanuel Macron a refusé d'entrer dans ce jeu du FLN, n'incriminant pour 1961 que le seul Maurice Papon et reprochant au FLN de prétendre à une rente mémorielle». L'Algérie a rappelé son ambassadeur en France le 3 octobre en signe de protestation et interdit le survol de son territoire aux avions militaires français qui desservent le Sahel, où sont déployées les troupes de l'opération anti-djihadiste Barkhane. Le ministre algérien des Affaires étrangères a alors dénoncé une «faillite mémorielle» du président français et appelé certains dirigeants étrangers à «décoloniser leur propre histoire». La France a de son côté appelé au «respect» de sa souveraineté par Alger, après que l'ambassadeur d'Algérie en France a incité la communauté algérienne à «constituer un levier de commande» pour intervenir dans la «vie politique française». Pour le philosophe, Emmanuel Macron «a compris que la demande d'excuses globales et unilatérales impliquait le refus d'interroger l'histoire, mais l'historiographie qu'il a esquissée en réponse est hâtive et fragile : partie de l'Empire ottoman depuis deux siècles, l'Algérie n'aurait pu en 1830 que passer d'une colonisation à l'autre.» «Ceux qui demandent que Macron ne s'arrête pas à l'incrimination de la police parisienne et de son responsable, veulent qu'il reconnaisse un crime d'Etat. Crime, donc violence unilatérale, attribuée à l'Etat en bloc, au gouvernement et au président de la République, lequel en effet ne pouvait pas tolérer que le FLN organise son défilé de la victoire dans Paris. C'est là oublier les responsabilités intermédiaires d'exécutants agissant selon les circonstances, construire un bloc de culpabilité française en face d'un FLN qui ces mois-là n'a été rien moins que passif. On est là à l'opposé de la réconciliation mémorielle, qui ne peut pas être instantanée, qui ne dépend pas de la proclamation de regrets, qui n'est qu'un horizon dont la mise à jour des enchaînements concrets est la seule voie possible» détaille le philosophe. «Mais on peut se demander si cette voie de patience et de rigueur est possible dans un pays que l'effondrement de la dualité droite/gauche prive de la double clé qui lui permettait d'interroger et de réinterroger son passé, un pays où il n'y a plus de divergence reconnue mais où règnent polémiques hystériques et disqualifications réciproques» a-t-il conclu.