Ne pas faire partie de l'ALN, l'Armée de libération nationale, celle qui a combattu les colons français durant la guerre d'indépendance, n'est pas la seule caractéristique du patron de l'armée algérienne. Avant de devenir général en 1995, et d'être nommé à la tête des secteurs opérationnels de Sidi-Bel-Abbès et de l'ouest algérois, Saïd Chengriha était un colonel connu pour ses méthodes atroces. Dans son livre La Sale Guerre. Le témoignage d'un ancien officier des forces spéciales de l'armée algérienne, La Découverte, Paris, 2001, Habib Souaïdia, ex-lieutenant algérien, raconte comment Saïd Chengriha, colonel dans l'armée durant la décennie noire, brûlait des forêts entières dans sa lutte contre les groupes islamistes algériens à partir de 1993, et jusqu'aux grands massacres de civils (1997-1998). Saïd Chengriha, qui accuse le Maroc des derniers sinistres de forêts en Algérie, était, de mars 1993 à décembre1994, le commandant en second (puis par intérim) du secteur opérationnel de Bouira (SOB), rattaché au centre de commandement de la lutte antisubversive (CCLAS). Ses crimes sont innomables, et Lakhdaria, une commune d'Algérie située dans le nord de la préfécture de Bouira, en Kabylie, en garde un mauvais souvenir. «L'été 1993 s'annonçait très chaud. Mais il ne s'agissait pas des conditions climatiques. Le général Medjahed et le colonel Chengriha nous avaient donné l'ordre d'incendier, avec de l'essence, plusieurs montagnes près de Lakhdaria et en Kabylie. Lakhdaria était connu pour être un lieu de transit des groupes terroristes : ils passaient par là pour se rendre en Kabylie, à Jijel ou dans l'Est du pays. Le terrain très boisé facilitait leurs déplacements : il était impossible de voir quoi que ce soit par hélicoptère. Le feu allait non seulement les déloger mais surtout dégager le terrain et nous permettre de voir de loin tout déplacement suspect. En raison des feux de forêts que nous avions allumés, la température atteignait parfois les 45 degrés. Des arbres centenaires brûlaient. Ce désastre écologique n'a pas manqué de faire des morts parmi la population civile. En Kabylie, par exemple, cinq personnes ont trouvé la mort. En l'espace de deux mois, des dizaines de milliers d'hectares de forêts et de pâturages ont été détruits. [...]» racontait Habib Souaïdia dans son livre qui a eu un fort retentissement. Les crimes de Saïd Chengriha sont d'autant plus graves que l'Algérie ne possède en effet que 4 millions d'hectares de forêts, soit un taux de boisement de 1,74 %. «Mon arrivée à Lakhdaria [en mars 1993] a coïncidé avec l'installation d'un nouveau commandant de secteur : le général Abdelaziz Medjahed. Mohamed Lamari avait décidé de créer des "centres opérationnels de lutte antisubversive" (COLAS), qui regroupaient plusieurs secteurs militaires. Lakhdaria était ainsi rattachée au secteur opérationnel de Bouira (SOB) et commandé désormais par le général Medjahed, secondé par le colonel Chengriha. [...]» narre l'auteur. «J'ai eu à servir sous les ordres du colonel Chengriha en 1993 et 1994 et j'ai témoigné dans mon livre La Sale Guerre (La Découverte, 2001) des atrocités qu'il avait alors organisées contre nos adversaires islamistes et contre la population. J'y relate également les sinistres "exploits" du général-major Amar Athamnia, qui commandait à l'époque (avec le grade de colonel) le 12e régiment de para-commando (12e RPC), que j'ai appelé le "régiment des assassins", et qui a été nommé en 2005 par Gaïd Salah à la tête de la Ve région militaire (poste qu'il occupait encore en 2019)» racontait M. Souaïdia. Dans son livre, M. Souaïdia raconte aussi comment les chefs de l'armée et de la police politique contrôlent seuls le pouvoir, et que, depuis les années 1980, ils sont devenus une coupole mafieuse qui se partagent des milliards de dollars de la corruption malgré le dénuement de la population. Il évoque également les «luttes de clans» permanentes au sein du pouvoir, celui-ci est resté uni autour de l'essentiel : la captation de la rente. Saïd Chengriha est aussi coupable d'assassinats sommaires. «Lors des vingt-sept mois que j'ai passés à Lakhdaria, j'ai été le témoin direct d'assassinats de ce type au moins une quinzaine de fois. Ceux qui pratiquaient ces exécutions sommaires étaient aussi bien des hommes de notre garnison que des officiers venus d'Alger. Parmi les premiers, outre les lieutenants que je viens de citer, il y avait des officiers du 25e RR, du DRS de Lakhdaria et du SOB ; je peux citer le commandant Bénaïch (l'adjoint du colonel Chengriha), le colonel Chengriha lui-même et le commandant Ben Ahmed (qui a pris le commandement du 25e RR après le lieutenant-colonel Daoud, parti début 1994 pour faire l'école de guerre en Russie). D'Alger, venaient souvent des lieutenants et des capitaines du CPMI et des autres CMI : ayant recueilli dans d'autres secteurs des renseignements sur des suspects de notre région, ils venaient eux-mêmes les arrêter avec notre aide, puis ils les torturaient et les exécutaient. [...]» écrit M. Souaïdia dans son livre. Depuis l'indépendance en 1962, le pouvoir militaire ne voulait ni construire un Etat ni bâtir une économie durable, seulement édifier une économie de rente au bénéfice d'une véreuse nomenklatura et de ses réseaux clientélistes et neutraliser toute opposition possible. «Plusieurs personnes ont été assassinées en mai et juin 1994 par les militaires de Lakhdaria, sur ordre des généraux avec l'accord du colonel Chengriha, alors commandant du SOB. Il s'agit des frères Braiti, des frères Bairi, de Farid Kadi, Fateh Azraoui, Abdelwaheb Boudjemaa, Mohamed Messaoudi, Mohamed Moutadjer, Djamel Mekhazni et des frères Boussoufa» avait évoqué l'auteur dans son livre riche en révélations. L'invariable libellé des communiqués de presse des organes du régime algérien en 1993 un «nouveau massacre perpétré par un groupe islamiste armé», est devenu, en 2021, «le Maroc est accusé de». Mais la réalité est tout autre.