Au nom de la «réconciliation», le premier ministre espagnol Pedro Sanchez a annoncé lundi que son gouvernement allait gracier mardi les neuf indépendantistes catalans condamnés à la prison pour la tentative de sécession de 2017. «Demain, guidé par l'esprit de concorde de la Constitution, je proposerai au conseil des ministres d'accorder la grâce aux neuf condamnés» pour cette tentative de sécession à des peines allant de neuf à 13 ans de prison, a déclaré le dirigeant socialiste lors d'un discours soigneusement orchestré dans le prestigieux théâtre du Liceu à Barcelone. Coupé par des cris d'«amnistie» émanant du public, M. Sanchez a affirmé comprendre «le rejet» d'une telle mesure, aussi bien par une partie des indépendantistes que par l'opposition de droite, mais a expliqué que son gouvernement avait «opté pour la réconciliation» en Catalogne, où la société est toujours profondément divisée quatre ans après la crise de 2017. «Avec cette mesure, nous sortons concrètement neuf personnes de prison», dont l'ancien vice-président du gouvernement régional, Oriol Junqueras, «mais nous en rassemblons des millions et des millions en vue de vivre ensemble», a insisté le premier ministre, insulté à sa sortie du Liceu par plusieurs centaines de manifestants indépendantistes. «Ce que nous voulons, c'est l'indépendance. Pas des miettes ou un pardon», a notamment déclaré Angel Segura, l'un de ces manifestants, âgé de 18 ans. Les indépendantistes exigent une amnistie effaçant totalement le délit, car «organiser un référendum ne peut pas être un délit», a déclaré le président régional catalan, Pere Aragonés, qui a toutefois souligné que cette grâce, qui va permettre aux dirigeants indépendantistes de sortir de prison dans les jours à venir en les exemptant du reste de leur peine, allait «corriger une sentence injust ». Référendum et déclaration d'indépendance La tentative de sécession de la riche région du nord-est de l'Espagne en octobre 2017 a constitué l'une des pires crises politiques qu'ait vécue l'Espagne depuis la fin de la dictature franquiste en 1975. Malgré son interdiction par la justice, le gouvernement régional de l'indépendantiste Carles Puigdemont avait organisé un référendum d'autodétermination, émaillé de violences policières. Quelques semaines plus tard, le parlement catalan avait déclaré unilatéralement l'indépendance de la région. Le gouvernement espagnol, alors aux mains des conservateurs, avait réagi en destituant le gouvernement régional et en mettant la région sous tutelle. Poursuivis par la justice, les ex-membres du gouvernement régional ou les leaders d'organisations séparatistes avaient quitté l'Espagne, comme Carles Puigdemont, ou s'étaient retrouvés derrière les barreaux. La condamnation de neuf d'entre eux pour sédition en octobre 2019 avait entraîné des manifestations massives en Catalogne dont certaines avaient dégénéré violemment. Selon un récent sondage de l'institut Ipsos, 53 % des Espagnols sont opposés à cette grâce alors qu'une large majorité (68 %) y est favorable en Catalogne. Avec «cette grâce, Sanchez donne un coup de grâce à la légalité», a dénoncé le chef de l'opposition de droite, Pablo Casado, qui avait participé le 13 juin à une manifestation rassemblant plusieurs dizaines de milliers de personnes à Madrid contre cette mesure. La droite accuse le premier ministre d'accorder cette grâce uniquement dans le but de se maintenir au pouvoir, alors que son gouvernement minoritaire est soutenu par une partie des indépendantistes. M. Sanchez, qui a prévu de s'adresser à la Chambre des députés le 30 juin pour expliquer cette mesure controversée, a en revanche reçu la semaine dernière l'appui du patronat espagnol ainsi que de l'Eglise catalane. Mesure «clé» Selon plusieurs analystes, Pedro Sanchez lance maintenant ce pari risqué, car les prochaines élections nationales, prévues au plus tard en janvier 2024, sont suffisamment éloignées. «Avec le temps, la grâce apparaîtra anecdotique si l'économie va bien» grâce au mégaplan de relance européen, souligne Pablo Ferrándiz, sociologue à l'Université Carlos III de Madrid. Reste désormais à voir si cette mesure – qui ne concernera pas Carles Puigdemont, toujours poursuivi par la justice – pourra permettre de faire avancer le dialogue en Catalogne. La grâce est «la clé qui ouvre le cadenas» en Catalogne, juge Oriol Bartomeus, professeur de Sciences politiques à l'Université Autonome de Barcelone. Mais le «chemin ne va pas être facile», selon lui, alors que les indépendantistes campent sur leur exigence d'un référendum d'autodétermination que le gouvernement rejette catégoriquement.