L'appel pour une contribution de la Banque Centrale de Tunisie (BCT) au financement du budget de l'Etat, qui fait face actuellement à une conjoncture qualifiée de "critique", a suscité des craintes chez les principaux acteurs de la scène nationale, aussi bien sur l'objectif principal de cette institution d'émission que sur son indépendance. Et pour causes, une situation économique difficile que traversait le pays avant la pandémie de coronavirus et qui s'est aggravée après la crise sanitaire. Pour la première fois depuis 1962, le PIB de la Tunisie sera négatif. La période actuelle, étant jugée "exceptionnelle" à tous les niveaux, la croissance de l'économie nationale en 2020 devrait s'établir au mieux à -7,2, selon les prévisions, notamment de la Banque des banques. Rien que pour boucler son budget de 2020, le gouvernement tunisien a réclamé des financements de 10 milliards de dinars (environ 3 milliards d'euros) au bout de deux mois. Tout en admettant que l'actuelle conjoncture économique est "critique", le chef de gouvernement Hichem Mechichi a souligné la nécessité de fédérer les efforts des différentes parties pour surmonter les défis posés, notamment en matière de financement du budget. Déterminé à mobiliser les ressources nécessaires pour couvrir le déficit budgétaire pour l'année 2020, le chef de gouvernement a ainsi appelé la BCT à intervenir sans tarder, recommandant de trouver de "vraies formules" pour assurer l'adéquation entre l'indépendance de la banque centrale et le renforcement de son rôle en matière de consolidation des finances publiques. Mais, le financement du budget par la Banque centrale n'a pas trouvé d'écho auprès du FMI, dont le représentant à Tunis a soutenu que la domination de la politique monétaire par les besoins budgétaires "aura un impact négatif". L'appel du chef de gouvernement se heurte également aux statuts de la BCT, lui interdisant de financer le déficit prévu dans le projet de loi de finances complémentaire de 2020. Le 27 octobre dernier, le conseil d'administration de la BCT était explicite à ce sujet. Il avait réitéré l'attachement de la Banque centrale à sa mission de maintenir la stabilité des prix et de contribuer à la stabilité financière. La BCT sera, certes, au chevet de l'économie durant cette période difficile, mais il ne faut pas renoncer aux résultats réalisés au niveau de l'inflation, mettait en garde la BCT. Cependant, étant vivement sollicitée à venir à la rescousse de l'économie, la BCT a demandé une autorisation exceptionnelle du parlement et un engagement de l'Etat à mener les réformes structurelles nécessaires permettant la reprise des équilibres des finances publiques. Le gouverneur de la BCT, Marouane Abassi, a souligné, lui-même, que le rôle fondamental de la BCT réside dans la lutte contre l'inflation et la réalisation de l'équilibre financier. Le refus du gouverneur de la Banque de financer le budget a agacé le chef de gouvernement, qui n'a pas, en effet, hésité à le recadrer pour avoir crié sur tous les toits sa divergence avec le gouvernement sur ce financement. Dans une tentative d'apaiser ce climat de tension et trouver une issue au problème, le bloc parlementaire démocratique (38 députés) a soumis une proposition d'amendement de certaines dispositions de la loi réglementant la BCT. Cet amendement, si adopté, permettrait d'étendre le champ d'intervention de la Banque centrale au financement de la trésorerie de l'Etat, moyennant un taux bien déterminé et fixé dans le temps. Au cours d'une session plénière, la députée et présidente du Parti Destourien Libre, Abir Moussi, s'est dite "estomaquée" de voir la BCT accepter des opérations d'endettement interne en devises, appelant le patron de l'institution d'émission tunisienne à saisir la justice, si besoin, pour éviter d'enfreindre la loi. Elle a, quand même, appelé le gouvernement et la BCT à coopérer pour mener les "vraies politiques économiques" pour extraire l'économie tunisienne de la crise. Mahdi Ben Gharbia, député Tahya Tounes et ancien ministre chargé des Relations avec les instances constitutionnelles, la société civile et les organisations des droits de l'Homme, a lui-même appelé toutes les parties à faire front commun durant cette conjoncture difficile et à ne pas politiser les problèmes, tout en soulignant que l'indépendance de la banque centrale de Tunisie est une ligne rouge à ne pas franchir. La BCT ne dépend ni des gouvernements ni des partis politiques, a-t-il dit, appelant résoudre les "vrais problèmes" et non en "créer de faux". Mais, dans un contexte difficile, marqué par les contraintes imposées par l'épidémie de coronavirus, la contribution de la banque centrale de Tunisie au financement de l'économie nationale n'apporterait pas la prospérité aux Tunisiens en l'absence d'une "vraie solution" à la crise économique que connaît la Tunisie depuis des années, selon plusieurs acteurs politiques tunisiens.