Le projet de la loi de finances pour l'année 2021 a été dévoilé ce lundi 19 octobre. Selon plusieurs économistes, les mesures que contient le PLF entraîneront des pressions fiscales importantes sur la classe moyenne. Selon Nadia Alami, fiscaliste, le PLF 2021 risque d'exacerber le sentiment d'injustice fiscale étant donné que les mesures fiscales qu'il englobe, telle que la contribution de solidarité, ne se basent pas sur une certaine progressivité. La classe moyenne subit une forte pression fiscale aujourd'hui N. Alami tient à souligner que la contribution de solidarité ne concerne pas toutes les entreprises puisque celles qui ont le statut CFC ou qui bénéficient d'une exonération permanente de l'IS, ne sont pas concernées par cette taxation de revenus. « Il aurait ainsi été préférable d'instaurer un impôt de la fortune qui dépend d'un barème progressif par tranches... Cette taxe représenterait une source assez significative pour les recettes fiscales de l'Etat », déclare-t-elle tout en précisant qu'afin d'esquiver cet impôt (ou de payer moins), certains contribuables seraient tentés par la production de fausses déclarations de revenus. Il est ainsi nécessaire de réformer le système fiscal, en prenant en considération les recommandations des troisièmes Assises fiscales. Et ce, pour renforcer les droits des contribuables dans un souci d'équilibre entre les droits et les obligations. D'ailleurs, d'après cette fiscaliste, le PLF ne s'est pas inspiré des recommandations des Assises nationales sur la fiscalité. Ainsi, le barème de l'IR n'a pas été réaménagé au fur et à mesure de l'élargissement d'assiette de cet impôt et l'amélioration de la part de l'IR professionnel pour soutenir les citoyens à bas revenu et les classes moyennes. En outre, la cotisation minimale n'a pas été supprimée. De plus, le taux marginal de l'IS n'a pas été baissé pour certains secteurs afin de dynamiser la création d'emplois et favoriser l'innovation. Les grands agrégats budgétaires, peu ambitieux par rapport à la situation économique Selon Driss Effina, professeur à l'INSEA et président du Centre indépendant des analyses stratégiques, les grands agrégats budgétaires, présentés dans le PLF 2021, sont très importants. Toutefois, ils sont « peu ambitieux par rapport à la situation économique actuelle » vu que le gouvernement table sur « une hausse des recettes de l'Etat ». Il explique que cette hausse est principalement due à l'augmentation des recettes fiscales. Soulignons que la note de présentation du PLF indique que les recettes fiscales au titre de l'année budgétaire 2021 devraient afficher une progression de 5,2%, soit une valeur de 236,9 MMDH. Et ce, grâce à la hausse de 15,7% des impôts indirects (90 MMDH), de 35,8% des droits de douane (10,8 MMDH) et de 16,3% d'enregistrement et de droit de timbre (14,7 MMDH). Par ailleurs, le président du Centre indépendant des analyses stratégiques fait savoir que le gouvernement a maintenu l'effort des investissements publics. Rappelons que les programmes d'investissement financés dans le cadre des comptes spéciaux du Trésor (CST) et non couverts par des transferts du Budget général s'élèvent à 21,34 MMDH. Quant aux programmes d'investissement relevant des services d'Etat gérés de manière autonome (SEGMA), ils se chiffrent à près de 272,43 MDH. S'agissant des budgets d'investissement des collectivités territoriales, ils sont consacrés essentiellement à la mise en place des infrastructures destinées à améliorer les conditions de vie des populations. Les dépenses y afférentes s'élèvent globalement à près de 18 MMDH. Les programmes d'investissement des EPP s'élèvent globalement à près de 81,9 MMDH. Il observe également une augmentation du budget du secteur de la santé et de l'éducation. S'agissant des hypothèses retenues dans le cadre de la préparation du cadre macroéconomique pour le PLF, que plusieurs jugent « surréalistes« , Driss Effina indique que le taux croissance devrait se redresser progressivement. Il note aussi que le taux de 4,8% ne permettrait, en aucun cas, d'absorber les chocs induits par la crise actuelle (des pertes estimées à presque -20 MMDH). « L'objectif aujourd'hui est de ne pas forcer l'appareil économique puisque les équilibres macro-économiques internationaux ont été fortement déstabilisés cette année (...) Cette dégradation va durer dans le temps mais pourrait être rattrapée en 2021 », précise-t-il. Qu'en est-il de la réforme du système CFC ? Le projet de loi de finances 2021 limite la durée d'application du régime fiscal de CFC à fin 2022. La LF 2020 a prévu que l'ancien régime fiscal de CFC en vigueur avant le 1er janvier 2020 demeure applicable aux sociétés de services ayant obtenu le statut CFC avant cette date, sans limitation dans le temps de cette mesure transitoire. Selon la note de présentation du PLF 2021, « cette mesure a été considérée comme non conforme aux standards internationaux que le Maroc s'est engagé à mettre en oeuvre« . Il est ainsi proposé de limiter la durée d'application de l'ancien régime fiscal CFC au 31 décembre 2022 et ce, « afin de permettre au Maroc de se conformer aux standards internationaux et de ne pas être considéré par ses partenaires comme une juridiction non coopérative en matière de bonne gouvernance fiscale ». Pour Driss Effina, il s'agit d'une mauvaise décision étant donné que le Maroc a besoin de capitaux étrangers. « Le Royaume a besoin de plus d'incitations fiscales pour attirer assez d'investissements extérieurs », a-t-il précisé. Et de rappeler que les sociétés de services (institutions financières et prestataires de services professionnels) et les holdings bénéficiaient de l'exonération totale de l'IS pendant une période de cinq exercices consécutifs, à compter du premier exercice d'octroi du statut précité et d'un IS réduit à 8,75% au-delà de cette période. De plus, les sièges régionaux ou internationaux et les bureaux de représentation bénéficiaient d'un taux réduit de 10% à compter du premier exercice d'octroi du statut CFC. En matière d'IR, tous les salariés des sociétés CFC bénéficiaient du choix du régime fiscal qui leur est le plus favorable, à savoir le choix entre un taux d'IR au taux spécifique libératoire de 20% sur le brut pendant 10 ans et le régime fiscal du droit commun. Un exercice budgétaire difficile pour drainer des fonds El Fakir Mehdi, économiste et expert comptable, rappelle que le projet de loi de Finances pour l'année 2021 intervient dans un contexte difficile, marqué par les conséquences de la crise sanitaire. « L'Etat a fait un effort considérable en augmentant les budgets de l'éducation et de la santé, en maintenant l'effort de l'investissement et de la commande publique tout en rationalisant les dépenses courantes. C'est un budget technicien qui s'inscrit dans un contexte de nécessité », a-t-il déclaré. D'après lui, les hypothèses qui ont servi de base au PLF sont optimistes, qui « manquent un peu d'objectivité, mais pas forcément surréalistes ». S'agissant des mesures fiscales du prochain exercice budgétaire, El Fakir Mehdi souligne la nécessité de réformer le système fiscal en optant pour la réduction de la pression tout en élargissant l'assiette fiscale. Cette mesure va aboutir à la sauvegarde des intérêts de l'Etat ainsi que l'équité fiscale. Le PLF 2021 est ainsi, selon l'expert comptable, un projet de transition. « Je pense qu'actuellement, on attend deux moments phares pour prendre des décisions plus audacieuses en la matière. Premièrement, l'élaboration du nouveau modèle de développement et puis la stabilisation de la situation épidémiologique au Maroc« , a-t-il indiqué tout en rappelant qu'en réponse à une conjoncture exceptionnelle, des politiques exceptionnelles doivent être prises afin d'assurer une véritable relance.