Le régime algérien a multiplié ces derniers jours les interpellations et condamnations de militants du «Hirak», ciblant aussi des blogueurs sur Facebook, afin d'enrayer la reprise de la contestation au moment où s'amorce le déconfinement. Avec environ 200 arrestations depuis le début du confinement décrété mi-mars pour lutter contre le nouveau coronavirus, «le pouvoir a vite profité de la trêve pour arrêter le maximum d'activistes», affirme Saïd Salhi, vice-président de Ligue algérienne de défense des droits de l'Homme (LADDH). Ils sont poursuivis pour «des délits d'opinion et d'expression en lien avec des publications sur les réseaux sociaux, notamment Facebook», souligne-t-il. Leurs domiciles sont perquisitionnés, leurs téléphones portables confisqués. La plupart des poursuites s'appuient sur le nouveau code pénal, adopté début mai en pleine crise sanitaire et dénoncé par les militants des droits de la personne. Pour M. Salhi, il s'agit d'«une attaque irresponsable, à la limite de la provocation, contre les droits fondamentaux de la personne.» La vague de répression s'est accélérée en l'espace de quelques jours. Pour la seule journée de jeudi, plus de 20 opposants étaient cités à comparaître lors de sept audiences distinctes. La plupart de ces procès avaient été reportés pour cause de pandémie. Parmi les accusés: des figures plus ou moins connues du «Hirak», des militants politiques et des journalistes, mais aussi des quidams accusés d'avoir moqué le pouvoir sur Facebook. Dans un communiqué, l'ONG Reporters sans Frontières (RSF) a appelé «les autorités à cesser d'instrumentaliser la justice pour museler les médias». «La multiplication des poursuites contre les journalistes algériens est extrêmement inquiétante et fait état d'une dégradation flagrante de la liberté de la presse en Algérie», a accusé Souhaieb Khayati, directeur du bureau Afrique du Nord de RSF. Quatre journalistes algériens ont fait l'objet cette semaine de poursuites ou condamnations à des peines de prison. Selon le Comité national pour la libération des détenus (CNLD), une association de soutien, soixante prisonniers d'opinion sont actuellement derrière les barreaux. «Le pouvoir ne croit pas au changement, il refuse d'écouter le peuple. À mon avis, il procède aux arrestations pour casser le +Hirak+», estimait récemment l'avocat Mustapha Bouchachi, dans le quotidien francophone Liberté. Mais loin de briser ce mouvement de protestation inédit, pluriel et sans tête de file proclamée, la traque aux «hirakistes» pourrait avoir l'effet contraire. «C'est un sentiment général de Hogra», un terme populaire algérien qui signifie «abus de pouvoir», qui prévaut dans la population, observe M. Salhi. «En réaction, certains prévoient déjà de ressortir dans la rue», malgré les risques de propagation de la maladie Covid-19, assure-t-il. Selon le dernier bilan officiel, 11 385 cas de contamination ont été officiellement recensés en Algérie, dont 1 811 décès. Depuis le 7 juin, le pays connaît un déconfinement progressif. Mais tout rassemblement — dont les marches hebdomadaires du «Hirak» — reste strictement interdit. Sur les réseaux sociaux, des voix se sont élevées pour manifester à nouveau vendredi. Mais des militants, des avocats, des associations étudiantes ou encore des partis politiques ont rappelé les risques liés au nouveau coronavirus. En province, des mobilisations sporadiques de soutien aux détenus ont eu lieu ces dernières semaines, surtout en Kabylie (nord-est). À Alger ou Oran, la rue est restée calme. Prenant la défense du régime, plusieurs universitaires ont récemment fustigé dans des médias officiels un «néo-Hirak» qu'ils accusent d'être «au service d'un plan étranger». Dans le camp d'en face, une coalition antirégime regroupée au sein du Pacte pour l'alternative démocratique (PAD) a exhorté «les Algériennes et les Algériens à demeurer mobilisés, mais vigilants pour s'engager avec force dans la reprise effective des manifestations pacifiques.» Né en février 2019 d'un immense ras-le-bol des Algériens, le «Hirak» réclame un changement du «système» en place depuis l'indépendance en 1962. En vain jusqu'à présent, même si elle a obtenu en avril 2019 le départ du président Abdelaziz Bouteflika après vingt ans au pouvoir.