L'économie du Maroc est touchée de plein fouet par l'impact de la récession économique liée à la pandémie du nouveau coronavirus. Le système économique et social a été mis à rude épreuve. Quelles seraient ainsi les perspectives de sortie de crise que le Maroc pourrait adopter ? La crise du Covid-19 a le potentiel de générer un impact social et économique durable et dommageable. Comment peut-on ainsi redémarrer la machine économique ? Quel rôle doit jouer l'Etat dans l'effort de relance ? Comment financer cette résurrection ? Selon l'économiste Najib Akesbi, il faut repenser la réaffectation des ressources de l'Etat en utilisant le déficit budgétaire dans des dépenses qui ont un fort impact d'entraînement dans l'économie. Il est aussi question d'imaginer une politique de conversion de la dette en investissement. Il faut abandonner l'orthodoxie budgétaire et monétaire Pour l'économiste Najib Akesbi, tous les regards se tournent aujourd'hui vers l'Etat. « Aujourd'hui, de tout bord, de droite comme de gauche, tout le monde n'a d'espoir qu'en l'Etat. Il faut désormais réhabiliter les services de l'Etat. Une sortie de crise passe inéluctablement par l'Etat qui doit activer son outil de politique budgétaire », explique-t-il dans une déclaration à Barlamane.com. N. Akesbi rappelle que toutes les Banques centrales ont décidé de mettre de côté leur discours orthodoxe sur les politiques non conventionnelles et ont commencé à injecter de l'argent massivement dans l'économie pour sauver les entreprises. Il faut ainsi faire sauter le verrou de l'idéologie ultralibérale de l'indépendance de la Banque centrale. Il se demande si Bank Al-Maghrib compte prêter directement à l'Etat et aux entreprises en ces temps de crise. « C'est une question qui reste en suspens. Ce qui est certain est que l'Etat doit actionner de manière puissante sa politique de relance à travers le budget », précise-t-il. La réhabilitation des services de l'Etat passera inéluctablement par le déficit budgétaire. Un déficit qu'il faut programmer et non subir. Rappelons que le FMI fixe un plafond de 3% en termes de déficit budgétaire. Il s'agit, selon N. Akesbi, d'un tabou qui est tombé puisque « plus personne ne pense à rester dans les 3% ». Il rappelle que « l'histoire a démontré que la question de déficit n'est jamais à prendre qu'au niveau du paramètre niveau. Il faudrait agir sur le niveau et la structure des dépenses ». Les nouvelles dépenses doivent être orientées vers une nouvelle affectation N. Akesbi explique que « quand le déficit budgétaire est utilisé dans des dépenses qui ont un fort impact d'entraînement dans l'économie, ceci a des effets multiplicateurs comme disent les Kynésiens ». Ceci pourrait se répercuter, au début, par des endettements. Mais, une fois que les dépenses publiques vont générer de la croissance, il y aura un accroissement de la production. Et ce, à travers l'accroissement des investissements et la création d'emploi. « Quand la production augmente, elle finit par rejoindre la consommation, donc les effets sur les prix s'annulent », souligne-t-il, tout en précisant que ceci va également aboutir à l'accroissement du PIB, ce qui pourrait être exploité pour rembourser la dette. Il rappelle que toute l'Europe de l'après-guerre a vécu cette expérience. De plus, à titre d'exemple, l'économie turque continue à se développer alors que le pays prône des politiques de déficits budgétaires. « Concrètement, il faut avoir un niveau de dépense à la hauteur des enjeux. Ce sont les projets et les programmes qui doivent définir le niveau du déficit. Et en même temps, ces nouvelles dépenses doivent être orientées vers une nouvelle affectation, là où se trouvent les besoins du plus grand nombre, à savoir la santé, l'éducation, le monde rural et la protection sociale. Il faudrait aussi que le revenu direct soit institutionnalisé. Lorsque les dépenses convergent avec les besoins de la population, c'est évident que l'effet d'entraînement se fait tout seul. Les investissements doivent être ainsi liés à la création d'emplois. Des investissements qui rompent avec ce qu'on fait depuis 20 ans. On n'a pas besoin des grands chantiers maintenant, on a besoin d'infrastructures de base qui répondent aux besoins de la population en matière de services publics », explique-t-il. Si ce déficit, au-delà de son niveau, est affecté pour répondre à ce type de besoin, il ne peut être que salutaire parce qu'il va créer une dynamique dans l'économie. « Il permettra la sortie par le haut. On ne va pas réduire les dépenses pour s'ajuster par le bas aux recettes. On va augmenter les ressources pour couvrir des dépenses plus élevées », ajoute-t-il. Le financement de l'effort budgétaire doit passer aussi par une réforme fiscale Comment peut-on financer ce mécanisme de sortie de la crise ? Pour l'économiste, le financement de l'effort budgétaire doit passer par une réforme fiscale et par une conversion de la dette. Il rappelle, dans ce cadre, les recommandations des 3èmes Assises nationales de la Fiscalité de 2019, dont l'objectif était de définir les contours d'un système fiscal plus performant, transparent, équitable et compétitif reposant sur une assiette d'imposition plus large et des taux moins élevés. « Il faut revoir le barème de l'impôt sur le revenu, qui n'a d'impôt général que le nom. Dans ce cadre, il est essentiel de relever les taux d'imposition sur les basses tranches, pour alléger un peu la classe moyenne, et augmenter sensiblement l'imposition des tranches supérieures des revenus élevés », explique-t-il. Il est aussi question de mettre en place un impôt progressif sur la fortune et les successions. Il faut aussi opter pour une réforme de l'impôt sur les sociétés dans le sens d'une meilleure maîtrise de l'assiette fiscale. Lutter contre l'évasion fiscale est un must. Et ce, en maîtrisant de manière encore plus rigoureuse l'assiette de l'impôt sur les sociétés. Convertir une partie de la dette intérieure permettrait au Maroc d'élargir ses marges de manœuvre budgétaire Selon Najib Akesbi, il faut aussi convertir la dette publique intérieure [NDLR : 80% du montant total de la dette] en investissement. Ce mécanisme a déjà été utilisé par le Maroc entre 1995 et 2004 pour la dette extérieure. « Avec un montant de 97 MMDH, le service de la dette pompe aujourd'hui le quart des dépenses de l'Etat. Un montant qui va être dépassé après l'approbation du projet de décret-loi relatif au dépassement du plafond des emprunts extérieurs. On parle aujourd'hui d'engrenage de la dette : on n'emprunte pas pour se développer et investir, on emprunte pour rembourser », déplore-t-il. Il serait possible de prendre une partie de cette dette, ne serait-ce que 40 MMDH, pour la convertir en investissements. Et ce, en optant pour des projets d'investissement communs entre les créanciers et l'Etat. « Ce sont des projets qui seront mutuellement rentables et mutuellement gagnants pour tout le monde. Le budget d'investissement de l'Etat peut passer facilement de 70 MMDH à plus de 100 MMDH. C'est donc une dépense en moins et un investissement en plus », rassure-t-il. La crise épidémique, illustrée par un quasi-arrêt de la plupart des activités marchandes, a mis à rude épreuve les finances publiques. L'incertitude globale sur le marché du travail a conduit à la perte d'emplois et de revenus, sans savoir à quel moment ils pourraient être rétablis. Ceci se traduit par des défis sans précédent et redoutables pour le pays qui doit faire en sorte que son économie soit prête à se remettre rapidement après la fin de la pandémie. Tous les yeux sont aujourd'hui rivés sur l'Etat pour qu'un plan de relance soit élaboré le plus tôt possible.