De Rabat à Téhéran en passant par Jérusalem, les autorités religieuses, souvent incontournables, soutiennent pour la plupart les mesures de lutte contre la propagation du nouveau coronavirus, en allant parfois jusqu'à autoriser les fidèles à des comportements peu conformes à l'orthodoxie. Dans certains pays, des dignitaires religieux ont toutefois crié à « l'apostasie » et mis en garde contre la colère de Dieu après la fermeture des lieux de culte, dans une région où la religion a une place prépondérante dans la vie quotidienne de la population, musulmane pour une écrasante majorité. « Priez chez vous » à la place de « Venez à la prière »: dans plusieurs pays d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient, comme au Maroc ou au Koweït, les muezzins ont pris acte de la décision des autorités de fermer les mosquées et modifié leur appel à la prière. En Tunisie, où des fidèles prient parfois devant des portes closes de mosquées, des muezzins ont même pleuré en prononçant ces mots inédits, selon des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux. En Terre sainte, le patriarcat latin de Jérusalem a appelé les fidèles à recevoir l'hostie dans la main plutôt que directement dans la bouche lors des messes. En Iran, un des principaux foyers de l'épidémie, l'intense débat entre science et religion a été relancé. Au lendemain d'un vendredi de prière où les fidèles se sont rendus massivement dans les mosquées, malgré l'apparition quotidienne de nouveaux cas de Covid-19, les autorités religieuses égyptiennes ont elles aussi ordonné la fermeture de toutes les mosquées et églises pour deux semaines. Au Liban, où coexistent 18 communautés religieuses, les leaders religieux ont soutenu la déclaration d' »état d'urgence sanitaire » et les mesures de confinement. En l'absence de prêches, des émissions enregistrées par des imams seront prochainement diffusées à la télévision et à la radio tunisiennes pour indiquer le comportement à adopter en tant que musulman, rappeler l'importance de la prière chez soi et la priorité à donner à sa santé. En Irak aussi, des campagnes de sensibilisation ont été lancées par des autorités religieuses particulièrement influentes. Le ministre de la Santé irakien s'est rendu auprès de l'ayatollah Hussein Ismaïl al-Sadr, avec une équipe de télévision, pour qu'il appelle les Irakiens à rester chez eux. Mais son message n'est pas entièrement passé, puisque des dizaines de milliers de pèlerins vêtus de noir ont convergé ces derniers jours à Bagdad pour la commémoration, samedi, du martyr de l'imam Kazem, figure majeure de l'islam chiite. En outre, si la plupart des dignitaires religieux soutiennent les mesures des autorités, des voix discordantes se sont élevées. Le prédicateur salafiste marocain Abou Naïm, connu pour son extrémisme, a accusé les autorités « d'apostasie » pour avoir décidé de fermer les lieux de culte. Il a été arrêté pour « terrorisme ». En Algérie, l'imam Chems Eddine Aldjazairi a affirmé sur Facebook avoir « peur que Dieu nous ait envoyé ce virus pour qu'on revienne à lui et quand il verra que nous avons fermé les mosquées, il nous enverra un autre virus plus virulent » encore. Reste qu'une fois la crise du Covid-19 passée, une image forte devrait demeurer : l'esplanade entourant la Kaaba, lieu le plus saint de l'islam, situé au coeur de la Grande mosquée de La Mecque en Arabie saoudite, complètement vide. Dans le pays berceau de la religion musulmane, ces mesures sont un sacrifice des plus douloureux pour certains fidèles. « Ils ont fermé toutes les mosquées d'Arabie saoudite », a réagi un utilisateur de Twitter affichant un cœur brisé. « Les mosquées sont les seuls endroits où je peux réciter le Coran et trouver la paix. » Tout croyant aspire tout d'abord à une paix intérieure. Un lieu de culte relie au monde extérieur. La foi est un sentiment interne qui s'exerce en tout espace.