À voir l'enchantement de quelques esprits pourtant éclairés devant ce qu'il faut bien appeler un gros coup de Jarnac, on réalise que le clan Bouteflika vient de réussir le hold-up parfait : sans rien changer du dispositif politique douteux qu'il a mis en place, sans rien concéder de ses funestes projets, sans lever l'hypothèque Saïd Bouteflika, le clan est absout de tous ses péchés, les grands comme les petits, et son chef promu Eminence démocrate, grandissime Eclaireur pour la postérité. Il suffisait de rédiger une loi fondamentale « séduisante » pour les âmes tendres, et le tour est joué ! Bouteflika nous aura laissé un beau texte et Saâdani pour le travestir, une Constitution « moderne » et la pègre au pouvoir pour la piétiner, un document que personne ne respectera et une Assemblée de maquignons pour la mépriser. Il eût fallu offrir à cette Constitution les institutions qui vont avec. Qui va mettre en pratique la séparation des pouvoirs, l'indépendance de la justice et tutti quanti ? Saâdani ? Tliba ? Bensalah ? On ne confie pas l'orfèvrerie à des forgerons. Bouteflika a pris la précaution de verrouiller l'armature politique du régime clanique, avant de dévoiler la nouvelle loi. Trois siècles avant Bouteflika, Robespierre avertissait : « Le véritable moyen d'anéantir les abus qui causent les malheurs publics est d'aller droit aux sources principales d'où ils découlent. Or la première source des malheurs d'un Peuple, ce sont les vices de son gouvernement aussi l'expérience nous prouvera-t-elle bientôt que l'Artois doit attribuer la plupart des siens aux vices qui ont dénaturé la véritable Constitution à qui son administration était confiée. » C'est pourquoi l'une des règles majeures de la démocratie veut que la Constitution vienne après l'élection, au suffrage universel, d'une assemblée légitime dont le rôle est, précisément de rédiger une nouvelle Constitution. Une volonté sincère de démocratiser le pays aurait dicté au président qu'il s'ouvre au peuple pour élire de nouveaux représentants conformes au nouvel idéal constitutionnel. Ce n'est pas ce qu'il a fait. L'Algérien attendra que Tayeb Louh et Amar Saâdani, apparatchiks de l'ancien régime, édifient le nouveau régime démocratique, c'est-à-dire qu'ils se fassent hara-kiri. « La loi est-elle l'expression de la volonté générale lorsque le plus grand nombre de ceux pour qui elle est faite ne peuvent concourir, en aucune manière, à sa formation ? Non… Que serait votre Constitution ? Une véritable aristocratie… Et quelle aristocratie ! La plus insupportable, celle des riches ! » Qui a dit cela ? Robespierre toujours ! (Discours d'avril 1791). Dans des Républiques travesties comme la nôtre, où les contre-pouvoirs sont neutralisés, où la force prime sur le droit, les belles constitutions sont faites pour être violées. Bouteflika le sait bien, lui qui a piétiné un nombre incalculable de fois le texte fondamental : 114 fois si on en croit Ali Yahia Abdenour. Nous serons plus modestes : dans cette série de chroniques, nous en citerons six ! La première n'est autre que… Cette révision constitutionnelle qui est complètement anti constitutionnelle. Que dit la Constitution algérienne en vigueur ? Dans son article 174, elle impose que toute révision constitutionnelle soit « soumise par référendum à l'approbation du peuple dans les cinquante jours qui suivent son adoption. » La révision constitutionnelle est d'abord approuvée par le peuple avant d'être promulguée par le président de la République. Contourner le référendum populaire et s'en remettre au seul Parlement n'est autorisé par l'article 176 que « lorsque de l'avis motivé du Conseil constitutionnel, un projet de révision constitutionnelle ne porte aucunement atteinte aux principes généraux régissant la société algérienne, aux droits et libertés de l'Homme et du citoyen, ni n'affecte d'aucune manière les équilibres fondamentaux des pouvoirs et des institutions… » Or, cette révision que propose le président est loin d'être mineure : elle modifie des principes généraux régissant la société algérienne, elle s'étale sur les droits et libertés de l'Homme et du citoyen, elle change les équilibres fondamentaux des pouvoirs et des institutions. Mais qui s'en plaindra ? On aura bâillonné le petit peuple une fois de plus. Mais cette fois-ci, dira Saâdani, c'est pour son bien. ———————- * Journaliste et écrivain algérien