Il y a le haut et le bas Tyoute. Longeant ce village du grand sud marocain, il y a un oued sournois qui comme tous les cours d'eau dans cette région, roule méchamment des eaux en automne et se terre en été. D'un côté de l'oued, il y a les maisons familiales de Kebira et de Hassiba, les deux petites héroïnes du roman ; de l'autre, est l'école. Chaque matin, parfois même quand la nuit joue les prolongations, les deux petites s'y rendent pour suivre les cours de Si Karim – l'instituteur- et pour goûter à la ratatouille de Najia, une adolescente qui cantine en rêvant d'être l'institutrice, c'est-à-dire tout à la fois la maîtresse d'école et la femme de Si Karim. Au milieu de tout ça, il y a Brahim, un aigri doublé d'un macho et qui, au prétexte qu'il est l'oncle de Kebira et que son frère est à l'étranger, la veut régenter ainsi que sa belle-sœur. La mère de Kebira ne peut y faire, c'est la tradition. Nous sommes du côté d'Ouarzazate et les accents des mouvements féministes se perdent souvent dans les gorges des environs n'atteignant qu'éventés les maisons de torchis où sommeillent de vieilles femmes qui de toute manière s'en fichent éperdument. Curieusement, c'est de ce tableau paisible que Dounia Charaf, l'auteure de «Les petites filles et l'oued» fait une scène de crime. Après une nouvelle dispute avec son irascible oncle, Hassiba est découverte morte, flottant entre deux eaux dans l'oued. Une policière mène l'enquête. Trois investigations plus loin, elle découvre que le criminel n'est pas celui qu'on croyait. La boucle est bouclée. Les deux étages de Tyoute peuvent continuer à s'ignorer, Kebira n'en a cure désormais : elle retourne à Agadir vivre avec sa mère qui a enfin obtenu son diplôme d'infirmière. Ecrivaine, Dounia Charaf présente un univers de femmes où les hommes ne comparaissent que comme faire-valoir. Des policiers qui tiennent la chandelle à une policière qui n'hésite pas à transgresser les interdits pour mener une enquête qui n'est pas de son ressort, un oncle rongé par l'envie qui court les petites filles, des maris absents à longueur d'année… le genre masculin n'est pas particulièrement choyé dans ce sixième ouvrage de l'auteure. Qu'à cela ne tienne, il plaît ce roman qui tient des anciennes «terrasses»: ces vases clos féminins d'antan. Son histoire simple, son intrigue modeste et son style apuré séduisent. Il se lit comme ce qu'il est en vérité : un divertissement qui renseigne sur ce qui est peut-être une rémanence de modes de vie qui s'adaptent, qui se font au monde moderne- ou qui se défont, c'est selon. Car ces femmes qui vivent en boucle dans ce roman, qui se suffisent à elles-mêmes de jour comme de nuit, c'est peut-être la parabole de la femme moderne qui déploie ses frasques. On serait même tenté de croire qu'à courir l'autonomisation, certaines en sont venues à perdre le sens de la famille. Un peu comme cette Najia dont le grand rêve était de prendre homme et qui par «accident» a pris la vie de l'une de ses meilleures amies. Une faute certes. Mais sans doute aussi et au préalable, une erreur d'aiguillage.