ALM : Quel bilan faites-vous des JO de Londres-2012? Mohamed Ouzzine : Le bilan le plus parlant est celui des chiffres : Notre pays s'est classé 79ème, 90% de nos athlètes n'ont pas pu dépasser le premier tour, voire gagner une rencontre. Nous pouvons toujours arguer que l'essentiel est de participer, je veux bien, mais participer avec style et présence. Lors des réunions tenues avec les fédérations sportives et nos partenaires du comité olympique, il est manifeste qu'une donne essentielle a manqué à la majorité de nos représentants: la combativité. Des sportifs qui occupaient les toutes premières places à l'échelon mondial se sont faits éliminer dès le premier tour, incompréhensible et inacceptable. On assiste, depuis 2006, au phénomène du dopage des athlètes marocains. Comment expliquez-vous cette pratique? C'est un fléau mondial. Nous sommes bien à l'ère du résultat à tout prix et des disciplines comme le cyclisme, l'athlétisme et bien d'autres sont touchées de manière endémique aux Etats-Unis, en Europe et dans le monde. Ce qui nous pose problème aujourd'hui au Maroc, c'est la recrudescence des affaires révélées et des athlètes convaincus. On dirait que le sport phare du pays est la cible de trafiquants et d'intermédiaires en tout genre. Des intervenants qui vendent le rêve de l'exploit facile à nos jeunes. Et des athlètes qui finissent par croire que la réussite est possible même au prix d'une tricherie. Nous avons décidé d'agir et fortement et rien ne nous arrêtera. Nous voulons protéger le sport national de ces pratiques et nous sommes d'autant plus déterminés que nous pensons que nos valeurs en tant que Marocains et nos traditions n'acceptent pas ces pratiques. Comment le ministère et les fédérations devront réagir face à la débâcle du sport national? Nous ne réagirons pas à la débâcle du sport mais à un constat d'échec de notre système sportif. Ce ne sont pas les mauvais résultats qui guident nos pas, c'est un ensemble d'éléments qui expliquent et mettent en évidence les résultats. Dans ma vie comme dans mon travail, je n'aime pas avancer en regardant mes pieds. Le plus catastrophique dans la situation actuelle, ce n'est pas l'absence de résultats mais l'absence de raisons objectives qui doivent légitimer l'attente de résultats ! Aujourd'hui, dans la quasi-totalité des disciplines sportives dans notre pays, on ne peut même pas parler de relève. Les champions de demain ne sont pas encore dans les starting blocks. La gouvernance a été tellement faible qu'elle a fait le vide au niveau de la base des pratiquants. Donc notre réaction sera forte d'abord au niveau de la gouvernance des fédérations et des clubs qui les composent. Nous souhaitons que le travail de la base soit réel et que la représentativité ne reste pas une question secondaire. C'est quand le mouvement sportif va comprendre que le changement sera effectif car il viendra de la base, que la logique managériale reprendra le dessus. Les professionnels, les connaisseurs, certains journalistes savent ce qui se passe et ne faisaient pas d'illusion quant à nos chances de médailles… Aujourd'hui, il n'y a plus rien à cacher. La Lettre Royale adressée au mouvement sportif lors des Assises du sport en 2008 a dressé le meilleur bilan et a fait le plus pertinent des diagnostics. Qu'avons-nous fait des recommandations de la Lettre Royale ? Malgré le programme du sport de haut niveau, le sport national a du mal à triompher dans les grands rendez-vous tel que les JO? Le programme de haut niveau a réglé une partie des problèmes, à savoir l'aspect matériel et les motivations financières. Maintenant, tout le reste est resté en l'état : absence de système de détection des jeunes talents, faiblesse voire inexistence du sport scolaire et universitaire, fragilité extrême des clubs et associations de quartiers, faiblesse de l'encadrement, absence de tout programme de formation des encadrants… et le rural, véritable réservoir de talents dans le monde entier, est un désert sportif. À tout cela s'ajoute la gestion «caractérielle» des fédérations sportives et une absence criarde de continuité dans les choix stratégiques, notamment techniques.
Quelles sont les mesures à prendre pour redorer le blason du sport national? Mais nous ne voulons pas simplement redorer le blason du sport national ! Notre objectif est de reconstruire le sport national sur des bases plus saines et plus solides. Nous voulons que les fédérations sportives deviennent véritablement des gestionnaires engagées et ambitieuses dans l'intérêt de leurs disciplines respectives. Pour cela, nous allons lutter de toutes nos forces contre la rente sportive qui mine nos institutions, nos fédérations et nos clubs. Nous voulons agir contre la déperdition sportive qui, à l'instar de la déperdition scolaire, constitue une malheureuse hémorragie dans notre sport, les jeunes talents se perdent dans la nature faute d'accompagnement et d'encouragement. Et, enfin, nous voulons remettre en marche le système sportif en le dotant d'outils puissants et incontournables : Un Centre d'excellence pour les sportifs de haut niveau, un Centre de la médecine du sport, le renforcement de la direction technique au sein des fédérations, une autre formulation de la Commission des sportifs de haut niveau, plus utile, plus efficace et plus impliquée sur le terrain… Et dans notre approche, nous commençons par notre propre département avec la dissolution de la Commission de lutte contre le dopage et la remise en question de la direction des sports. Le changement est à ce prix et nous sommes tous engagés pour que le changement que Sa Majesté demande et que le peuple marocain appelle de ses vœux, puisse avoir lieu dans les meilleures conditions. Qu'en est-il du football? Le football est une discipline sportive populaire qui mérite la même attention et la même exigence de notre part que les 45 autres disciplines organisées en fédérations sportives.