Décisions unilatérales au gouvernement, chantage à la démission, menaces de révolte, intimidation intellectuelle au nom de la religion qui ne saurait souffrir la contestation, sont des outils, parmi d'autres, pour tétaniser les autres forces de la nation, pourtant majoritaires Chiffre symbolique : depuis un peu plus de cent jours, le PJD, parti islamiste modéré, dit-on, est au gouvernement. Sans doute que cette durée, insignifiante dans la vie d'un Etat, est insuffisante pour juger de la capacité d'une formation politique à gouverner convenablement un pays. Mais elle est néanmoins assez longue pour laisser transparaître l'aptitude d'un parti à se mouvoir dans les subtilités de la gestion des affaires publiques. Le bon sens populaire marocain dit bien dans un adage que les signes avant-coureurs de la grande soirée apparaissent au milieu de l'après midi. Qu'a-t-on vu jusqu'à maintenant ? Rien ou presque, sinon beaucoup de gesticulations et peu d'action. Trop d'effets de manche et peu de répercussions sur l'espoir des gens dans une vie meilleure. Certains ministres du PJD,- malheureusement ils ne sont pas nombreux -, ont réussi plus ou moins à endosser l'habit gouvernemental. Les autres continuent à faire dans un amateurisme consternant. Les choses sont encore pires du côté du groupe parlementaire des amis du chef de gouvernement, lui-même rattrapé de temps en temps par ses vieux démons. Ce que le PJD, responsables et militants pour une bonne majorité, n'a pas compris c'est qu'on ne gouverne pas un Etat comme on gère un parti. Pour le second, surtout quand on est dans l'opposition, un sens de l'organisation rudimentaire et un savoir-faire oratoire peuvent faire illusion. Un bon mot, parfois une bonne blague à la Benkirane, un ton lyrique suffisent pour faire entrer en transe un parterre d'inconditionnels. Il en va autrement lorsqu'il s'agit de gouverner. Au pouvoir, en partie ou totalement, une formation politique se doit, dès ses premiers jours, de donner aux citoyens des gages de sérieux et de compétence. Qu'en est-il pour le PJD ? Depuis plus de trois mois qu'il est au gouvernement, dont il a pris la tête et les départements les plus importants, Abdelilah Benkirane et ses amis,—qu'ils soient ministres ou parlementaires —, n'ont réussi à donner d'eux-mêmes que l'image d'un parti en perpétuelle campagne électorale. Majorité relative d'une majorité qui n'a pas encore réussi à trouver ni ses repères ni sa cohérence, le PJD se comporte comme s'il était seul au gouvernement. Des décisions à la va vite, des prises de positions intempestives et fougueuses ; par plusieurs fois, les ministres et les députés islamistes ont mis en un temps record la stabilité du gouvernement en péril. Du jamais vu au Maroc. Oublions ce que Abdelilah Benkirane a dit devant ses bases sur le «Printemps arabe» qui rôderait encore autour du Maroc. Mettons de côté toutes les attitudes irresponsables des parlementaires et de certains ministres. Ne retenons que la sortie d'un de ses députés, Boinou, menaçant de faire descendre les militants dans la rue. Juste pour imposer à l'audiovisuel public des cahiers des charges iniques et élaborés sous l'emprise dogmatique de l'appréhension religieuse des affaires publiques qui est celle du PJD. Du Chavez pur cru qui en dit long sur l'état d'esprit d'un groupe parlementaire qui n'arrive pas à faire la part des choses entre responsabilité gouvernementale et agitation politique. Il est acquis désormais que les «cadres» islamistes au gouvernement et au Parlement n'ont pas, ou pas encore, la stature de leurs nouvelles charges. Dilettantisme et immaturité caractérisent leurs positions comme leur travail. Si travail il y a. Un peu plus de trois mois de gouvernement, c'est certainement peu pour réussir une mue qui a mis quatre décennies pour passer de l'islamisme radical et clandestin à un positionnement participationniste supposé constructif. Mais l'inexpérience et le passif extrémiste ne peuvent expliquer à eux seuls la tentation hégémoniste du PJD. L'islamisme «modéré» tracté par le parti de Benkirane reste prisonnier de son soubassement idéologique. La participation à la vie démocratique n'est pas une fin en soi et ne représente pas un choix stratégique destiné à contribuer au développement économique et social du pays. Le péché originel des islamistes, que l'on suppose modérés, se niche dans ce travers. Dans l'architecture intellectuelle de leur mouvement, la participation à la vie démocratique, et en conséquence au gouvernement, n'est qu'une étape pour imposer aux Marocains un modèle de société reposant sur la charia du premier siècle de l'Hégire. Juste après les législatives qui ont placé le PJD en tête des partis politiques au Maroc, les théoriciens, ou plutôt les théologiens parrains doctrinaux de Justice et Développement, ont rappelé, sans ambages, que la participation aux responsabilités gouvernementales n'aurait de sens que si elle conduit à la mise en place de l'ordre moral, tel que conçu par eux. Chaque responsable - ministre, député, élu communal – n'est jugé qu'à l'aune de sa contribution à la construction de l'Etat, non pas musulman, comme l'est actuellement le Maroc, mais islamique comme le souhaitent les partisans de Benkirane. Au gouvernement, comme au Parlement, comme dans chaque commune du pays, les islamistes sont en mission d'infiltration pour transformer la nature de l'Etat. Décisions unilatérales au gouvernement, chantage à la démission, menaces de révolte, intimidation intellectuelle au nom de la religion qui ne saurait souffrir la contestation, sont des outils, parmi d'autres, pour tétaniser les autres forces de la nation, pourtant majoritaires. Ensuite, par petites et néanmoins grossières touches, ils espèrent conquérir les principaux centres de décision, rallier les autres factions islamistes et transformer l'Etat marocain en Etat-parti, l'Etat-PJD.