Mohamed Bouzoubaâ, affirme que les fonctionnaires de l'Etat (policiers, gendarmes, douaniers et magistrats) impliqués dans l'affaire du coup de filet de Tétouan seront jugés par la Cour spécial de justice. ALM: Le coup de filet de Tétouan est le premier du genre pour la justice marocaine. Quel rôle a joué votre ministère dans cette affaire? Mohamed Bouzoubaâ: Tout a commencé, il y a une quinzaine de jours, quand j'ai reçu deux lettres anonymes me signifiant que des anomalies ont entaché des affaires en jugement à Tétouan. Il s'agit de dossiers relatifs au trafic de drogue et à des tentatives de meurtres. Selon ces lettres anonymes, certains prévenus auraient bénéficié de la liberté provisoire, d'autres ont été carrément acquittés. J'ai immédiatement ordonné une inspection sur place pour vérifier la véracité de ces informations. Le premier rapport de l'inspection a effectivement souligné que certaines décisions d'un juge d'instruction et de magistrats de la Cour d'appel étaient anormales, voire suspectes. Ma décision a été de muter, hors de Tétouan, six juges dont le premier président de la Cour d'appel. Lors de l'enquête sur les crimes du 2 août, d'autres noms de magistrats ont été cités par des prévenus. J'ai donc envoyé quatre nouveaux inspecteurs sur place. Leur rapport a conduit à la mutation de cinq nouveaux juges. Au total, donc, onze magistrats sont impliqués. Que se passera-t-il pour eux maintenant? Seront-ils jugés ou subiront-ils simplement des mesures disciplinaires? En fait, un juge rapporteur mènera une enquête minutieuse pour établir avec exactitude les faits qui leur sont reprochés. Ensuite, leur dossier sera remis au Conseil supérieur de la magistrature qui prendra sa décision. Je rappelle que la prochaine session du Conseil supérieur de la magistrature se tiendra en septembre prochain, c'est-à-dire dans quelques jours. En outre, j'ai ordonné qu'une enquête soit faite sur la fortune de ces magistrats. Le but étant de savoir si toutes les informations dont nous disposons sont fiables ou pas. Plusieurs commissaires et hauts cadres de la gendarmerie sont également impliqués. Quel est l'état des lieux? En fait, il y a deux affaires distinctes. La première concerne les crimes et les règlements de compte entre trafiquants de drogue. Cette affaire suivra son cours normal, c'est aujourd'hui lundi 18 août que le dossier devrait être transféré au Parquet. Quant à la deuxième affaire, elle concerne la corruption et le trafic d'influence contre plusieurs responsables des forces de l'ordre et des magistrats. Cette affaire sera transférée à la Cour spécial de justice, qui est compétente à juger les infractions commises par les hauts responsables de l'Etat. Le coup de filet de Tétouan n'est-il pas une reprise de l'autorité de l'Etat, une suite logique du dernier discours Royal? En effet, nous sommes en train d'appliquer à la lettre toutes les orientations de SM le Roi Mohammed VI. En clair, l'action de l'Etat doit être caractérisée par la fermeté à l'égard de tout dépassement émanant de quiconque. Chaque administration doit assumer ses responsabilités et toute personne qui viole la loi sera sévèrement sanctionnée. L'objectif est de consolider l'Etat de droit. Voulez-vous dire que c'est le début d'une vaste campagne d'assainissement? Au ministère de la Justice, la campagne d'assainissement a commencé il y a bien longtemps. Une trentaine de magistrats ont été sanctionnés en raison de leurs mauvais comportements. Depuis que j'ai été nommé, l'une de mes principales missions a été d'assainir l'appareil judiciaire pour renforcer son efficacité et partant regagner la confiance des justiciables, des investisseurs et de tous les citoyens. Plusieurs, pour ne pas dire tous les ministres de la Justice, avant vous, ont essayé d'assainir cet appareil judiciaire, mais ils se sont confrontés à de puissants lobbies. Qu'en est-il pour vous? Jusqu'à présent, il n'y a eu aucun lobby devant moi. Tous les juges se sont inscrits avec spontanéité et beaucoup de volonté dans ce processus de réforme en profondeur. C'est tout à fait normal. Car en jouant pleinement le jeu, ils souhaitent se débarrasser des mauvais éléments qui salissent leur profession. C'est d'ailleurs le message principal que je leur transmet dans tous mes déplacements dans les régions. A ce titre, je tiens à rappeler que les magistrats corrompus sont une infime minorité. Les intègres représentent une écrasante majorité.