Alain Juppé y avait mis autant de conviction et de talent qui rappellent un autre précédent français, celui de Dominique de Villepin. S'il ne faut retenir que trois images de l'encore bref parcours d'Alain Juppé en tant que ministre des Affaires étrangères, il faut commencer par la première, celle qui le montre parcourant à pas de charge la place cairote de la liberté, serrant des mains qui se tendent au hasard, prenant le temps de discuter dans un français presque inconnu dans cette région. Ce fut le grand signal que la diplomatie française était de retour après avoir déserté son rôle sous la baguette impuissante de Bernard Kouchner et celle, confuse et brouillonne, de Michèle Alliot-Marie. La seconde image le montre aux Nations Unies à défendre avec une rare éloquence la nécessité pour la communauté internationale de se mobiliser pour tenter de sauver les civils libyens des massacres atroces que leur a promis Mouammar Kadhafi catalogué par l'opinion de psychopathe sanguinaire. Alain Juppé y avait mis autant de conviction et de talent qui rappellent un autre précédent français, celui de Dominique de Villepin, envoyé cette fois par Jacques Chirac à l'ONU plaider la dangerosité, voire l'insanité d'une guerre américaine contre l'Irak de Saddam Hussein. La troisième image est celle d'Alain Juppé devant l'Assemblée nationale s'échinant à rassurer la représentation nationale et l'opinion française de la validité des choix français militaires et politiques, à démonter les arguments de l'opposition qui craint que l'ensemble de cette opération militaire ne passe sous la coupe de l'Alliance atlantique. Avec le risque évident que la Libye ne suive le chemin des bourbiers irakien et afghan. Entre-temps, Alain Juppé est sur tous les fronts médiatiques. Comme si la consigne a été donnée d'occuper ce terrain, d'accompagner l'activité militaire contre Mouammar Kadhafi par une explication et une pédagogie permanentes. Mais si convaincu et si convaincant qu'il soit sur cette entreprise qui remet la diplomatie française au cœur des affaires du monde, Alain Juppé trébuche encore sur trois points essentiels de cette confrontation. Le premier est l'interrogation sur l'absence de commandement militaire unifié de cette opération. Ce qui peut paraître à la fois hasardeux et dangereux pour la suite. Alain Juppé ne rate aucune occasion pour éloigner l'hypothèse d'une mise sous le boisseau par l'Otan de l'ensemble de cette entreprise. Pour dissiper cette impression, l'idée a été lancée de former un comité de pilotage politique, dans lequel siégeront des pays arabes, qui définit la stratégie et contrôle son application militaire sur le terrain par l'Otan, bras armé de cette coalition. La seconde interpellation à laquelle Alain Juppé ne cesse de répondre est celle des objectifs de cette entreprise : est-il de se débarrasser de Mouammar Kadhafi et faut-il mettre des troupes au sol pour les réaliser? Alain Juppé navigue à vue d'œil entre les limbes obscurs de la résolution 1973 qui ne dit rien de tout cela mais dans la logique du terrain peut imposer des modifications d'objectifs. Alain Juppé se contente de focaliser l'attention sur le personnage de Kadhafi décrit comme «fou» et dont la fréquentation redevient impossible à imaginer. Le dernier point est celui de la paix et de la stabilité de la Libye après le départ de Kadhafi envisagé comme victime collatérale d'un missile intelligent ou poussé vers la sortie par un entourage putschiste. Alain Juppé qui souhaite que cette séquence militaire soit la plus courte possible redevient lyrique et d'un optimisme forcené. Après avoir été le déclencheur de la guerre, la France d'Alain Juppé espère être celle qui amorce la paix et configure la stabilité.