Le cadre juridique de l'Instance centrale de prévention contre la corruption est appelé aujourd'hui à évoluer pour relever le défi de la moralisation effective de la vie publique. A l'heure où le Maroc avance à pas sûrs sur la voie de la modernisation et de la consécration de l'édifice démocratique, des voix s'élèvent pour réclamer des mesures d'accompagnement concrètes de l'étape de la refondation constitutionnelle. Il s'agit, entre autres, de l'éradication du phénomène de la corruption. Une véritable tumeur qui se propage dans le corps de la société marocaine et qui entrave fortement le développement du pays à tous les niveaux. Les jeunes qui ont manifesté le 20 février et le 20 mars, dans plusieurs villes du Maroc, ont réclamé haut et fort «la chute de la corruption». Ils demandent une rupture, une fois pour toutes, avec les pratiques malsaines du passé. «La corruption dégage», ont-ils crié lors de la marche du 20 mars. Face à ces demandes pressantes, le cadre institutionnel mis en place, en 2008, pour lutter contre ce fléau, à savoir l'Instance centrale de prévention contre la corruption (ICPC), semble être largement dépassé par les événements. Cet organisme public qui relève de l'institution du Premier ministre, qui ne dispose pas de moyens financiers suffisants et qui ne jouit pas de prérogatives assez larges, n'a pas fait ses preuves près de trois ans après sa mise en place. Mardi 22 mars, Abdessalam Aboudrar, président de cette instance, est sorti de son silence pour dénoncer cette situation. Lors d'une réunion avec le Premier ministre Abbas El Fassi, M. Aboudrar a évoqué les contraintes qui entravent l'action de l'ICPC et la mise en œuvre des propositions détaillées dans son rapport 2009. Pour assurer une lutte crédible contre la corruption, M. Aboudrar a réclamé plus de moyens. Selon lui, le cadre juridique de l'ICPC est appelé à évoluer pour relever le défi d'une moralisation effective de la vie publique. Lors de sa rencontre avec le Premier ministre, il a évoqué, ainsi, les contraintes qui gênent l'action de l'ICPC. Il s'agit, selon un communiqué de cet Instance rendu public à l'issue de cette réunion, de l'ambiguïté du cadre juridique et institutionnel de l'ICPC, ainsi que le manque de ressources humaines et matérielles et l'absence de mécanismes de suivi et de coordination. Le président de l'Instance a évoqué, également, le manquement à la mise en œuvre des recommandations et des propositions relatives au renforcement de la probité et de la transparence, en limitant le pouvoir d'appréciation et en renforçant les mécanismes de recours en matière des marchés publics. La réunion a traité aussi du nombre limité des poursuites judiciaires dans les affaires de corruption et des dépassements déposées ou évoquées dans les rapports des instances de contrôle financier et judiciaire. En outre, selon la même source, ces contraintes portent sur la difficulté d'adopter une approche sectorielle et participative permettant l'implication de tous les secteurs, en vue de mettre en œuvre des mesures pratiques à effet immédiat qui seront programmées dans le cadre de partenariats entre les différents acteurs. M. Aboudrar a également déploré l'absence de toute initiative de consécration de la transparence politique aussi bien au niveau de la gestion de la chose partisane que des échéances électorales. Cette réunion a, par ailleurs, relevé la difficulté de dénonciation des actes de corruption à la lumière de l'absence d'un cadre juridique qui protège les témoins, les dénonciateurs, les experts et les victimes, menacés dans le cadre des affaires de corruption. Ces entraves relevées par M. Aboudrar montrent clairement que le cadre actuel de l'ICPC reste très limité et entrave toute action sérieuse, efficace et crédible pour lutter contre la corruption. Les doléances du président de l'ICPC ont trouvé un écho favorable auprès du Premier ministre qui a admis, selon le communiqué, la nécessité de réviser le cadre juridique de l'ICPC et de la doter des moyens du travail nécessaires afin qu'elle puisse remplir ses missions dans les meilleures conditions. Il a aussi insisté à donner des signaux forts à l'opinion publique, à travers l'adhésion des différents secteurs, en vue de rattraper le retard dans la mise en œuvre des mesures pratiques. Le communiqué précise en outre qu'il a été décidé de tenir une réunion élargie dans les plus brefs délais entre le gouvernement et l'ICPC. L'objectif de cette démarche, selon la même source, est de prendre des décisions immédiates en matière de lutte contre la corruption, sur la base des recommandations et propositions de cette instance. Transparency Maroc regrette les limites imposées au statut et aux ressources de l'ICPC Transparency Maroc avait affirmé, jeudi 17 mars à Rabat, lors d'une conférence de presse, que «les moyens et les prérogatives dont bénéficie l'Instance ne sont pas à la hauteur de la délicate mission qui lui est assignée. Elle n'exerce même pas pleinement ses rôles en matière de collecte de données, de dénonciation des abus, d'interpellation de leurs auteurs et de soutien aux victimes». Transparency avait regretté les limites imposées au statut et aux ressources de l'ICPC. «Le moment est venu pour toutes ses composantes d'apprécier objectivement la contribution qu'ils lui ont apportée et d'établir le bilan de l'action engagée dans leurs secteurs respectifs pour agir contre ce fléau», avait précisé cette ONG.