Les Français joueraient-ils à se faire peur? On peut se le demander. Un sondage réalisé par l'Institut Harris-Interactive place, en effet, Marine Le Pen, fille de son père et leader du Front National, en tête du premier tour de l'élection présidentielle de 2012, avec 23% d'intentions de vote, devant Nicolas Sarkozy et devant Martine Aubry, la secrétaire du Parti socialiste. Déjà se profile le spectre du 21 avril 2012, qui avait vu Jean-Marie Le Pen se retrouver au deuxième tour de la présidentielle en face de Jacques Chirac. Si Marine Le Pen devait, à son tour, être sur «le podium final», en face de qui se retrouvera-t-elle? Nicolas Sarkozy? Un autre candidat de la droite? Ou en face d'un leader du Parti socialiste: Martine Aubry, François Hollande, ou encore Dominique Strauss-Kahn? Un sondage réalisé quatorze mois avant les élections présidentielles a, bien entendu, une dimension «surréaliste», puisqu'on ne sait pas quelle sera l'offre politique réelle. Mais l'enquête de Harris-Interactive a le mérite de souligner que la présidente du parti d'extrême droite continue sa progression dans sa conquête de l'électorat français. Cette popularité grandissante, qui se nourrit de xénophobie et d'islamophobie, ne peut, évidemment, que nous attrister. Elle donne du grain à moudre à tous ceux qui, à droite, sont de plus en plus nombreux à penser que Nicolas Sarkozy est politiquement fini et qu'il ne doit pas se représenter au risque de faire perdre son camp. Elle interroge, surtout, sur la stratégie que le président français a choisie d'employer pour tenter de freiner l'hémorragie de son électorat vers Marine Le Pen: mettre l'accent sur «l'identité», «les racines», «l'héritage» de la France. Or, comme Jean-Marie Le Pen l'a souvent relevé avec pertinence: «Les Français préfèrent l'original à la copie». Quand la droite essaye de s'emparer des thèmes chers à l'extrême-droite, elle renforce davantage cette dernière plutôt qu'elle ne la concurrence! C'est exactement la même chose qui se produit quand des régimes arabes pensent devoir faire des concessions aux courants islamistes, et donnent ainsi davantage de cautions à leurs thèses plutôt qu'ils ne les affaiblissent ! Il y a quelques mois, Nicolas Sarkozy avait échoué à mettre en place un grand débat sur «l'identité nationale» dans l'opinion publique, les Français ayant d'autres préoccupations immédiates. Il a pourtant choisi de récidiver avec un débat d'abord présenté comme un «débat sur l'Islam», et devenu, depuis quelques jours, un débat sur «la laïcité» (mais, avec pour sous-entendu, la question «Islam et laïcité»). Pour de nombreux musulmans français, ce débat est «le débat de trop». Une dizaine de personnalités musulmanes de France, telles Tareq Oubrou, recteur de la mosquée de Bordeaux, ou Azzedine Gaci, président du Conseil représentatif du culte musulman de la Région Rhône-Alpes, ou encore Larbi Kechat, recteur d'une des plus importantes mosquées parisiennes, viennent de lancer un appel à la mobilisation citoyenne contre «ce débat électoraliste de trop». Seront-ils entendus? Ou bien la République laïque française va-t-elle continuer de s'enfoncer dans les eaux putrides de la stigmatisation des musulmans?