Les années de plomb, nous autres Marocains en avons goûté les affres. Nous sommes ensuite rentrés, pour s'y complaire près de vingt ans durant, dans une transition démocratique interminable comme si notre transition se voulait bravade au temps. Et parce que nous sommes comptés sur les Arabes, l'accélération de l'histoire avec les roues tunisiennes et égyptiennes risquent de nous donner le vertige. Or le défi, le nôtre maintenant, est celui d'accélérer la voilure des réformes. L'appel du 20 février, c'était sûr, allait rassembler des gens qui mangent rarement ensemble même équipés de longues cuillères tant leurs positions sont radicalement différentes. On allait trouver des islamistes, aussi bien des pjdistes que les illuminés qui rêvent de «Kaouma», marchant du même pas que les jeunes de MALI, mouvement qui s'est distingué en appelant à ne pas respecter publiquement le jeûne du Ramadan. On allait y trouver aussi bien des anarcho-dilettantes que des jeunes pleins d'innocence, pour ne pas dire d'ingénuité, marcher côte à côte derrière des ONG de droits de l'Homme, le tout pénétré par le dernier quarteron des tenants de la gauche révolutionnaire panarabiste ou les indépendantistes berbères. Or il y a, pour moi, un principe intangible. On peut manifester sur tout. On ne manifeste pas avec n'importe qui. Je ne suis pas allé le 20, non pas parce que je ne trouve pas l'engagement des jeunes Facebookers sympathiques. Il y a des revendications que je peux parfaitement partager et des slogans que je peux faire miens. C'est le mimétisme tardif qui me dérange. Si on y ajoute ce rebutant et calamiteux culte du jeunisme, maladie infantile de la vacuité idéologique, alors autant passer le dimanche devant un bon polar. Mais la vraie raison, c'est qu'il était impossible pour moi de renforcer les rangs de tous ces briscards de la politique, rompus aux manifs pour les avoir toutes écumées, et qui, j'en étais convaincu, allaient venir pour manger l'ail avec la bouche d'une jeunesse qui a une forte et légitime demande de liberté et de modernité. Les Facebookers allaient, manifestement et à leur insu, servir d'inespérés chevaux de Troie pour tous les agitateurs chevronnés. Et cela n'a pas raté. Ne pouvant pas attaquer de front l'institution royale, forte de sa popularité et de sa légitimité en particulier chez les jeunes, les impénitents contestataires, rompus au maniement des manifs, ont plutôt ciblé, par un subtil transfert, le périmètre immédiat du Roi. C'est un procédé de pleutres. Un dernier mot. N'en déplaise à ceux qui prétendent que nous n'avons plus peur du Roi mais peur pour lui, il y a lieu de leur rappeler que n'avons nullement peur pour l'avenir de ce pays parce que justement il y a le Roi.