La Cour d'appel de Casablanca vient de condamner notre confrère Narjis Rehaye à verser un dirham symbolique et à une amende de 1.000 dirhams pour diffamation à l'encontre du secrétaire général du MDS. Entretien à chaud après le verdict. ALM : Jeudi, le tribunal vous a condamnée à une amende de 1000 dirhams et au dirham symbolique au titre de réparation au profit de Mahmoud Archane. Quelle est votre première réaction par rapport à ce verdict? Narjis Rehaye : D'abord une réaction d'immense tristesse. Je suis triste pour la justice de ce pays. La Cour d'appel de Casablanca a conclu que j' étais coupable. Coupable d'avoir diffamé l'ancien commissaire Mahmoud Archane, celui-là même qui a fait carrière dans les geôles en ces années de plomb. La justice a conclu que j'avais diffamé ce commissaire de police reconverti en politique parce que j'ai évoqué son passé. Etes-vous coupable? Sinon, expliquez-Vous ce qui s'est passé? Si je suis coupable d'avoir seulement et uniquement écrit la vérité, alors oui je suis coupable. Cet homme a soumis à la question des militants. Cet homme a exercé ses sombres talents dans des lieux secrets de détention. Cet homme a les mains sales. Les murs de Derb Moulay Chrif ont, eux, de la mémoire. Que s'est-il donc passé, me demandez-vous ? Il s'est passé que la Cour d'appel de Casablanca m'a tout simplement et sans autre forme de procès empêchée d'apporter la preuve selon laquelle je n'ai pas diffamé le commissaire Archane. Il s'est passé que la justice a rejeté la convocation de la liste des témoins que j'ai produits –dans le respect total des délais légaux- qui ont la particularité d'être des victimes de Mahmoud Archane. S'agit-il d'une question de vice de procédure à votre avis ou d'une position politique qui empêche le rétablissement de la vérité sur les années obscures du passé? Ce 29 janvier, le verdict rendu en cette affaire ne fait pas que me condamner et à faire de moi une journaliste « délinquante ». Ce verdict est une insulte et un outrage fait à la mémoire de tous les militants, de tous ceux et celles qui ont eu à vivre dans leur chair les années de plomb. C'est leur mémoire qui a été de nouveau meurtrie. Ce 29 janvier, la justice marocaine a officiellement décidé d'enterrer la vérité. Sont-ce les hésitations de l'Etat ? La crainte de voir ressurgir les vieux démons ? La meilleure catharsis réside justement dans l'ouverture de cette boîte de Pandore… Est-ce que cela ne reflète pas les hésitations de l'Etat concernant ce dossier? En tout cas, ce sont là des signaux bien contradictoires qui sont envoyés à l'adresse de l'opinion publique. D'un côté, une commission « Vérité et Réconciliation » est installée pour que la vérité soit faite sur les exactions du passé. De l'autre, un jugement est rendu pour blanchir un commissaire tristement célèbre dans les années de plomb. Faut-il alors en conclure que la schyzophrénie est dans nos murs ? En tant que journaliste, quelle idée faites-vous de la question des droits de l'Homme et de la liberté d'expression au Maroc? Je suis d'abord et avant tout une journaliste justiciable. Je n'ai jamais pensé une seule seconde que parce que je suis journaliste je suis automatiquement et par définition au dessus des lois. La question des droits de l'Homme et de la liberté d'expression m'apparaît frappée du syndrome « un pas en avant dix pas en arrière ». Mercredi une manifestation d'activistes et d'artistes dénonçant les accords de libre-échange a été dispersée dans la violence. Que faut-il en penser ? La liberté d'expression, elle, ressemble au mercure du thermomètre. Sa « tolérance » est en dents de scie, selon l'humeur… Comment évaluez-vous la réaction de vos confrères à l'égard de ce procès? C'est un soutien salutaire dans lequel je puise la force et l'énergie pour continuer, malgré toutes les contradictions du Royaume au mille contrastes. Cette même force je la puise aussi auprès de tous ceux et celles qui me soutiennent et que M. Archane vient de qualifier de « terroristes, comparables à ceux du 16 mai ». La justice de ce pays n'a pas voulu que la bataille se fasse dans le prétoire. C'est sur le front médiatique qu'elle aura lieu. Le débat est ouvert. Faut-il interviewer un tortionnaire parce qu'un journaliste interviewe tout le monde y compris le diable? Faut-il ou pas décréter le boycott d'un tel personnage ? Quel rôle pour la presse dans la lutte contre l'impunité ? Ce sont des questions qui interpellent la profession. Parce qu'on ne fait pas ce métier impunément… Qu'allez-vous faire maintenant? Allez-vous présenter un recours? Mes avocats, le bâtonnier Abderrahim Jamaï et Hammadi Manni, et moi nous nous posons la question. A quoi bon participer de nouveau à tout ce cinéma ? J'ai été condamnée, je l'assume. L'assumeront-ils, eux ?