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Coup de gueule d'un jeune designer
Publié dans Aujourd'hui le Maroc le 30 - 01 - 2004

Hicham Lahlou, un designer marocain, a été sélectionné pour participer à l'exposition Design Lab, qui s'est tenue du 8 au 12 janvier 2004, dans le cadre du salon du meuble de Paris. Il s'exprime sur un art encore balbutiant au Maroc.
Le design, à travers la création en série, est présent dans notre vie quotidienne. Plusieurs slogans de grandes marques le célèbrent : Renault “créateur d'automobile”, Décathlon “créateur de technologie”… L'exemple d'IKEA, leader mondial de l'ameublement, est éloquent. Cette entreprise a rendu le design accessible. J'ai assisté, il y a quelques jours, à un forum qui s'est déroulé dans le cadre du salon du meuble à Paris. Y étaient présentes des personnalités de la profession, tels que les présidents de Conforama, Meubles Gautier, Fly, Simmons…. Tous ces patrons étaient unanimes sur la nécessité de faire intervenir le design dans leur logique de compétitivité face à l'énorme marché de l'ameublement. Une des pistes serait d'étudier l'exemple d'Ikea en développant davantage le concept et en travaillant avec des designers de tous horizons afin de proposer des solutions à l'amélioration de l'espace de vie
Soutenir le Design au Maroc est une gage de foi en l'avenir. Car le futur ne se fera pas sans lui. Tôt ou tard, les autorités, les banques et les industriels se rendront compte de son impact sur l'économie. Pour l'instant, le terrain est vierge au Maroc. Pour l'instant seulement. Les plus grands pays en ont compris les enjeux, il y a longtemps. Même si le Design est encore un territoire
inexploré pour les Marocains, les médias au Maroc ont très vite attiré l'attention sur importance qu'il revêt dans la vie quotidienne. Je les en remercie !
Le marché du design est extrêmement porteur dans ce pays, aussi bien en direction de l'étranger que pour la consommation locale. Or, l'on assiste à un manque de volonté et d'organisation de la part des professionnels, condamnant à long terme l'émergence de talents et risquant de nous conduire vers une paralysie face aux enjeux de 2010.
Voilà les questions qu'il me paraît essentiel de poser afin d'instaurer un débat : Quelle place devrait occuper le design au Maroc ? Quel avenir a-t-il ? De quel design parle-t-on ? Le mot design n'est-il pas galvaudé en ce sens que l'on y fourre tout et n'importe quoi ? La valorisation du design et sa promotion sont des éléments essentiels, car sans bureaux de styles, observatoires des tendances, réflexion stratégique sur le marché actuel national et surtout international, le design chez nous restera marginal et ne pourra pas avoir une place de choix dans le monde. Il n'y sera même pas considéré. N'oublions pas l'objectif des 10 millions de touristes en 2010. Cet ambitieux projet ne doit pas faire l'erreur d'exclure les talents qui souhaitent y participer. L'un des meilleurs moyens aujourd'hui de dynamiser la profession de designer serait par exemple de convaincre les promoteurs et groupes hôteliers de solliciter des designers marocains. L'enjeu consiste à faire appel à ces designers, moyennant contrat d'honoraires et d'édition de modèles avec royalties et protection internationale. Et ce, afin de créer des modèles manufacturés et labellisés au Maroc par des artisans et des industriels locaux. Si chaque designer reste isolé dans son coin et son art, il travaillera sans législation, sans protection intellectuelle, etc. Ce sera l'occasion pour certains de les copier sans qu'ils puissent bénéficier de rémunération et de contrats valables…
Le développement de tout secteur d'activité par la prise en compte du design de façon sérieuse et rationnelle, serait générateur d'emplois, de nouveaux investissements, de nouveaux moyens de production, d'innovation technologique, et j'en passe. De toute façon, si rien n'est fait dans ce sens par les Marocains, d'autres, venus d'ailleurs, le feront Des groupes hôteliers font déjà appel à des designers étrangers pour dessiner les lits, les rideaux... Ils ne donnent pas aux designers locaux la chance de s'exprimer. Au fond, c'est une solution de facilité, ou peut être une réaction de complexe.
Pour l'instant, l'on remarque l'éclosion d'une foultitude de shows rooms plus grands les uns que les autres, proposant au chaland un nombre incalculable de piteux objets (je pèse mes mots). Sans compter les outrageuses et insignifiantes reproductions à des prix parfois prohibitifs, provenant d'on ne sait où, (on ne veut surtout pas le savoir), négligeant les principes de base qui sont la qualité et les normes de fabrication et n'obéissant qu'à des règles de profit. Des prix exorbitants ! Et dire que nous sommes en train de dénigrer notre patrimoine et nos créateurs capables d'inventer des solutions originales dans un pays où il est possible de presque tout fabriquer, tout en étant compétitifs.
La maroquinerie et sa tradition millénaire, l'habillement, les arts ménagers, le mobilier, les carreaux de revêtement, la parfumerie avec toutes les essences, fleurs, épices qui existent au Maroc. Tous ces secteurs, et il y en a beaucoup d'autres, ne méritent-ils pas d'être développés de façon durable et d'afficher une identité forte à l'export comme la dentelle anglaise, la haute couture française, les chemises italiennes, les moteurs allemands, le sportswear américain, les montres suisses, le chocolat belge, la feta grecque…? La plupart des fabricants sont incapables de créer de véritables bureaux de styles, incapables surtout de comprendre l'importance d'un investissement dans ce sens. C'est une réelle réflexion sur le développement du secteur qu'il faut avoir non seulement sur le plan national mais aussi international. Citons l'exemple d'Abdelslam Laraki, notre designer automobile. Le modèle haut de gamme qu'il a dessiné, « la Fulgura », n'est-il pas une preuve d'excellence et d'audace ? Et pourquoi ne pas se laisser aller à imaginer une production nationale moyenne gamme fabriquée par exemple en partenariat avec d'autres pays ? Va-t-on enfin créer des produits design made in Morocco du meilleur cru qui soit ? Va-t-on enfin arrêter de copier tout ce qui se fait ailleurs et continuer à nous contenter d'être médiocres ?
En conclusion. Laissons derrière nous cette culture du mauvais goût, et rappelons-nous que, dans un passé pas si lointain, l'art de vivre était bien plus riche, cohérent, harmonieux et même jalousé.
Ce qu'il faut avoir à l'esprit c'est que le potentiel qui existe de nos jours à travers le design ne doit pas être ignoré : il représente une clé de voûte pour notre économie. Dans l'avenir, le Design fera partie de notre patrimoine et constituera la vitrine des ressources créatives et actives dans notre pays. Et pour ceux qui auraient peur de ce vilain mot importé qu'est « Design », qu'ils se rassurent. Vivre avec notre temps et accepter le progrès ne nous fera pas perdre notre identité. Bien au contraire, ce sera l'occasion de saisir la balle au bond pour enrichir notre patrimoine et arborer notre culture.
• Par Hicham Lahlou
Designer


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