Qui aurait cru qu'un film évoquant la vie et la mort de quelques moines catholiques dans un coin perdu d'Algérie, serait, en cette année 2010, en tête du box-office dans une France de moins en moins chrétienne, de plus en plus laïque, de plus en plus éloignée des enseignements de l'Eglise? Après seulement deux semaines d'exploitation, ce film : «Des hommes et des dieux», a franchi le cap symbolique du million de spectateurs. Il court allègrement vers les deux millions d'entrées, ceux qui l'ont vu le recommandant chaleureusement aux autres. Les moines cisterciens dont la vie est montrée et l'histoire racontée dans ce film, ne sont pas, il est vrai «les premiers moines venus»! Ils sont morts assassinés le 23 mai 1996, deux mois après avoir été enlevés dans leur monastère Notre-Dame de l'Atlas à Tibhirine ( non loin de la ville algérienne de Médéa ) par un groupe islamiste armé. Sept moines français âgés de 45 à 82 ans. Sept passionnés de Dieu qui, dans une Algérie déchirée par la violence ( quelque deux cent mille morts sur une décennie! ), ont préféré risquer leur vie jusqu'à la donner, plutôt qu'abandonner leurs amis algériens et musulmans. L'assassinat des moines, dont on n'a retrouvé que les têtes coupées, a eu, bien entendu, un grand retentissement en France lorsqu'il a été connu. En raison de l'attachement de ces religieux au peuple algérien, et du fait de leur engagement dans le dialogue fraternel et spirituel avec les musulmans, le drame, heureusement, n'a pas pu être utilisé par les courants racistes et islamophobes. Le témoignage de ces hommes, que certains ont comparés aux «sept dormants» d'Ephèse, ces martyrs chrétiens du IIIème siècle qui sont évoqués dans la sourate Al-Kahf, s'est installé progressivement dans le paysage mental des catholiques français comme un mythe moderne. Il est devenu un geste presque épique, ouvrant à une manière nouvelle d'être chrétien dans un monde où le christianisme n'est plus aussi majoritaire qu'il l'a été, et où il doit, en particulier, vivre de plus en plus au contact de l'Islam. Dans une France qui, depuis le temps de la résistance au nazisme, ne se connaissait plus de figures héroïques capables de lui donner une fierté collective d'être, les moines martyrs sont en train de devenir, pour toute une partie des Français, des héros qui donnent sens à leur existence. La force et le succès du film du réalisateur Xavier Beauvois, résident d'abord dans ses qualités cinématographiques, dans la virtuosité de la réalisation, dans le magnifique jeu des acteurs. Mais si un aussi grand nombre de spectateurs le plébiscite, y compris des non-chrétiens, y compris des gens d'ordinaire réticents à l'égard de l'Eglise, c'est parce que ce film met en scène des hommes en qui chacun peut se retrouver, avec leurs peurs, leurs doutes, leurs espérances. Chacun, en le voyant, est interrogé sur sa relation à sa liberté, sur sa capacité à exister comme individu a sein d'une communauté. Tourné au Maroc (il convient de le souligner !), voilà un film qui fera date. Contribution à la construction de la paix entre Européens et Maghrébins, entre chrétiens et musulmans, il prolonge et amplifie le témoignage salutaire des martyrs de Tibhirine.