Le malaise va grandissant dans le secteur de la pêche. Origine de la crise, le repos biologique qui est aujourd'hui de huit mois dans la pêcherie des céphalopodes. Cette situation pénalise particulièrement les marins-pêcheurs et les unités de congélation du poulpe. Professionnels déchirés et livrés à eux-mêmes, ministère de tutelle aux abonnés absents, gouvernement dépassé par les événements… Ce secteur stratégique, en l'absence de solutions sérieuses, ressemble à un bateau à la dérive. Sans capitaine, ni gouvernail. Huit mois de repos biologiques. Depuis l'année dernière, la pêche hauturière et les unités de congélation à terre payent à leur corps défendant les décisions ministérielles. Tout est parti fin août 2003, quand l'INRH a émis un rapport faisant état d'une situation catastrophique du secteur. Il fallait agir. Le ministère des pêches maritimes sort de sa réserve le 24 octobre et décide de prolonger le repos biologique jusqu'au 31 décembre. Sans prendre en compte les conséquences sociales, sans doute secondaires devant le danger imminent de la pénurie. Mais, décidément, les menaces sur les ressources halieutiques étaient encore plus graves. Le 7 novembre, le ministre des pêches maritimes, contre l'avis des professionnels, fait une nouvelle annonce : le repos durera au minimum jusqu'au premier mai et au maximum jusqu'au premier novembre, pour couvrir, selon le rapport de l'INRH, «un cycle complet de reproduction des poulpes ». C'est le début de la révolte des patrons de pêche qui crient à l'unilatéralisme et en appellent à l'arbitrage du Premier ministre, Driss Jettou. Celui-ci calme le jeu en nommant des commissions chargées de suivi du secteur. Etaient notamment attendu, le règlement des questions en suspens, comme les modalités d'application des repos biologiques. Mais, sur le fond, ces commissions perdurent, comme le remarque un membre influent de l'Association des patrons d'entreprises de pêche hauturière. L'aspect financier des repos biologiques est à peine effleuré. Pas de mesures d'accompagnements non plus. De plus, les commissions qui devaient rendre leurs travaux courant décembre, prolongent jusqu'au mois de janvier, et, probablement, ne rendront pas leurs rapports avant février. Aujourd'hui, nul ne connaît la date à laquelle, le ministre mettra fin à ce repos sabbatique. Première victime, les marins-pêcheurs. A l'expiration de l'accord de pêche avec l'Union européenne, en novembre 2000, juste après le départ des Espagnols, le président du Syndicat des officiers de la Marine Marchande, s'en rappelle bien, le ministère avait mis en place un ambitieux programme de relance du secteur avec la création de 90 000 emplois et le relèvement de la consommation nationale du poisson à un niveau de 15 kilogrammes par personne. Ces chiffres sont aujourd'hui oubliés. Et, une fois n'est pas coutume, marins-pêcheurs et armateurs, syndicats et patrons, tous ont les yeux tournés vers le ministère. «L'INRH avait recommandé un plafond de 56 000 tonnes en 2000. Aucun des ministres n'a tenu en compte ce plafond. Même pas Chbâatou qui avait porté ce total à 88 000 tonnes», déclare un armateur. Les choses s'empirent. Il n'y a plus de poissons. L'effort de pêche reste toujours concentré sur le poulpe, vendu à l'export à une proportion de 4 000 à 6500 dollars la tonne, contre seulement 300 dollars pour la tonne de sardines. Mais, dans l'ensemble, déclare Hassan Talbi de l'Association de la pêche artisanale de Dakhla, ce sont toutes les ressources qui sont menacées. «L'arrêt biologique doit concerner tous les acteurs. Il faut qu'il y ait un véritable contrôle sur la ressource ». Preuve que les ressources se raréfient, la situation de l'ensemble des 78 entreprises de pêche hauturière, loin de leur quota fixé en 2002 et en 2003. Aujourd'hui, sur la baie d'Agadir, les bateaux sont en rade et les situations de quasi-faillite se multiplient. En chômage technique, les marins-pêcheurs tentent de se faire entendre, quitte à utiliser l'arme de la grève de la faim, de surcroît, le jour de l'Aïd. «Notre vrai problème, ajoute le président du Syndicat des officiers, est que nous avons l'impression qu'on n'a pas un gouvernement qui gouverne. Le ministère a décidé de prolonger les arrêts de pêche sans mesure d'accompagnement, malgré nos lettres et notre sit-in». Lors d'une rencontre avec les marins le 29 décembre, le ministre, sans doute exaspéré par le climat d'attente sur fond de contestation, s'était écrié : «je n'ai pas la baguette magique».Il va lui en falloir pourtant un miracle, car désormais, ce ne sont plus les ressources qui sont les seules menacées, mais l'ensemble des entreprises de la pêche hauturière en situation difficile avec leurs créanciers. Signe que la crise prend de l'ampleur, le problème s'est déplacé jusque dans l'hémicycle où les députés ont apostrophé récemment le nouveau projet de loi sur la pêche. Un texte qui suscite des levées de boucliers avant même sa promulgation, accusé d'être très doux dans les sanctions et, en un mot, de n'avoir rien résolu. Ce qui n'empêche pas le ministre de le défendre bec et ongles, parlant d'avancées et de progrès en matière de sanction. Encore un enthousiasme à mettre sur le compte de la bonne foi ? Une chose est sûre, la réunion, mardi, avec les armateurs n'a rien donné. Rhafès n'arrive assurément plus à noyer le poisson.