Même si elle a été annoncée par de nombreux journaux dans le monde, la mort récente, au Caire, du Professeur Nasr Hamid Abu Zayd n'a pas marqué la plupart des musulmans. Celui qui vient de disparaître à l'âge de 67 ans, était pourtant une des principales figures des «nouveaux penseurs de l'islam», ces intellectuels musulmans qui ont entrepris de «revisiter» l'islam, ses textes sacrés, ses dogmes, son histoire, en utilisant les méthodes modernes de l'analyse critique, que celle-ci soit littéraire ou historique. Nasr Abu Zayd est né en 1943, en Egypte, dans une famille très modeste d'un petit village du delta du Nil, près de Tanta. La mort de son père l'oblige à travailler très jeune pour subvenir aux besoins de sa famille. Il ne renonce pas pour autant à accomplir une carrière universitaire. Il étudie la langue et la littérature arabes à l'Université du Caire, où il rédige un mémoire de maîtrise sur le concept de métaphore utilisé dans l'exégèse des théologiens mu'tazilites. Ayant pu profiter d'un séjour d'études aux Etats-Unis, il se familiarise assez tôt avec la pensée des grands «explorateurs» de l'herméneutique ( la science de l'interprétation des textes ) tels que Friedrich Schleiermacher, Hans-Georg Gadamer ou Paul Ricœur. Suivent quatre années d'enseignement au Japon. Là, il se trouve confronté à la tradition religieuse japonaise qui n'a pas eu besoin d'un «texte» possédant une autorité incontournable. Cela le conduit à s'interroger sur le statut du texte dans les «religions du Livre». A travers plusieurs livres importants, tous écrits en arabe et peu traduits en d'autres langues, Abu Zayd n'a pas cessé de réfléchir à ce que représente l'inscription de la parole divine dans l'histoire. Pour lui, le Coran a bien une dimension divine, mais il possède également une dimension humaine car la parole de Dieu ne peut pas faire autrement, pour être audible, que passer par un langage humain. Il parle donc d'une « double nature » du Coran. S'inspirant en particulier des travaux du linguiste Ferdinand de Saussure, Abu Zayd a mis en évidence toute la complexité de langage comme système symbolique. Il affirme que le langage fait partie d'une réalité complexe qui a ses propres lois, et que la réalité de la langue arabe a nécessairement façonné le texte coranique et ses interprétations. Pour Abu Zayd, les approches littérales et légalistes des traditionalistes, comme les approches soi-disant plus «modernes» des idéologues islamistes, réduisent la compréhension du Coran. Pour les uns et pour les autres, de fait, tout le sens du Coran réside dans le texte lui-même. Or, pour Abu Zayd, le sens originel du texte ne peut être recherché que si on place le Coran dans son contexte socio-historique. Nasr Hamid Abu Zayd a lutté toute sa vie pour que l'exégèse coranique demeure un processus dynamique et en perpétuel état de transformation. Il a été l'un des premiers à écrire en arabe sur l'herméneutique. Fondamentalistes et idéologues islamistes l'ont voué aux gémonies, mais il est probable que son œuvre résistera à l'épreuve du temps. Il a ouvert des chemins que d'autres emprunteront certainement, l'islam ne pouvant pas rester à l'écart des progrès de l'intelligence et des sciences.