Le sociologue Mohamed Darif estime que le principal défi à relever par notre pays est celui d'empêcher l'idéologie salafiste jihadiste de devenir une idéologie populaire. ALM : Peut-on dire que la Salafiya Jihadiya a été anéantie sept ans après les attentats terroristes du 16 mai? Mohamed Darif : En réalité, il ne faut pas faire l'amalgame entre le volet organisationnel et le volet idéologique. Il s'agit de deux niveaux d'analyse complètement différents. En effet, nous n'avons pas au Maroc une organisation dénommée la Salafiya Jihadiya. Cette dernière est une idéologie qui est adoptée par pas moins d'une centaine d'organisations et de cellules terroristes partout à travers le monde, notamment l'organisation Al Qaïda, le Groupe marocain combattant ou le groupe combattant libyen, etc. Donc, la vraie question que nous devons poser c'est celle de savoir si le Maroc a réussi ou pas à anéantir l'idéologie salafiste ? Et pour répondre à cette question, on peut dire que ceci dépasse largement la capacité des services de sécurité. Ces derniers peuvent très bien mettre fin à une organisation ayant des structures bien déterminées mais surtout pas à une idéologie. Ceci est dû essentiellement au fait que les moyens de communication se sont développés ces derniers temps, chose qui a fait que l'information échappe de plus en plus au contrôle de l'Etat. Que faut-il faire pour lutter contre la propagation de l'idéologie salafiste jihadiste? Je crois que le principal défi à relever par notre pays est celui d'empêcher l'idéologie salafiste jihadiste de devenir une idéologie populaire. Ceci dépasse bien évidemment la capacité des services de sécurité et se situe à un autre niveau. Seules des réformes qui touchent au champ religieux, l'amélioration des conditions socio-économiques de la population, la modernisation des structures culturelles, sont à même de faciliter l'endiguement de cette idéologie impopulaire et stopper sa propagation. Quelle analyse faites-vous à propos de l'approche sécuritaire adoptée par le Maroc pour la lutte contre les cellules terroristes? Je pense qu'il faut saluer les efforts gigantesques déployés par les services de sécurité pour contrecarrer les desseins des organisations terroristes. Depuis l'année 2002, pas moins de 70 cellules ont été démantelées. Ce qui fait la force de la stratégie sécuritaire du Maroc c'est qu'elle se base sur deux principes essentiels. Il s'agit dans un premier lieu d'une approche préventive, vigilante et réactive. Cette manière de procéder a fait éviter au Maroc plusieurs attentats sanglants. Le deuxième volet c'est la coopération et la coordination aussi bien au niveau intérieur qu'extérieur. Au niveau intérieur, il y a une excellente coordination entre la DGED, la DST, les Renseignements généraux de la police et la Direction des affaires internes au sein du ministère de l'Intérieur. Au niveau extérieur, le Maroc coordonne étroitement ses actions avec les services de renseignements des autres Etats au niveau régional et international. Ceci dit, la guerre contre le terrorisme est désormais une guerre de renseignements. Peut-on dire que cette approche est suffisante à elle seule pour contrecarrer le danger terroriste? Il y a en effet deux approches qui doivent être complémentaires bien qu'elles ne se situent pas au même niveau d'analyse, à savoir l'approche sécuritaire et l'approche des réformes socio-économiques, culturelles et religieuses. La première approche agit sur l'immédiat alors que les fruits de la deuxième approche sont visibles sur le moyen terme. Certains analystes critiquent la politique du dialogue avec les détenus de la Salafiya. Qu'en pensez-vous? Il ne faut pas faire d'amalgame sur ce point là-encore. Il n'y a jamais eu de dialogue entre l'Etat et les détenus de la Salafiya au sens politique du terme. C'est ce qu'avait affirmé, d'ailleurs, devant les deux Chambres du Parlement, l'ex-ministre de l'Intérieur Chakib Benmoussa. Il n'y a eu que des rencontres limitées entre les deux parties. Ce qui explique l'absence de ce dialogue c'est le fait que l'Etat d'une part et la Salafiya Jihadiya d'autre part ne parlent pas le même langage. A l'heure où certains responsables de l'Etat appellent les détenus à renoncer à la violence et dénoncer les attentats terroristes pour pouvoir quitter la prison, les détenus, quant à eux, ne cessent d'affirmer qu'ils n'ont rien à voir avec les attentats et qu'ils sont «victimes de certains calculs politiciens des sécuritaires». Les deux parties ne sont donc pas d'accord sur les principes pour pouvoir dialoguer.