Le sociologue Mohamed Darif affirme qu'Al Qaïda n'a pas réussi à former au Maroc des cellules capables de perpétrer des attentats. ALM : Quelle analyse faites-vous de l'activisme d'Al Qaïda dans la région du Maghreb? Mohamed Darif : Lorsque nous traitons la question d'Al Qaïda dans notre région, il faut faire la distinction entre deux niveaux d'analyse. Le premier niveau c'est la région du Maghreb toute entière qui est concernée par le danger que représente Al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Cette entité s'active principalement en Algérie, en Mauritanie ainsi que dans d'autres pays du Sahel. Le deuxième niveau d'analyse concerne, quant à lui Al Qaïda dans le Maroc. Concernant le premier niveau d'analyse, il faut dire que l'organisation d'Al Qaïda est présente et active. Les Algériens constituent le socle de cette organisation au Maghreb à travers l'ex-Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC). Ce groupe s'est allié à Al Qaïda en 1998. En janvier 2002, il a déclaré son allégeance pour Al Qaïda et est devenu ce qu'on appelle aujourd'hui l'AQMI. Donc, l'Algérie constitue le noyau dur d'Al Qaïda dans la région du Maghreb. En plus de l'Algérie, Al Qaïda a pu élargir son champ d'action en raison de l'existence d'Etats faibles. C'est le cas de la Mauritanie qui pour l'AQMI constitue un espace fragile et un point de départ des attaques. L'AQMI a réussi à enlever plusieurs ressortissants étrangers, notamment trois Espagnols, un Italien, un Français et plus récemment un Français et un Algérien. Le démantèlement récemment d'une cellule relevant d'Al Qaïda montre-t-il que cette organisation est devenue très active au Maroc? Je pense qu'Al Qaïda n'a pas réussi à former des cellules capables de perpétrer des attentats au Maroc. Toutefois, il faut dire qu'elle a réussi à former des cellules chargées de recruter des combattants pour alimenter la guerre en Irak, en Afghanistan et en Somalie. Al Qaïda qualifie le Maroc de vivier humain pour alimenter ses rangs dans différentes régions dans le monde. Jusqu'à présent, les services de sécurité parlent d'une dizaine de jeunes Marocains recrutés par Al Qaïda. L'exemple de ce constat c'est la dernière cellule démantelée. Cette cellule essayait de recruter des jeunes pour la guerre en Somalie. Pourquoi spécialement la Somalie? En fait, Al Qaïda mise désormais sur la guerre en Somalie. Elle tient ainsi à renforcer l'Organisation des jeunes moudjahidines qui veut instaurer un Etat islamique dans ce pays. Cette organisation a déclaré récemment son allégeance à Al Qaïda. La Somalie constitue en réalité une nouvelle tendance pour Al Qaïda. Que dites-vous à propos de la stratégie sécuritaire marocaine de lutte contre le danger Al Qaïda? Depuis l'année 2002, les services de sécurité marocains ont mis en place une stratégie sécuritaire pour lutter contre le terrorisme d'Al Qaïda. Ainsi, le Maroc a adopté une politique sécuritaire préventive. Cette politique a montré son efficacité puisque le Maroc a réussi jusqu'à présent à démanteler pas moins de 60 cellules terroristes. Il s'agit d'un exploit remarquable. Le Maroc mise dans sa lutte contre le danger terroriste, sur la coopération régionale et internationale. L'approche marocaine table sur la collecte massive des données et des informations, étant donné que la guerre contre Al Qaïda est devenue une guerre de renseignement. La stratégie de la guerre classique reste inefficace. La stratégie de la guerre des services de renseignement est également indispensable car le terrorisme n'a pas de frontières. C'est une guerre transnationale. Aujourd'hui, on assiste à une coopération très étroite entre la Direction de la surveillance du territoire (DST) et la Direction générale des études et de la documentation (DGED). Au moment où la DST s'active sur le plan interne, la stratégie de la DGED consiste à suivre le parcours d'activité des membres d'Al Qaïda pour contrecarrer toute infiltration au territoire national. Peut-on dire qu'Al Qaïda ne représente pas un grand danger pour le Maroc ? Il ne faut surtout pas minimiser le danger terroriste d'Al Qaïda. Cette organisation ne se base pas sur les contradictions internes pour légitimer son action. Elle est le résultat des développements que connaît la scène régionale et internationale. C'est pour cette raison qu'il est nécessaire d'être vigigent. La preuve c'est que les terroristes réussissent à accéder au territoire marocain et ils arrivent à recruter des combattants pour leur compte.Depuis 2004, les membres des cellules d'A Qaïda démantelées au Maroc ont été accusés principalement de recrutement des combattants. C'est le cas de Saâd El Husseini arrêté à Casablanca et qui a confirmé avoir réussi à recruter 17 jeunes Marocains pour la guerre en Irak.