Elle est à son quarante-deuxième printemps. Il est son aîné de huit ans. Derrière eux, une relation conjugale de vingt-cinq ans, et devant eux, sept enfants. Et pourtant leur relation a fini dans le sang. Mohamed rentre tard chez lui, ce jeudi 1er avril. Il soupire et regarde furieusement sa femme et ses sept enfants qui prennent leur dîner. Ils ne comprennent pas pourquoi il les scrute ainsi comme s'ils sont ses ennemis. Il jette de côté le cartable où il met les «outils» avec lesquels il extrait les dents de ses clients dans les souks hebdomadaires de la région de Souk Larbâa d'El Gharb, province de Kénitra. Il s'affaisse sur une petite chaise tout en fixant sa femme. Personne ne sait pourquoi. Ses sept enfants arrêtent de dîner. Et il leur ordonne à haute voix : «Mangez sans me regarder… Vous n'êtes que des chiens comme votre mère». Nous sommes au douar Dobba, à l'ouest de Souk Larbâa d'El Gharb. Mohamed y est né en 1960 et y a grandi. Bien qu'il n'ait jamais été sur les bancs de l'école, il a appris de son père l'extraction traditionnelle des dents. Il erre dans les souks hebdomadaires de la région pour gagner sa vie. À son vingt-cinquième printemps, son père lui a choisi Zahra comme future femme. Adolescente, elle était à son dix-septième printemps. À l'instar des jeunes du douar, il ne pouvait pas contester le choix de son père. Pour lui, Zahra n'était pas une fille étrangère. Il la connaissait puisqu'elle est issue du même douar que lui et elle demeurait non loin de chez lui. Contrairement à lui, elle jouissait d'une bonne réputation, une fille sans problèmes que tout le monde au douar la respectait. C'était l'été de 1985 quand la nuit des noces a été célébrée par les familles du couple. En fait, c'était la seule nuit où Zahra était en entente cordiale avec son mari, Mohamed. Après quoi, il n'y avait que la discorde, les malentendus et les rixes. Zahra était toujours la victime et Mohamed était son bourreau qui ne cessait de la violenter pour n'importe quelle raison. Et pourtant, ils sont arrivés à mettre sept enfants au monde. Ceux-ci n'ont pas été épargnés par la violence de leur père. Bastonnés sans pitié, ils ne pouvaient jamais protester. Si l'un a osé réagir, c'est la mère qui payait la facture (le prix). La solution ? Endurer le calvaire et se taire. Au fil des mois, Mohamed a entretenu une relation amoureuse avec une autre femme. Il est devenu fou d'elle au point qu'il a décidé de l'épouser. Mais, l'accord de sa première femme, Zahra, est indispensable pour se remarier. Celle-ci a refusé de lui permettre de se remarier. Il a insisté. Mais en vain. Zahra était ferme : pas de permission pour qu'il se remarie. Depuis, c'est l'enfer. Mohamed maltraitait la mère et les sept enfants comme des bêtes. Pas de pitié. Toujours nerveux, en colère et agacé. Son objectif était de faire pression sur tout le monde pour que la mère lui permette de se remarier. Toujours en vain. Zahra a juré de ne rien lui permettre. C'était comme si elle se vengeait de lui. Ce soir du jeudi 1er avril, il se tient sur la petite chaise. Zahra lui sert le dîner. Avec ses prunelles qui ressemblent aux braises, il la regarde. Tout d'un coup, il lui jette le plat sur le visage et renverse la table autour de laquelle étaient ses enfants. Pour la première fois, ceux-ci protestent. La mère les calme, tient son mari par la main et lui demande de rentrer dans la chambre à coucher. Il s'allonge sur le lit et se plonge dans un profond sommeil. Vers 1h du matin du vendredi 2 avril, Zahra a saisi un couteau et a criblé le corps de son mari de sept coups fatals. Une heure plus tard, elle s'est présentée de son plein gré au commissariat de police de Souk Larbâa d'El Gharb pour avouer son crime. Samedi dernier, Zahra a été traduite devant le parquet général près la Cour d'appel de Kenitra sans qu'elle ne manifeste de regret.