Jaouad Mdidech explique quelques aspects de «Vers le large», son deuxième roman, publié récemment. ALM : Quelle est la différence entre votre nouveau roman «Vers le large» et votre précédent «La chambre noire»? Jaouad Mdidech : «Vers le large» est un peu la suite de la «Chambre noire». J'ai dit «un peu», car ce deuxième ouvrage, quoi que autobiographique comme le premier, je l'ai voulu une histoire romancée pour que je sois libre dans la narration. Mais les faits sont réels :la première partie qui parle de la prison centrale de Kenitra décrit le prisonnier fraîchement condamné à vingt ans fermes en face de sa nouvelle réalité. J'y décris des moments qui restent à jamais incrustés dans la mémoire : comme ce premier jour où, coffré solitaire dans une cellule individuelle, face-à-face avec moi-même, je me demandais par quel bout entamer mes longues années à purger. Dans ce deuxième ouvrage, il est question aussi de ma liberté retrouvée, après quatorze ans et quatre mois de prison. De mes premiers contacts avec la société, avec Casablanca la ville de mon enfance, avec la mer, la montagne, avec les femmes... Un homme de 38 ans qui voulait reconstruire sa vie, dans la dignité. Ce n'était pas évident, n'oubliez pas, Driss Basri était encore vivant, le CCDH n'existait pas à cette époque, encore moins l'IER. Que souhaitez-vous transmettre à travers votre témoignage dans «Vers le large» ? Plusieurs messages. Le premier est que la prison ne détruit pas forcément le prisonnier, mais elle peut aussi le construire. A travers la prison que nous avions vécue comme militants politiques, on voulait nous écraser et nous faire plier l'échine, mais l'homme recèle en lui une force extraordinaire pour sortir debout. Je dis dans cet ouvrage que le gardien de la prison n'est pas forcément un homme sadique, mais que nous pouvions y rencontrer aussi des geôliers qui se comportaient avec beaucoup d'humanité. Que les retrouvailles avec la liberté ne sont pas forcément une délivrance, mais un nouveau défi qu'il faut relever. Il y a dans ce livre, à travers plusieurs portraits, un hommage à la femme face à une société machiste qui l'écrase et la sous-estime. Jusqu'à travers la prostituée que j'ai rencontrée dans un lupanar que je fréquentais avant mon incarcération et auquel je me suis rendu quelques jours après ma libération en 1989. Pensez-vous à une adaptation au cinéma de votre nouveau roman, comme l'a été «la Chambre noire». Si mon histoire «Vers le large» pourra intéresser un réalisateur comme la première avait séduit le cinéaste Hassan Benjelloun, je ne dirai pas non. Je l'ai toujours exprimé : le cinéma, contrairement au livre, est ouvert à un large public. Les Marocains, même parmi les intellectuels, hélas, ne lisent pas ou très peu, sans dire que 50% de la population est analphabète. Quand la «Chambre noire» a été adaptée au cinéma, sortie dans les salles et projetée plusieurs fois au petit écran, ce ne sont pas huit mille Marocains (correspondant au nombre d'exemplaires édités) qui ont partagé avec l'auteur son histoire en lisant son livre, mais des centaines de milliers qui l'ont vue en images. Mais le livre n'est pas une image du cinéma, souvent imposée, c'est une histoire à travers laquelle le lecteur se fait sa propre image.