Même si Martine Aubry avait choisi la politique de l'autruche pour ne pas subir les effets d'une telle polémique, elle aurait été incapable de tenir longtemps. S'il y a un homme que Martine Aubry, première secrétaire du PS, doit maudire dans le silence de sa solitude, c'est Arnaud Montebourg, le fougueux député socialiste qui a dégoupillé la grenade estivale des primaires. Le moyen trouvé pour que la gauche puisse choisir un homme ou une femme à opposer à l'imbattable Nicolas Sarkozy. L'onde de choc fut tellement puissante que l'écho qu'elle provoqua continue d'onduler, entraînant avec lui des adhésions de plus en plus nombreuses. Et alors que l'ensemble du gotha socialiste s'est exprimé, les uns avec la force de leurs convictions, les autres sous pression des calculs de leurs intérêts, en faveur de la tenue de ces primaires comme seule méthode de construire le grand leadership qui fait tant défaut à la gauche, Martine Aubry est restée terrée dans son mutisme. C'est que la manœuvre tombe très mal pour elle. Elle intervient à la veille de sa première université d'été depuis qu'elle a pris le pouvoir au PS en novembre 2008, celle de la Rochelle où normalement elle était solennellement attendue pour dévoiler son projet politique et indiquer une orientation générale. Elle devait imprimer un tempo, imposer un rythme selon sa propre respiration. Et la voilà qui se trouve brusquement, par la magie de quelques «jeunes» agitateurs de ses propres «ressources humaines» pour reprendre l'expression très DRH de Nicolas Sarkozy, acculée à subir un ordre du jour qui n'est pas le sien, à travailler et à réfléchir sur un agenda qui lui avait été imposé. Même si Martine Aubry avait choisi la politique de l'autruche et la stratégie de l'autisme politique pour ne pas subir les effets contraignants d'une telle polémique, elle aurait été incapable de tenir longtemps. Non seulement la question des primaires avait cannibalisé l'ensemble du débat politique à gauche, mais de nombreux indicateurs ont fini par lui lier définitivement les mains et à l'obliger à mettre la question des primaires au top de ses priorités du moment. A commencer par les résultats forts parlants d'un sondage «ViaVoice» publié hier mercredi dans le journal «Libération» et qui montre que 67% des Français, une progression de 10 points par rapport à mars dernier, son favorable à «des primaire ouvertes» pour choisir le candidat socialiste pour affronter Nicolas Sarkozy. Le taux grimpe à 71% chez les sympathisants socialistes. Le même journal «Libération» s'est fait le réceptacle d'une pétition lancée par le Fondation Terra Nova, proche du PS, en faveur de ces primaires, signée par le gratin politique, intellectuel, et artistique de ce qui fut naguère appelé la gauche plurielle. Avec ce mot d'ordre : «La primaire est d'abord un élément de la refondation de la gauche (…) c'est pourquoi nous, citoyens de gauche, demandons au Parti socialiste, ainsi qu'aux autres partis progressistes, d'adopter un système de primaire populaire pour désigner notre candidat à la présidentielle». Même si dans le passé récent et notamment au cours du congrès de Reims, Martine Aubry a eu l'occasion de se prononcer en faveur des primaires pour justement «ouvrir plus largement la décision à ceux qui se reconnaissent dans le socialisme, afin de donner plus de force à notre candidat», aujourd'hui sa démarche semble plus circonspecte, plus craintive. Sans doute son instinct politique lui dicte cette réalité difficile à ignorer : si le théâtre de la gauche connaît autant de fébrilités et d'excitations autour de cette question des primaires, n'est-ce pas la meilleure preuve que son leadership, à elle, est des plus inefficaces. Elle qui, faiblesse humaine et politique oblige, a sans doute rêvé au fond d'elle-même de marcher sur les traces de François Mitterrand qui s'était emparé du PS avant de conquérir l'Elysée ou de Lionel Jospin qui avait utilisé la Rue de Solferino comme rampe de lancement vers le château ou de Ségolène Royal qui rêve à haute voix de la nécessité de contrôler le parti avant de prétendre contrôler le pays. Dans tous les cas de figure, la bataille des primaires n'est que la remise en cause permanente et par d'autres moyens de l'autorité de Martine Aubry, que beaucoup ne parviennent pas à se séparer de l'idée qu'elle a été mal acquise et donc bonne à prendre par tous les moyens.